Le lendemain, je suis réveillée par le bruit du heurtoir qui claque sur la porte, faisant résonner son bruit retentissant dans toute la maison. Je plisse les yeux, Miranda ne m’avait pas parlé de visiteurs. Je me lève et m’habille à la hâte, puis dévale les marches à toute vitesse. Quand j’entre dans la cuisine, c’est pour y découvrir une jeune fille aux magnifiques cheveux blonds, assise sur le plan de travail, qui discute gaiement avec ma tante. Ses yeux bleus se tournent vers moi lorsque je me racle la gorge pour signaler ma présence. Elle m’adresse un grand sourire, visiblement heureuse de me voir, même si cette fille est pour moi une parfaite inconnue. Elle saute soudain de son perchoir et se dirige vers moi, pour je ne sais quelle raison. Elle me tend la main et lance :
« Bonjour ! Je m'appelle April ! »
Je me fige un instant devant tant d’entrain. Ce doit être April Vega, une des filles dont Noah m’a parlé hier.
- « Salut, moi, c'est June », je réponds tout en lançant un regard interrogateur à Miranda, qui m’en jette un à son tour, toutefois plus mystérieux qu’autre chose.
- « Ça je le sais déjà, Mme Cooper m’a vraiment hyper beaucoup parlé de toi. Je suis désolée pour tout ce qui t’est arrivé, même si tu préfères sans doute que je ne dise rien. Moi non plus, je n’aime pas que les autres aient pitié de moi. Ça donne un sentiment d’impuissance énooorme et après, on a envie de tous les taper ! »
Je reste ébahie devant la clairvoyance de cette fille. Comment peut-on se sentir aussi proche d’une personne avec qui on a échangé trois phrases ? Elle ne semble toutefois pas remarquer mon ahurissement et continue dans sa lancée :
- « En plus, tous les gens te regardent comme si tu n’étais plus la même et tu te sens encore plus seule que s'ils étaient restés comme avant, comme s'il ne s’était rien passé ». Elle me jette un regard et, comme si elle se rendait compte de mon sentiment, me glisse :
- « J’ai perdu ma mère il y a trois ans ».
Je ne sais plus quoi dire, en même temps, que dire ? Cette fille vient de m’apprendre la mort de sa mère, et après le long monologue qu’elle m’a sorti, je ne vais pas lui dire « Désolée ». Surtout que je la comprends totalement, puisque nous avons vécu la même situation, à quelque détails près. Heureusement, ma tante intervient avant que je ne puisse lui répondre.
- « Du calme April, lance-t’elle. Laisse-lui le temps de se réveiller ». Elle se tourne vers moi et reprend : « June voici April Vega, une de mes anciennes élèves, quand j’étais encore professeure. Elle habite dans le quartier, enfin si on peut appeler ça un quartier. Et je me suis dit que commencer à fréquenter des gens de ton âge ne pourrait pas te faire de mal, non ? »
Je souris à ma tante, puis répond à April :
« Je ne sais pas quoi dire pour ta mère, et de toute façon, tu n’as sûrement pas envie que je te dise quelque chose. Mais je peux quand même te dire que je pense que je te comprends aussi bien que toi tu me comprends, et on n’a qu’à pas en parler, c’est pas compliqué ».
Elle m’adresse un grand sourire,
- « Tu as raison, bon ! Viens, allons dans ta chambre ! ». Et elle monte les escalier en courant.
Trois questions trottent dans ma tête : un, pourquoi ma tante lui a raconté toute ma vie ; deux, comment sait-elle où se trouve ma chambre ; et trois, pourquoi se balade-t’elle dans cette maison comme si elle était chez elle !?
Je me tourne vers ma tante pour avoir des réponses à ces questions mais elle a déjà disparu. C’est pas grave, ça peut attendre, contrairement à autre chose qui se dirige en ce moment même vers ma chambre ! Je bondis vers les marches, les monte et me tape le sprint de ma vie pour rejoindre ma porte, déjà ouverte. Quand je passe le pas, je trouve April étendue sur mon lit.
« Ça va, tranquille ? », je lance avec humour.
- « J’adore ta chambre ! dit-elle en éclipsant ma question.
- « Tu sais, c’était entre celle-ci et la chambre d’à coté, tu veux la voir ?
- OUI ! »
Cette fille est beaucoup trop contente de la vie, et je me marre en pensant cela. Elle me suit jusqu’à la première porte et perd aussitôt son sourire.
- « Tsss, c’est vrai que tu as fait le bon choix, en plus, je ne vois pas du tout ma nouvelle meilleure amie dans cette chambre », conclut-elle en riant. Elle jette un œil derrière moi. « Mais il y a plein d’autres pièce, ce sont toutes des chambres ? »
Elle n’attend pas ma réponse et ouvre la troisième porte du couloir à la volée. C’est vrai que ce ne sont pas les chambres qui manquent ici, et en voyant le sourire qui s’affiche sur le visage de ma nouvelle prétendue meilleure amie, celle-ci doit être particulièrement remarquable.
J’entre dans la pièce à sa suite et suis aveuglée par tant de roses. En effet, cette couleur envahie chaque coin de la chambre.
« C’est magnifique non !?
-Euuuh… Non ?
-Si ! » décide-t’elle avant de se jeter sur l’immense lit à baldaquin rose qui se trouve au centre de la pièce. J’adore cette chambre, je ne comprends pas pourquoi tu ne l’as pas choisie ? »
Je retourne dans ma chambre avec un sourire sur les lèvres, cette fille ne peut pas s’arrêter. Je m’assoie sur mon lit et ne suis pas surprise de le sentir ployer sous le poids d’une autre personne.
« Tu sais, au lycée, il y a une fille, Emily, avec ses amies, elle s’amuse à rabaisser ceux qui ne rentrent pas dans ses critères, autrement dit, les moches, les pauvres et les mal sapés. De toutes façons, elle habite ici, tu devrais bientôt la croiser. Et bien cette fille, c’est la peste que tous les profs et toutes les filles qu’elle trouve belles adorent. Même la plupart des garçons tombent sous son charme. Heureusement, il y en a toujours pour lire à travers les lignes. Bref, je m’égare. Emily peut réussir à faire tomber un élève populaire au plus bas en moins d’une semaine. Tous les ans, elle choisit ses cibles de l’année, et les persécute jusqu’à ce qu’elles chutent pour ne plus jamais remonter. Cette année, j’ai peur de faire partie de ses cibles.
-Oh April, tu ne dois pas penser comme ça, dis toi plutôt que ces filles sont des grosses pestes méchantes et sans cœur et qu’au lieu de te critiquer, elles devraient se remettre en questions ! Tu es super belle et sans doute très intelligente ! Et si tu habites ici, c’est que tu dois avoir pas mal d’argent sur ton compte je me trompe ? »
April relève vers moi un regard triste et sourit faiblement.
- « C’est pas faux, et du coup tu es ma meilleure amie ?! »
C’est choquant à quel point cette fille peut changer d’humeur en aussi peu de temps. Je hoche la tête, et elle affiche désormais un grand sourire.
- « Cool !!! Au fait, il y a une fête demain sur la plage, tu veux venir avec moi ? D’habitude je vais à toutes les fêtes toute seule et je me bourre la gueule en restant dans mon coin mais maintenant que tu es là, on va pouvoir s’amuser toutes les deux !
- Ah oui, Noah m’en avait déjà parlé !
- Noah ? » April me regarde comme si j’étais devenue folle. « Attend ! tu parles bien du frère Blake ?
- Euh, oui, je crois que c’est ça pourquoi ?
- Les quatre frères Blake sont, genre, les garçons les plus populaires de l’île! Genre Emily Sinclair et ses copines, en mecs et en moins méchants ! Que Noah Blake t’ait invité à cette fête, c’est genre trop incroyable ! Et puis comme je suis ton amie, tu vas me le présenter !
- Mais, April ?
- Ouii ?
-Il est gay.
- Quoi ?! Non c’est pas possible ! Mais nooon…. »
Et elle s’effondre sur mon lit, la tête dans mon oreiller. Je reprends :
- « Un amour secret de jeunesse ? », je demande, malicieuse.
- « C’est pas possible… Non, impossible ! » gémit-elle.
J’éclate de rire et elle me jette un regard outré avant de replonger dans l’oreiller.
- « T'inquiète, il y en aura d’autres !
- Tu sais que tu viens de me briser mon plus gros rêve, là ? Tu pourrais faire preuve d’un peu plus de compassion je pense ! » me dit-elle en appuyant bien sur les syllabes.
Je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire. Même si je ne suis pas du genre à m’amuser aux dépends des autres, voir April aussi désemparée d’apprendre qu’un mec, qui n’a pas moins de trois ans de plus que nous est gay, me fait sourire.
- « C’est bon ,je vais mieux ! » s’exclame-t’elle soudain, après s’être morfondue pendant au moins deux minutes. » Cette fille ne peut pas rester en place, je crois que ça va me tuer.
…
Il est 18 heures quand April débarque à la maison le jour suivant avec un grand sac sous le bras. Je la vois arriver par ma fenêtre, qui donne sur le devant de la maison. Je l’entends dire bonjour à Miranda avant qu’elle ne se mette à faire le plus de bruit possible en montant les escaliers.
Elle ne prend même pas la peine de toquer et entre dans la chambre comme si c’était la sienne. Elle me saute dessus et me fait un gros câlin, sans aucune raison particulière. Je ris en la repoussant, je ne suis pas très tactile. Elle hausse un sourcil dans ma direction, puis se lève pour ensuite vider son énorme sac sur mon lit. Une multitude de robes de soirée tombent du sac, dont la moitié atterrissent par terre. Je les ramasse en soupirant, mais ce n’est pas ça qui va décourager April, qui lance d’un ton enjoué :
« J’imagine que tu n’as pas de robe pour ce soir, non ?
- En fait je pensais mettre ce jean avec ce top. Je n’aie qu’une robe et elle est en laine. Pas très très pratique en été.
- Quoi !? Tu n’as pas de robe ? Même moi j’en ai plein et je n’aie pas beaucoup l’occasion de les mettre. Mais je les mets quand même tout le temps.
- Mais du coup, le jean ça ira ? » je n’y crois pas trop mais bon, autant demander.
« Ah non non non ! On va tout de suite remédier à ça, en plus j’avais tout prévu ! »
Elle sort donc une robe noir du tas qui s’amoncelle sur mon lit, et la tend devant moi, puis me la tend et sort de la chambre, non sans un regard appuyé.
J’essaie donc la robe en me tortillant pour rentrer dedans et j’ai à peine le temps de prononcer son nom que April revient dans la pièce. Elle me jette un regard avant de lancer le fait que « Cette coupe ne te va pas, essaie la bleue. » La bleue en question est lavande et le tissu est soyeux. Je jette un œil sur April qui n’a pas bougé d’un pouce. Elle se retourne et attend. J’ai compris, elle ne compte pas sortir. Je m’extirpe toujours avec difficultés de la robe noire et enfile la suivante. Quand April en a marre d’être le dos à moi, elle se retourne et je prends la pose devant elle. Elle se mord la lèvre, visiblement hésitante.
« Non… Cette couleur ne te va pas.. Essaie celle ci ! » et j’essaie donc une dizaine de robes différentes, jusqu’à ce que j’enfile une robe rouge carmin. Cette fois, quand April se retourne, c’est pour afficher un énorme sourire.
« C’est la bonne ! annonce t’elle.
-Sérieux ? C’est pas trop tôt ! Ça doit faire une heure que je pose devant toi !
-Et bah, c’est bon ! À moi maintenant !
-Tu n’as toujours pas de robe ? Mais tu n’aurais pas pu la choisir avant ? »
Elle m’adresse un regard penaud,
- « Mais je voulais le faire avec ma meilleure amie…
- D’accord, d’accord c’est bon j’ai compris ! »
Cette fille est capable de tout, ça fait presque peur…
Nous passons donc la demi-heure suivante à trouver une tenue pour April. Seulement une demi-heure (enfin, « seulement » est un euphémisme ), car ses robes sont faites pour lui aller. Mais qu’elle veut tout de même une robe assortie à la mienne. Elle passe ensuite un temps fou à se maquiller, et je ne peux pas nier que je fais de même. Quand nous descendons avec précaution, ( car les talons que m’a choisi ma meilleure amie ne font pas loin de 10 cm pour rattraper mon mètre 57 ), ma tante nous attend en bas des marches.
« Je vous dépose ? » demande-t’elle en saisissant ses clés dans un plateau pas loin de l’entrée. Nous acceptons avec joie, peu désireuses de traverser la foret à cette heure de la soirée.
Nous nous installons à l’arrière du Van, tout en prenant garde de ne pas trop froisser nos robes. April a finalement opté pour une robe portefeuille bordeaux, et a relevé ses longs cheveux blonds dans un chignon bas, serré sur son crâne. Miranda accepte la demande d’April de nous déposer à quelques rues de la plage, je crois que ma meilleure amie n’assume pas le van jaune poussin. C’est compréhensible cela dit, et je suis bien contente qu’elle ait demandé à ma place.
April m’invite à la suivre, et nous marchons quelques minutes avant qu’elle ne se rue sur le sable, ses talons claquants sur la promenade. Elle descend les marches rapidement, et je dois courir pour la rattraper, (ce qui, en passant, n’est pas très très pratique avec des talons de pratiquement 10 cm accrochés aux pieds) mais je ne veux pas rester toute seule. Heureusement, April semble me connaître assez pour savoir ça aussi et s’est arrêtée en bas de l’escalier. Je lui adresse un sourire reconnaissant, et elle ne peut pas s’empêcher de parler :
«Je suis vraiment trop contente qu’on soit là toutes les deux ! » s’exclame-t’elle avec entrain. « Tu vas rencontrer plein de beaux gosses, tu vas voir ! »
Je souris, c’est vraiment une super amie, même si elle est un peu bizarre. Soudain, une voix que je reconnais, mais que je ne parviens pas à replacer m’interpelle :
« June ! »
Je me retourne en sursautant, puis je souris en apercevant Noah.
- « Je t’avais dit que je viendrais, et voici mon amie…
- April Vega, oui je sais. Nous habitons au même endroit après tout », dit-il tout en serrant la main de la jolie blonde.
La blonde en question est devenue toute rouge en quelques secondes. Je crois que son cerveau n’a toujours pas compris que ce mec-là n’était pas pour elle. Noah se retourne vers moi :
- « Viens, je vais te présenter du monde, histoire que tu ne sois pas l’inconnue du bahut à la rentrée !
- D’accord! » je lui répond tout en tirant April derrière moi.
Nous suivons donc Noah sur la plage, qui se faufile entre les gens en les saluant. April n’a toujours pas fermé la bouche et je la tape gentiment sur la joue.
« April, ferme la bouche ! Je t’ai déjà dit que ce mec n’est pas fait pour toi, il est gay April !
- Chut ! Laisse-moi rêver un peu ! » me répond-elle sans me regarder.
Je soupire. Elle est vraiment obstinée.
Quand je me retourne vers Noah pour lui demander ce qu’il fait, il a disparu. Je tourne la tête dans tous les sens pour tenter d’apercevoir sa touffe blonde pâle, que je ne trouve pas. April aussi a disparue, sûrement partie retrouver d’autres amis. Je me glisse donc entre les gens, et déboule sur un cercle formé autour d’un immense feu de joie qui illumine de sa lueur rougeoyante tous les visages présents. Je repère enfin Noah, dos à moi, en train de parler à une grande brune. Je me dirige vers lui, et lui tapote l’épaule, attendant qu’il se retourne. Mais quand il obtempère enfin et tourne son visage vers moi, ce n’est pas le regard de mon ami que je croise, non ! Ce sont les magnifiques yeux bleus du jeune homme qui se trouvait dans le jardin de Miranda !