Chapitre 25.2 – Le Fragment d’Un Autre Temps

La pièce resta silencieuse un long moment après les révélations de Ma-Théo. Les membres de la Nébuleuse Noire — anciens comme nouveaux — gardaient les yeux rivés sur elle, comme si détourner le regard risquait de leur faire perdre le poids de ses mots.

Assise au centre du cercle gravé dans la roche d’obsidienne, Ma-Théo étendit lentement la main. Une onde de lumière frémissante en jaillit, traçant dans l’air des glyphes mouvants — des rémanences de mémoire. La salle entière fut envahie d’images : la Terre, son ancienne vie, la douleur de sa mort… et ce moment suspendu où elle rencontra Ætheria pour la première fois, la voix du monde.

— « Ce n’est pas un "système" au sens strict », expliqua-t-elle. « C’est un fragment d’Ætheria elle-même, relié à l’Origine. Elle ne m’assiste pas… elle m’éprouve. »

Les murmures fusèrent.

— « T’éprouve ? » demanda Yvren, fronçant les sourcils.

— « Ætheria m’a ancrée dans ce monde parce que je suis… un vecteur. Pas seulement une réincarnation, mais un point de convergence entre deux réalités : l’ancien monde et celui-ci. Un catalyseur. »

Elisha se leva, les bras croisés :

— « Tu dis que cette voix est le monde lui-même, mais pourquoi toi ? Pourquoi une étrangère ? »

Ma-Théo soutint longuement son regard, ses pupilles dorées brillant d’une lumière froide.

— « Parce que je n’appartiens à aucune faction, aucune prophétie, aucun panthéon. Je suis le Vide dans lequel on peut réécrire les lois. Et Ætheria l’a compris. »

Lioren, jusque-là resté silencieux, rompit enfin son mutisme :

— « Tu es donc une anomalie… mais voulue. Une brèche façonnée volontairement. »

— « Exactement. »

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Kaeliss, bras croisés, s’avança vers le centre :

— « Et ton corps… cette "création organique d’urgence" que tu as utilisée contre la créature d’Éden-Lir. C’était quoi, en vérité ? »

— « Ce n’était ni une invocation, ni une illusion. C’était moi, sous une forme façonnée par Ætheria, pour survivre à une issue inévitable. Une version de moi issue d’un flux potentiel… une existence parallèle prête à être imprimée sur le réel. »

Mélione frissonna.

— « Tu veux dire que tu contiens plusieurs versions de toi-même, prêtes à surgir ? »

— « Je contiens… des possibles. Je suis en train de les découvrir, comme vous. »

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Nysha leva les yeux, hésitante :

— « Et si Ætheria décidait de te reprendre ce don ? »

Ma-Théo marqua un silence.

— « Alors je disparaîtrai. Car je suis son instrument. Mais en attendant, je veux l’utiliser pour vous protéger. »

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La conversation glissa vers un autre niveau lorsque Raskh posa une question simple, brutale :

— « Et ce “Sceau Originel”, c’est quoi au juste ? »

Ma-Théo se redressa, activant une nouvelle projection. Cette fois, un immense mécanisme circulaire apparut dans un plan éthéré, composé de douze anneaux entrelacés.

— « C’est la clef. Le noyau de l’ordre actuel. Celui qui sépare les dieux des mortels. Qui bloque certaines lignées, scelle certaines magies… Il est maintenu par les Douze Vérités. »

Tharn hocha lentement la tête.

— « Et tu veux le briser ? »

— « Pas briser. Le réécrire. »

Un silence abyssal s’abattit. Puis, Ætheria murmura dans son esprit :

> « Tu marches sur le fil du possible. Mais je suis là. Jusqu’au bout. »

Ma-Théo ferma les yeux.

— « Je n’ai pas encore décidé… Mais je voulais que vous sachiez. »

Elle fixa chacun de ses compagnons dans les yeux.

— « Si vous restez avec moi après cette nuit, ce sera en pleine conscience de ce que je suis. De ce que je peux devenir. »

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Lentement, un à un, les membres de la Nébuleuse Noire vinrent poser une main sur son épaule, son bras, son dos.

— « On ne t’a pas suivie pour ce que tu es… » dit Nysha. « … mais pour ce que tu choisis de devenir. »

Et dans ce moment suspendu, sous le ciel éclaté de ce monde mourant, une chose devint claire :

Ils avaient choisi. Ensemble.