Le ciel semblait figé, pâle et voilé, au-dessus de Krag-Fehl. La forteresse
— ou plutôt, ce qu’il en restait — s’élevait comme une plaie ouverte sur la
roche grise. Des pans entiers de murs se tenaient encore debout, couverts de
miroirs brisés suspendus dans l’air, comme tenus en lévitation par une force
ancienne.
Lioren s’arrêta net. Son regard analysait les reflets, et leurs
incohérences.
— « Les miroirs montrent un passé divergent… ou un futur qui n’existe pas. »
Tharn, ses mains gantées tremblant à peine, esquissa un sourire en coin :
— « Charmant. Un labyrinthe mental. Parfait pour se perdre soi-même. »
Raskh grogna en resserrant les sangles de sa hache animée.
— « Peu importe ce que ces reflets veulent. On fracasse, on avance. »
Ils pénétrèrent dans l’enceinte.
I
– Le Palais des Reflets
À l’intérieur, tout était inversion et distorsion. Les miroirs affichaient
des doubles d’eux-mêmes : certains morts, d’autres vieillissants, ou encore en
train de s’entretuer. Un miroir montrait Raskh consumé par sa propre rage. Un
autre, Tharn, assassinant Ma-Théo dans un éclat de trahison. Lioren vit un
reflet de lui-même figé dans une cage de cristal noir, hurlant sans fin.
— « Illusions émotionnelles. C’est plus qu’un piège… c’est un test. »
murmura Lioren.
Tharn s’en approcha, les doigts tendus.
— « Ce sont des fragments du Nexus. Des fragments du “Si”. »
Mais au contact de sa main, le miroir éclata et projeta une onde de
résonance temporelle qui balaya le couloir, brisant les murs restants et
déversant une brume dense, épaisse… consciente.
II
– L’Entité du Reflet
De cette brume, un être difforme émergea. Fait de verre, d’ombres et de
souvenirs fracturés.
Nom du Système : Entité MI-RA. Rang : S. Fonction : Dévoreur
d’Identité.
Elle attaqua sans préavis. Ses bras se tendaient comme des lames liquides,
tranchant le passé même. Elle projetait des doubles d’eux-mêmes contre eux —
leurs faiblesses incarnées.
Raskh affronta sa version berserk, incontrôlable.
Tharn dut parer les attaques de son double calculateur et froid, vidé
d’émotions.
Lioren fut confronté à une version corrompue de lui, œil crevé, voix
d’acier, chantant la fin de toute chose.
Mais la vraie bataille fut intérieure.
Chaque coup physique ne servait qu’à nourrir l'entité. Elle se nourrissait
des doutes, des regrets, des erreurs.
— « C’est une mémoire vivante ! » hurla Tharn. « Il faut la contrer par une
vérité ! »
Lioren prit alors la parole, sa voix se chargeant de pouvoir :
— « Nous sommes Nébuleuse. Et chaque erreur nous forge. Chaque cicatrice est
un serment. Tu n’es que l’écho de ce que nous avons surmonté. »
À ces mots, son aura d’ancrage se déploya, annulant la distorsion.
Raskh rugit et brisa son double d’un coup enflammé par une rune de maîtrise.
Tharn utilisa un éclat du Nexus pour piéger l’entité dans un flux inversé de
sa propre chronologie.
MI-RA s’éteignit. Lentement. Comme une pensée qui s’oublie.
III
– La Vérité Derrière le Verre
Après le silence, un escalier secret s’ouvrit dans la salle centrale. Il
descendait profondément dans le sous-sol oublié de la forteresse.
Une salle circulaire, entièrement faite de verre pur et de symboles anciens.
Au centre : un artefact scellé dans une colonne de lumière noire.
Lioren s’en approcha. L’artefact pulsa doucement à leur approche.
— « C’est un Fragment de Savoir… relié à l’ancien Conseil des Veilleurs. »
Raskh fronça les sourcils.
— « Tu crois que c’est ce que Ma-Théo cherche ? »
— « Non, » murmura Lioren. « C’est ce que quelqu’un d’autre espérait
qu’on trouve. »
Dans l’un des miroirs brisés au mur… une silhouette encapuchonnée apparut un
instant. Juste un instant. Immobile. Observatrice.
Mais le groupe ne la vit pas.
Ils remontèrent, porteurs d’un secret scellé. Et dans l’ombre des miroirs
fissurés, la conscience divine qui les avait observés depuis
Éden-Lir… réfléchissait encore.