Chapitre 39 - Le Voyage de la Mère Éclair

L’aurore arrivait lentement, comme si elle hésitait à briser la paix délicate du royaume hope le ciel, tissé de lavande et de miel pâle, s’étirait en vagues douces au-dessus de la mer de lait et sur l’un des balcons les plus hauts de la tour bleue, Saphira Noctielle regardait elle ne disait rien elle observait elle portait encore sa robe de nuit une simple tunique de coton bleu, froissée par une nuit sans sommeil ses cheveux étaient défaits elle n’avait ni couronne, ni bijoux, ni lueur magique autour d’elle juste une reine, nue d’apparat, pleine de silence derrière elle, une porte s’ouvrit. Élya, son éternelle ombre fidèle, entra, tenant contre elle une petite poupée que Saphira avait brodée la veille une poupée qui pleurait en dormant Élya ne posa pas de questions elle n’était pas faite pour bavarder.

— Tu pars pas vrai ?

Saphira hocha la tête. elle ne détourna pas les yeux du ciel.

Il est quelque part dans les rêves ou peut-être entre eux je le sens il n’est pas en train de tuer mais il dévore il suce la moelle douce des rêves des enfants et si je ne lui parle pas bientôt ce monde-là s'effondrera comme un château de brume.

Élya ne répondit pas elle serra la poupée plus fort puis elle alla préparer les choses.

Saphira retourna dans sa chambre sans un mot.

Elle s’habilla lentement, comme on prépare une armure de cérémonie plutôt qu’un habit de guerre sa cape, faite de brumes étoilées, se posa sur ses épaules comme une mémoire ses gants, brodés de runes d’équilibre, vibraient doucement, comme s’ils cherchaient déjà à apaiser ce qu’elle allait toucher autour de son cou, elle accrocha la clé d’éclair pur, un artefact ancien, capable d’ouvrir tous les rêves même ceux que personne ne rêvait plus avant de partir, elle descendit dans les fondations de la tour prison dans la salle du cœur d'obsidienne, Arcaana, sa déesse-fille, l’attendait elle se tenait droite, faite de silence noir et de justice.

Saphira s’arrêta devant elle.

— Si je ne reviens pas...

Sa voix se brisa. Juste un instant.

— ...veille sur mes mondes.

L'esprit d'Arcaana s’agenouilla, un genou au sol, la tête penchée.

— Tu as déjà survécu à la naissance, mère.

Tu survivras aussi à ta colère un murmure de pierre répondit en écho et alors seulement, Saphira remonta le ciel était plus sombre maintenant les couleurs pâles de l’aube avaient cédé la place à une lueur gris perle devant la tour, un cercle d’étoiles noires avait été gravé dans l’air suspendues. Immobiles comme un cadran d’horloge figé par le souffle d’une volonté trop grande.

Morphée arriva sans bruit comme toujours. Il n’était qu’un soupir dans l’air ses cheveux étaient défaits sa tunique froissée ses cernes trop profonds, même pour un dieu du sommeil.

— Tu sais que tu risques de ne pas le trouver.

Ou de ne pas revenir.

Saphira ne le regarda pas elle observait le cercle.

— Je ne suis plus une poupée endormie je suis une reine.

Puis elle le regarda enfin, ses yeux brillants de fatigue et de quelque chose de plus ancien que la fatigue la décision.

— Et il est mon erreur mon reflet mon fils 

Morphée aurait voulu l’arrêter mais il ne bougea pas car il savait ce voyage, elle devait le faire seule avant de franchir le cercle, Saphira revint dans la salle du trône elle y déposa une poupée magique, cousue de ses mains, enchâssée d’un chant une chanson que seule la tour entendrait.

— Chaque nuit, elle chantera et tant qu’elle chante je suis vivante elle se tourna.

Un éclair bleu tomba du ciel la porte de la foudre bleu s’ouvrit dans un souffle sans lumière direction le multivers onirique Saphira franchit le seuil un pas un autre et elle disparut dans le rêve du rêve lui-même très loin, dans un espace que même les dieux ne cartographiaient pas un lieu sans lumière un sol sans sol un ciel sans limites un rêve sans dormeur Nékridhal, le voileur d’âmes, ouvrit un œil lentement comme on s’éveille d’un millénaire de cauchemar il n’est ni colère ni peur il est le gouffre entre les deux et dans ses bras, il berce quelque chose un rêve volé un fragment d’enfance un souvenir d’innocence presque intact.

Elle vient, murmure-t-il.

Et pour la première fois depuis sa naissance il espère.

Fin du Chapitre 39 — Le Voyage de la Mère Éclair