Chapitre 2 : Un Guide Inattendu

Je n’ai pas réussi à me rendormir la nuit dernière, et quand je déboule dans la cuisine à 7 heures, c’est pour y trouver une Miranda toute réveillée et habillée d’un tailleur bleu marine qui lui sied à ravir. Elle sourit en me voyant toute ébouriffée après cette nuit d’insomnies. J’aperçois une machine à café sur un coin du plan de travail et je me précipite pour m’en servir un. C’est seulement quand ma tasse est à moitié vide que je me rappelle la raison de mes insomnies. Je me tourne vers ma tante avec impatience et lui raconte mon aventure.

« Il y avait un mec dans ton jardin cette nuit ! » je m’exclame.

Elle hausse un sourcil devant tant d’entrain, et je me dépêche de développer :

- « Cette nuit, j’avais soif et je suis descendue prendre un verre d’eau, et là, j’ai regardé par la fenêtre et il y avait un mec bourré ! Alors je suis sortie en courant et je me suis approchée de lui. Au début, il y avait un nuage devant la lune alors on voyait rien mais après le nuage est parti et il avait une tâche rouge sur la jambe. Et là, j’ai vu qu’en fait c’était du sang et qu’il avait aussi une énorme blessure au-dessus ! Et après, j’ai crié parce que tu vois, bah..., ça fait un peu peur de voir autant de sang sur la jambe d’un inconnu qui, qui plus est, est en train de squatter son jardin, et du coup il s’est retourné, m’a vue et est parti en courant. En plus il courait super vite mais j’ai quand même essayé de le suivre mais ça a pas trop marché… »

Quand je reprends ma respiration, je réalise que j’ai débité ce long monologue d’un seul coup, sans prendre la peine de souffler.

Miranda me regarde en se mordant la lèvre, elle a l’air soucieuse, mais c’est compréhensible étant donné qu’un jeune homme ensanglanté se trouvait dans son jardin pas plus tard que cette nuit. Elle se lève et part sans un regard en arrière. Je reste assise sur mon tabouret, trop surprise et surtout trop flemmarde pour me lever. Je soupire, puis finis mon café. Après m’être lavée et m’être brossée les dents, je retourne dans ma chambre pour m’habiller. Je choisis un top blanc et un short en jean, que j’assortis avec mes sandales à talons blanches. J’ai décidée d’aller visiter la ville aujourd’hui, même si je ne sais pas trop comment m’y rendre depuis l’endroit sinistre où je me trouve. Je comptais sur l’aide de ma tante mais je crois finalement que ce n’est pas à elle que je demanderais de l’aide. Je sors donc mon téléphone de ma poche arrière, j’espère qu’il y a du Wifi dans cette grande maison...

Heureusement, il y en a bien et, après avoir chercher la boxe pendant une demi heure, j’ai finalement obtenu le mot de passe et j’ai aussi trouvée un petit bar dans la ville pour commencer mon exploration.

Quand je trouve enfin la manière de sortir de la sombre communauté, je ne croise qu’un homme mûr aux allures de zombie et une vieille femme qui porte une robe tachetée de fleurs rouges.

Ce n’est vraiment pas ici que je pourrais me repérer dans cette ville. Cette partie de l’île n’est sûrement pas la plus habitée, et je compte bien retrouver le monde réel avant cette après-midi. Je met environ trente minutes pour longer la foret de pins que nous avions traversée le jour précédent avec ma tante dans son Van jaune poussin. Je crois que ce fait m’étonnera toujours. Je rigole toute seule sur cette route étrangement calme. Jaune poussin, non mais vraiment… Je relève la tête et aperçoit soudain la fin de la foret, qui s’ouvre sur la plage, où une multitude de gens en train de bronzer ou de se baigner s’amusent. Je souris devant toute cette joie de vivre, et m’engage sur la promenade. Des boutiques colorées, remplies de touristes qui se bousculent pour y entrer, bordent le trottoir. Le bar dont j’avais parlé se trouve un peu plus loin, et je continue ma route en flânant et en regardant la mer. Je m’arrête soudain devant une enseigne qui attire immédiatement mon attention, « Vamps&co ». Original. Je ne peux m’empêcher de pousser la porte, qui émet un léger « gling gling » quand je rentre. Les étagères sont remplies de vieux livres et d’amulettes, pratiquement identiques à celle de Miranda. Mais ornées de différentes pierres, comme des opales ou des saphirs. Je vois même des émeraudes et des rubis sur les plus hautes étagères. C’est peut-être le bon endroit pour trouver un cadeau à offrir à ma tante pour la remercier de m’accueillir. Les grimoires qui s’entassent le long des murs ne m’inspirent guère, alors je vais explorer les rayons de bijoux. Je regarde attentivement les prix, je n’ai pas non plus les moyens d’acheter un petit diamant à Miranda. Soudain, j’aperçois du coin de l’œil une magnifique bague surmontée d’une émeraude. Quand je me tourne vers le prix, je suis surprise de constater qu’elle ne coûte pas plus de 35 $ Je me dirige donc vers la caisse, où m’attend un vendeur qui a vraiment l’air trop heureux d’être là (Humour). Je lui montre la bague et il la prend avec toute la lenteur du monde. Quand je lui tends mon argent, il me répond d’un regard blasé. Je sors alors de la boutique et glisse le petit paquet dans mon sac. Je ne lui ai pas demandé d’emballage, je n’aurais pas pu supporter son regard plus longtemps.

Le soleil tape de plus en plus fort, et je presse le pas pour continuer vers le bar, car j’ai vraiment envie de retrouver un semblant du monde que j’ai connu à Marseille. Quand je m’arrête enfin, c’est pour observer la façade du bâtiment qui se tient devant moi. Plusieurs jeunes, qui doivent avoir mon âge, sont assis aux nombreuses tables qui sont dressées sur une large terrasse. Un jeune homme aux cheveux blonds et à la peau mate (le cliché du surfeur Américain en un peu plus efféminé, comme on le voit à ses bagues et à ses trois boucles d’oreilles) qui semble un peu plus âgé que moi de quelque années s’approche de moi :

« Bonjour mademoiselle ! Vous voulez une table ?

- Bonjour, oui c’est un peu pour ça que je suis venue ici », plaisanté-je.

Heureusement que j’ai prit Anglais en LV2, sinon je ne comprendrait absolument rien. Pas très pratique lorsque on déménage en Amérique.

Il me sourit et m’entraîne à sa suite, je le suis jusqu’à une table un peu à l’écart, parfaite pour moi, la petite étrangère.

- « Tu n’es pas d’ici non ? »

Je redresse la tête, étonnée qu’il m’adresse la parole.

- « Maintenant si ! Je viens d’emménager avec ma tante dans l’espèce de communauté dans la foret de pins. Miranda Cooper, tu la connais ? »

Il sourit étrangement et me répond :

- « Bien sur que oui ! Moi aussi j’habite là-bas avec ma famille.

- Vraiment !? » j’ai sorti ça sans réfléchir, je ne pensais pas, vue l’ambiance que les habitants pouvaient aussi être de ma génération.

- « Si tu t’étonnes de savoir que des jeunes y habitent, alors tu n’as sûrement pas finis de l’être. J’ai trois frères, tous au lycée, et il y a aussi Emily Sinclair, April Vega, Clover Greys et John Johnson.

- Pardon, je crois que j’ai mal entendu le dernier, John Johnson, sérieusement !? Pauvre gars… »

Il éclate de rire, puis me sors :

- « Oui je suis d’accord. Mes frères sont dans sa classe, et apparemment, à chaque appel de début d’année, les profs se marrent tout seuls avant de lire son nom, je détesterais être à sa place, mais je crois que ses parents ont vraiment beaucoup d’humour…

- Putain le pauvre, je lâche, je crois que je ne m’en remettrais jamais…

- Au fait, moi c’est Noah, Noah Drake pour vous servir, dit-il en me tendant la main.

- June Cooper, je réponds formellement en lui rendant sa poignée de main.

- Eh bien June Cooper, aurais-tu besoin d’un guide pour ce nouveau départ ?

- Volontiers très cher, quand tu auras fini ton service peut-être ? » je lui demande, ravie de m’être fait un semblant d’ami dans cette ville.

Il soupire,

- « J’allais oublier », il se redresse soudain et prend un air sérieux. « Que voulez vous boire mademoiselle ?

-Un coca s’il vous plaît », je répond avec le visage le plus solennel que je peut me composer. 

Il repart en se marrant et je souris, je l’aime bien.

Après avoir fini ma boisson en contemplant la mer, je me lève et Noah revient me tendre l’addition. Quand il me dit que son service se termine dans une heure, je décide de flâner le long de la promenade le temps qu’il finisse. Je choisis de me rendre dans la librairie la plus proche, qui n’est pas loin du tout. Je passe trois quarts d’heure à choisir des livres que j’ajoute sur une pile qui grossit de plus en plus. Quand vient enfin le moment de payer, je me mets à culpabiliser légèrement en m’apercevant que le prix s’élève à plus de 100 €. Mes livres coûtent plus chers que le cadeau de ma tante… J’hésite alors, et la vendeuse m’adresse un regard interrogateur. J’acquiesce tout de même, et je lui tends l’argent, puis fourre mes achats dans mon sac. Je sors, il est à peine 14 heures et je n’ai rien mangé depuis les pâtes d’hier soir. D’un coup, la solitude m’envahit, et je surprends une larme qui coule sur ma joue. Mes parents me manquent, ma sœur me manque, mes anciens amis me manquent, et même Violet Bird me manque. Ce n’est pas peu dire.

« June ?! »

Je sursaute violemment quand je vois la tête de Noah apparaître devant mon visage.

« Bouh ! 

- Tu m’as fait peur !

- Figure toi que c’était le but », me répond t’il nonchalamment.

- « Mais oui.

- Oui. Bon aller, tu viens ? »

Et je le suis dans cette ville inconnue.

J’apprends plein de choses sur Noah, notamment qu’il a fini le lycée et qu’il a du boulot pendant les vacances pour payer ses études à la minuscule université de Cedar Key. Il me montre la bibliothèque, le lycée, la seule boite de nuit de l’île, la mairie, je cite, « Au cas où » et plein de petits commerces selon lui indispensables à la vie. Au bout d’un moment passé en sa compagnie, il m’attrape par les épaules, me regarde fixement et me sors, comme ça, sans transition :

« Au fait, je suis gay. »

 

J’ouvre grands les yeux. Pourquoi me dit-il ça, maintenant ? Il n’a tout de même pas cru que j’étais déjà tomber amoureuse !? Je bégaie :

- « Ok, d’accord je suis très contente pour toi et pourquoi tu me le dis là, d’un coup ?

- Je voulais juste être sûr que tu n’étais pas homophobe avant de commencer à devenir ami avec toi. Je dois te sembler minable d’avoir pensé que tu l’étais », dit-il en passant une main dans ses cheveux, comme gêné de la situation.

- « Non non, pas du tout, je comprends… Enfin non, je ne comprends pas mais ne t’en fais pas, que les gens soient gays ou non ne change rien, ce seront toujours les mêmes ! » 

Il sourit.

- « Super ! Alors viens, on continue ! »

Et je le suis. Parce que je me suis trouvée un ami dans cette nouvelle ville, dans cette nouvelle vie.

Je suis épuisée. J’ai passé le reste de la journée à sillonner les rues de Cedar Key avec Noah et je suis maintenant assise sur le siège passager de sa Mercedes noire. C’est assez pratique qu’il puisse me ramener, je ne me sentais pas du tout de réemprunter la longue route toute seule en début de soirée. Miranda m’a appelée dans l’après-midi pour savoir où j’étais, elle n’avait pas l’air fâché, juste curieuse. Et j’ai beaucoup apprécié qu’elle ne se comporte pas avec moi en mère poule. J’ai passé une excellente journée avec Noah, et même si nous avons trois ans d’écart, je l’aime bien.

Une fois le grand portail lugubre franchi, il me dépose devant la maison de Miranda. Je m’apprête à descendre quand il me lance :

« Au fait, il y a une fête sur la plage dans deux jours, ça te dit de venir ? Tu pourras commencer à te familiariser avec les jeunes. »

J’hésite, même dans mon ancien collège, je n’avais pas pour habitude de me rendre aux fêtes organisées par les autres élèves. Mais quand je relève la tête, c’est pour croiser le regard de Noah qui m’adresse un sourire encourageant. Je souris à mon tour, et lui promets que je serai là.

Quand je passe la porte de la cuisine, je trouve ma tante affairée à préparer une salade de pomme de terre. Je lui propose mon aide, mais elle décline vite mon invitation, prétextant que je dois me reposer après cette longue journée. Je monte donc dans ma chambre de princesse, en frissonnant lorsque je passe devant le palier du premier étage. Je ne sais pas pourquoi, mais cet endroit m’insécurise énormément. Je me mets donc à courir comme une dératée pour me jeter sur mon lit, sans oublier de fermer la porte derrière moi. Je fourre la tête dans mon oreiller en me demandant pourquoi je panique autant. Je reste toujours la même, déjà petite, dès que j’éteignais la lumière de ma chambre, je me dépêchais de me blottir dans mes couvertures, je ne voulais absolument pas être dos à l’obscurité. Par peur qu’elle cache un monstre, et apparemment, ceux-ci me font toujours aussi peur…