Chapitre 5 : La voie des voeux

Part 1 : La tristesse de Renirivotra

Le soleil couchant, une couleur orange vive assez mystérieuse à l’horizon. Lova se rafraîchit à la pompe derrière la maison noble après le rude combat un peu plus tôt. Ayant réussi à surprendre son adversaire quelques heures plus tôt, celui-ci déclara forfait sans avoir retiré son masque, ce qui pourrait éventuellement signifier une défaite totale.

Lova – Ah, quelle journée fatigante ! Si je n’avais pas l’habitude de courir un peu partout et de piéger Ravo dans mes différents pièges dans le village, ce noble m’aurait mangé tout cru. Il n’a pas retiré son masque, ce qui veut dire qu’il veut encore une revanche… Pff…

Les cheveux à moitié mouillés, Lova les attacha en queue de cheval avant d’être interrompue par une voix qui semblait être celle de son adversaire.

Mandraro – C’est vrai que les filles shamans ont plus de puissance et sont plus agiles que les hommes.

Lova entendit la voix derrière elle avant de se retourner.

Un teint marron clair, les cheveux lisses mais qui arrivaient jusqu’aux épaules, des yeux marron et une couleur châtaigne. Lova fixa le jeune homme, complètement déboussolée.

Lova – Ravo… dit-elle tout en versant une larme de son œil gauche.

Le jeune garçon fut surpris. Il vit le visage mélancolique et inquiet de Lova. Elle bondit vers lui et saisit ses deux bras.

Lova – Mais comment ? Que s’est-il passé après la destruction du village ? Je suis si contente que tu sois encore en vie ! Moi, j’avais cru que… que…

Elle éclata en sanglots tout en serrant le jeune homme dans ses bras.

Mandraro ne sut quoi faire. Il vit le visage soulagé de la jeune fille en larmes et ne voulut pas la décevoir.

Mandraro - Désolé, jeune fille, mais… est-ce qu’on se connaît ?

Le visage de Lova se figea entre les bras de Mandraro.

Lova – Mais comment ? Tu es bien Ravo, n’est-ce pas ? Mon meilleur ami d’enfance, mon confident depuis toujours, mon sauveur ce jour-là…

Mandraro – Désolé, mais je ne connais pas de Ravo.

Lova se retira du jeune homme, remplie de tristesse. Les souvenirs de ce fameux jour funeste envahirent sa mémoire et ses émotions. Les yeux de Lova s’illuminèrent. Elle avait de nouveau abandonné son état de vivante pour revenir à son état d’esprit. Le pendentif à son cou se brisa.

Le shaman, dans le chalet, toujours en train de faire le bilan du combat avec le père de Mandraro, sentit soudain une perturbation dans l’énergie ambiante. Derrière la maison, un tourbillon d’une puissance inégalée se forma, emportant toute la végétation autour et Mandraro dans les airs. Le shaman se précipita vers l’arrière de la maison et vit Lova, hors de contrôle, déchaînant ses vents. La maison, bénie d’un puissant enchantement, ne sembla pas bouger.

Shaman – Mais que s’est-il passé ?

Mandraro – Elle semble m’avoir confondu avec quelqu’un et elle est entrée dans cet état…

Il descendit des airs avec un bouclier de mana.

Shaman – Ah, je comprends maintenant pourquoi ton père tient tant à ce que tu ailles à l’Est pour approfondir ta magie.

Mandraro regarda le shaman, étonné.

Shaman – Distrais-la pendant que je récite une incantation avec la bénédiction de la déesse Renirivotra.

Mandraro entra dans le tourbillon avec son bouclier et prit Lova dans ses bras, ce qui calma légèrement le vent.

Shaman – Ô toi, chère déesse, moi, ton incarnation de cette époque, je te demande… Toi, incarnation passée, je te demande… Calme ta rage et accepte mon offrande.

Le shaman prit sa canne, la chargea d’énergie et se fit une entaille aux mains. Le sang rouge du shaman coula, une sorte de lueur rouge l’entoura, et le tourbillon qui s’était formé autour de Lova prit cette couleur avant de se calmer.

Lova s’évanouit dans les bras de Mandraro.

Part 2 : La malédiction de minuit

Il faisait nuit noire. Minuit s’annonçait dans les quelques minutes qui allaient suivre. Lova se réveilla avec la tête encore un peu lourde et le shaman à côté d’elle.

Shaman – Comment vas-tu, ma fille ? dit le shaman en posant sa main sur le front de Lova pour connaître sa température.

Lova repoussa sa main avec force et, dans un excès de rage, lança sa couverture.

Lova – Ce n’était pas Ravo ! Alors pourquoi ressemblait-il à Ravo ? Pourquoi ses bras, cette sensation, sa voix… Pourquoi tout me rappelait Ravo ? Vous le saviez, n’est-ce pas ? Vous le saviez depuis le début ! cria-t-elle, furieuse.

Shaman – D’abord, calme-toi, ma fille.

Lova – Je ne me calmerai pas ! Expliquez-moi tout de suite ce qui se passe, ou bien je le découvrirai seule !

Shaman – Es-tu sûre de vouloir connaître la vérité, ma fille ? dit-il avec un regard menaçant.

Lova – Vous m’avez déjà assez menti. Il est temps que vous vous expliquiez.

Shaman – Soit. Je vais tout te dire… Mais d’abord, assieds-toi et parlons calmement.

Ding Dong… L’horloge ancienne du salon sonna minuit. Alors que Lova tentait de s’asseoir sur le bord du lit, une lumière étrange l’envahit.

Le shaman essaya de saisir sa main, mais au moment où il crut l’attraper, elle disparut.

Shaman – La Porte des Vœux… Mais pourquoi, Lova ? Pourquoi la Voie l’a-t-elle choisie ? J’aurais dû être plus prudent… dit-il, frustré, les yeux écarquillés de panique.

Dans le couloir, Roger se précipita vers la chambre où se trouvaient le shaman et Lova, accompagné du frère aîné de Manandro, Safo, suivi du vieil homme qui marchait lentement derrière eux.

Roger – La Voie des Vœux ! Le jeune maître est parti vers la Voie des Vœux ! s’écria-t-il en entrant dans la pièce.

Il fut surpris de n’y voir que le shaman.

Roger – Mais si vous êtes ici… alors qui a accompagné le jeune maître ? Et où est la petite Lova ? Ne me dites pas que…

Ses yeux s’écarquillèrent.

Safo – Comment avez-vous pu ?! rugit le frère aîné en saisissant le vieux shaman par le col.

Ramamba – Safo, lâche-le immédiatement, sous peine de commettre un affront à notre dieu ! dit-il d’un ton sévère.

Les bras de Safo commencèrent à se marbrer de brûlures. Il hurla de douleur.

Roger – Ces marques… c’est la malédiction de l’affront ! Si on ne fait rien, il mourra dans les dix minutes !

Le shaman frappa le sol de sa canne. Les brûlures cessèrent de progresser.

Ramamba – Ô vénérable Élu du Vent, je vous en conjure, pardonnez l’offense de mon fils ! Un bœuf vous sera sacrifié demain pour expier son crime.

Safo, paniqué, se cacha derrière Roger.

Shaman – L’urgence est ailleurs. Lova, sans expérience dans la gestion de la Sagesse, a été emportée vers la Voie des vœux avec votre fils benjamin. Il faut agir vite, car si elle échoue dans cette Voie… l’équilibre du Vent pourrait se briser.

Roger, perplexe, demanda :

Roger – Mais… vous êtes bien le Dieu du Vent, non ? Alors, même si Lova échoue, l’apocalypse n’est pas à craindre ?

Ramamba – C’est bien plus complexe, Roger. Ce matin, j’en ai eu la certitude… Ô vénérable Élu, Lova vient bien de la forêt de Sakarah, n’est-ce pas ?

Roger – Quoi ?! Alors c’est une Mémoire de la Nature ? Mais je croyais qu’avec la destruction de la forêt par le Feu il y a quelques semaines, tous les passages entre le monde des Mémoires et le nôtre avaient disparu !

Ramamba – Oui… sauf que Lova, l’incarnation de la Mémoire de la première déesse du Vent, a été forcée de rester dans notre époque par une volonté divine. N’est-ce pas, ô vénérable dieu ?

Le shaman s’avança vers le chef et l’invita d’un geste.

Shaman – Parlons-en ailleurs… là où les murs n’ont pas d’oreilles.

Part 3 : La porte des voeux

Une goutte d'eau traversa son visage. L'air était humide, et cette sensation de froid dans son corps donnait à Lova l'impression d'être retournée en forêt. Elle ouvrit lentement les yeux pour découvrir qu'elle se trouvait dans une sorte de grotte.

Mandraro – Tu es enfin réveillée, la petite shaman sans classe.

Lova tourna la tête de gauche à droite, cherchant l'origine de la voix.

Mandraro – Devant. Juste en haut.

Mandraro flottait dans les airs. Il descendit en voyant Lova reprendre conscience.

Lova – Mais... comment tu fais ? demanda-t-elle.

Mandraro – La véritable question n'est pas comment je flotte, mais plutôt comment toi, tu maîtrises l'arcane oublié de la téléportation - une technique que seule la déesse du vent originel peut utiliser grâce au Voile.

Lova le regarda, surprise. Puis elle afficha un air serein :

Lova – Tu es vraiment faible, en fait.

Mandraro – Répète un peu, si tu l'oses, dit-il, visiblement vexé.

Lova – Mais dis... on est où, là ?

Mandraro – Hein ? Tu plaisantes, j'espère ! En tant que shaman, tu as des affinités avec la Sagesse, non ? Ton maître t'a bien expliqué le fonctionnement des Routes du Destin ? Alors comment se fait-il que tu ne saches pas qu'on est dans la Porte des Vœux ?

Lova le regarda avec tristesse avant de répondre :

Lova – Malheureusement, je n'ai jamais compris les blablas de mon maître sur le monde entre les destins...

Mandraro – Quoi ?! On est donc fichus... Au moins, j'aurai vécu une vie paisible jusqu'ici, soupira-t-il, désemparé.

Lova – Allez, ne perds pas espoir. Et... pour une raison qui m'échappe, j'ai l'impression d'être déjà venue ici.

Mandraro – Bon... avançons. Tentons le tout pour le tout. Au moins, si on se perd ici, on aura tout essayé.

Ils progressèrent dans un long couloir entre des roches et un plafond humide.

Mandraro – Tu connais l'histoire à l'origine de ce monde, la petite shaman sans classe ?

Lova – C'est long comme surnom... mais je t'écoute pour ton histoire.

Mandraro – On dit que dans l'agonie et la peur, Roland - un mage aussi digne que téméraire - invoqua les dieux pour être sauvé. Dans sa souffrance, il leur demanda de créer un monde où tous nos vœux les plus fous se réaliseraient. "Je pourrais te sauver, toi et ton amie, en t'enfermant dans le monde que tu désires... mais en échange, tous tes derniers-nés après le Cadet devront me divertir ici, à moins qu'ils ne renoncent à leur sang." Ainsi, Roland accepta ce pacte, et tous ses descendants derniers-nés furent pris par cette malédiction.

Lova – Donc ton clan a été fondé par un étranger ?

Mandraro – Pas exactement. Il épousa une native de notre île qui créa mon clan avant de disparaître dans le Monde des Vœux.

Lova – Donc... même lui s'est fait piéger ici.

Mandraro – On peut dire ça.

Ils arrivèrent devant une porte en fer couverte d'inscriptions étranges, qui semblait vivante - ses serrures ressemblant à des yeux tant elles paraissaient profondes.

Mandraro – Est-ce que tu comprends ce dialecte, shaman sans classe ? Cela semble être la langue ancienne de l'époque originelle.

Lova – Mais tu racontes quoi ? C'est hyper facile à lire !

Mandraro s'étonna.

Mandraro – Comment ?! Tu sais lire ce dialecte ? Mais qui es-tu pour avoir de telles connaissances archéologiques ?

Lova – "Votre sang est la clé. Confirmez votre identité, cher shaman-guide, et soyez élu pour libérer les tourments du vent."

Mandraro – Mais ça n'a aucun sens... "Libérer les tourments du vent" ?

Lova – C'est peut-être l'épreuve pour accéder aux vœux.

Mandraro – Mais d'après le vieil homme sage... les épreuves ne correspondent pas du tout à ce but.

Lova – Pour entrer, il faut mettre notre sang sur nos mains et empoigner la poignée.

Elle prit une mèche de ses cheveux, la durcit et se fit une entaille à la main.

Mandraro – Mais attends...

Lova – Tu es prêt ou pas ? Moi, je le suis. Si cette porte peut vraiment réaliser tous les vœux, je veux tenter quelque chose.

Elle saisit la main droite de Mandraro et y fit une entaille.

Lova – Allons-y. Si un monde où l'impossible se réalise existe derrière cette porte... je veux le voir.

Mandraro – J'espère au fond de moi que cet endroit m'apportera mes réponses...

Notes:

*On raconte dans tout le continent de Pandragora qu'entre l'état physique et spirituel, un autre état appelé "état de la destinée" existe. On dit que dans cet état, on a le choix de voyager entre les différents mondes existants que l'on veut, à condition de ne pas se faire désintégrer par la pression colossale de mana et la concentration du Voile en un point central : l'âme. Le mélange entre Voile et mana produit aussi des effets parfois chaotiques, ce qui fait que peu de gens sont capables de maîtriser les deux.

*Dans le Sud, une zone particulière qui se situe entre l'espace et le temps existe pour servir de vaste zone de conservation de la mémoire du Voile. Cette zone est connue pour être un endroit où toutes les époques se mélangent et où la conception même de futur ou de passé n'y existe pas. Ceux qui s'y perdent deviennent souvent témoins d'événements étranges, comme revivre des événements passés - seulement, les changements qu'ils y apportent n'affectent en rien le présent.

Certains shamans suggèrent que cette zone se trouve dans la forêt de Sakarah, tandis que d'autres affirment qu'elle est en réalité située sur les mers. À ce jour, seules des spéculations existent à son sujet.