Charlie émergea lentement du sommeil, bercée par le martèlement régulier de la pluie contre la baie vitrée. Un son lancinant, hypnotique, qui l’invitait à se réfugier plus profondément sous la couette, à prolonger encore un instant cette douce léthargie. Elle laissa échapper un grognement étouffé en se retournant, espérant grappiller quelques précieuses minutes de répit. Mais Lucky, son jeune Berger d’Anatolie, ne partageait pas son désir d’oisiveté. Déjà debout, frémissant d’excitation, sa queue battait le sol avec une impatience non dissimulée. Pour lui, il n’était plus temps de paresser : l’heure de sa sortie matinale, son rituel sacré, était arrivée.
Elle expira longuement, résignée. ‘’La pluie’’. Elle détestait ça. Tout était plus gris, plus morne, et ça annonçait ‘’une journée de merde’’. Son pad, activé par le son de sa voix encore enrouée, projeta l’heure en chiffres lumineux : 8h27. ‘’Pas de cours avant l’après-midi’’. Mais Lucky attendait, et elle n’avait pas vraiment le choix.
Elle quitta son lit à contrecœur, frissonnant en sentant le contact glacé du parquet sous ses pieds nus. Un long étirement, une tentative de s’éveiller un peu plus, avant de se diriger d’un pas traînant vers la cuisine. Ouvrant un placard, elle attrapa machinalement un paquet de croquettes qu’elle versa dans la gamelle. Le chien ne se fit pas prier, bondissant sur son repas, brisant le silence matinal par le bruit vigoureux de ses mâchoires affamées.
Soudain, un bip sonore retentit. Elle sursauta légèrement, avant de voir son pad s’illuminer, projetant un appel entrant en visio au-dessus de son poignet. ‘’Maman… Merde’’.
Alors qu’elle s’apprêtait à s’affaler sur une chaise, elle hésita à décrocher, puis elle accepta l’appel en soupirant. L’image de sa mère apparut immédiatement devant elle, légèrement translucide mais bien nette. Une femme élégante, aux cheveux roux soigneusement attachés et aux traits stricts, la regardant avec un air mi-amusé, mi-exaspéré.
— Ma chérie, joyeux anniversaire !
Charlie cligna des yeux, son cerveau encore embrumé. ‘’Mon anniversaire ?’’. Elle jeta un regard vers le calendrier projeté sur le mur de la cuisine : « 18 avril 2068 ». ‘’Putain’’. Elle l’avait complètement oublié.
— Oh…merde… merci, maman.
— Tu avais encore oublié, c’est ça ? Sa mère haussa un sourcil, puis détailla son visage encore marqué par le sommeil. Regarde-moi cette tête… tu viens juste de te lever, pas vrai ?
Charlie pinça ses lèvres, refusant de répondre, son regard fuyant légèrement l’écran lumineux projeté devant elle. Un réflexe. De l’autre côté, sa mère l’observa un instant, puis laissa échapper un soupir, lourd de sous-entendus, empreint de cette exaspération familière qu’elle connaissait par cœur.
— À ton âge, même quand je n’avais pas cours, j’étais déjà en train d’étudier d’arrache-pied à la première heure.
Charlie roula des yeux, mais se garda bien de répondre. Elle connaissait la rengaine par cœur.
— Bref, c’est ton anniversaire n’en parlons pas ! C’est une belle journée pour grandir n’est-ce pas ? Ce soir, dîner en famille. 20 heures précises. Pas de retard ma chérie.
Charlie se mordit la lèvre une seconde fois. L’idée de passer la soirée avec ses parents, sa sœur et son frère, à parler médecine et avenir la fatiguait déjà.
— D’accord, j’y serai.
— Eliott vient aussi ?
Son regard glissa sur les vitres, suivant distraitement les gouttes de pluie qui traçaient des sillons irréguliers sur le verre. Elle observa leur lente descente, comme si elles cherchaient à s’accrocher avant d’être inexorablement entraînées vers le bas. Un peu comme sa relation avec Eliott. ‘’Eliott…’’. Son copain, du moins en théorie. Une présence stable, un choix logique. Quelqu’un de bien, quelqu’un qui cochait toutes les cases. Poli, attentionné, intelligent. Un futur médecin brillant, celui que ses parents adoraient, celui qui disait toujours ce qu’il fallait dire, faisait toujours ce qu’il fallait faire. Un homme parfait sur le papier.
Mais pas pour elle.
Elle ne l’aimait pas. ‘’Pas vraiment’’. Il était là parce qu’il fallait bien quelqu’un, parce que l’idée d’être seule sonnait pire que l’ennui d’une relation sans passion. Parce qu’il était simple, prévisible, un repère dans une existence qui lui échappait.
Elle savait qu’il aurait dû être là ce soir, qu’il aurait voulu l’être. Mais l’idée même de sa présence l’oppressait. Une soirée de plus à sourire mécaniquement à ses côtés, à écouter ses compliments feutrés, ses questions sur ses études, ses projets d’avenir. Une soirée à jouer un rôle. ‘’Non. Pas ce soir’’. Elle resserra sa prise sur son t-shirt et inspira profondément avant de lâcher, d’une voix détachée.
— Non, il est de garde à l’hôpital.
Un mensonge glissé avec une facilité déconcertante. Elle n’avait pas envie qu’il soit là. Et il ne le serait pas.
— Dommage. Mais au moins lui est un bon étudiant, un interne qui doit faire plaisir aux médecins qui le forme ! Pas de réponse de la part de Charlie. Bien… À ce soir alors ma chérie. Je t’aime.
— Moi aussi, à ce soir.
D’un simple mouvement de poignet, l’écran se referma, plongeant la pièce dans un silence pesant. Charlie expira longuement, un soupir chargé de lassitude, avant de se détourner. Son regard tomba sur un jogging gris, un peu difforme et légèrement froissé, abandonné sur une chaise. ‘’Parfait’’. Elle l’attrapa et l’enfila rapidement, sans vraiment se soucier de son apparence, puis attrapa un manteau chaud qu’elle passa par-dessus. Pour compléter sa tenue, elle enfila un bonnet en laine, dissimulant tant bien que mal ses cheveux en bataille, refusant toujours de se discipliner.
Pas une tenue soignée, mais peu importe. ‘’On s’en fout’’. De toute façon, elle ne croiserait personne d’important au parc.
Son reflet dans le miroir du couloir lui renvoya une image familière, qu’elle n’avait pourtant jamais vraiment pris le temps d’analyser. Une silhouette élancée, fine, mais pas frêle. Son corps portait les marques d’une activité physique régulière, non pas par passion, mais par obligation. Une contrainte plus qu’un choix. C’était Eliott qui l’avait poussée à l’accompagner à la salle de sport, convaincu que cela leur ferait du bien à tous les deux. À force de séances imposées, son corps avait sculpté une musculature discrète mais bien définie, un subtil équilibre entre endurance et résignation. Ses épaules légèrement anguleuses, sa taille marquée, sa souplesse nerveuse trahissaient son incapacité à rester en place.
Son regard remonta vers son visage. Des yeux verts perçants, légèrement en amande, dont l’éclat variait selon son humeur, lumineux, presque émeraude sous certaines lumières, froids et glacials lorsqu’elle était contrariée. Encadrés de cils sombres, ni particulièrement longs ni recourbés, ils lui donnaient cet air toujours un peu sévère. Un nez droit, légèrement retroussé au bout, qui lui conférait parfois un air effronté malgré elle. Des lèvres naturellement rosées, ni trop épaisses ni trop fines, mais souvent pincées, reflet de son agacement perpétuel.
Sa peau claire était constellée de quelques taches de rousseur éparses, vestiges d’une enfance où le soleil n’avait jamais eu beaucoup d’emprise sur elle. Ses joues, parfois teintées de rose, surtout lorsqu’elle s’agaçait ou était prise au dépourvu, ce qui ne faisait qu’accentuer son irritation, étaient tout ce qu’il y avait de plus banale.
Quant à ses cheveux… ‘’Un vrai foutoir’’. Un roux flamboyant, indiscipliné, toujours en bataille malgré ses tentatives désespérées de les dompter. Des mèches rebelles s’échappaient de son bonnet, encadrant son visage d’un désordre incontrôlable. Trop courts pour être attachés, trop longs pour être ignorés, ils lui tombaient sans cesse sur les yeux, l’obligeant à les repousser d’un geste agacé.
Elle se fixa un instant, détaillant chaque imperfection, chaque détail qu’elle jugeait insignifiant. ‘’Rien d’extraordinaire’’. Mais ce n’était pas totalement vrai.
— Lucky, on y va.
Elle attrapa les clés de sa voiture, ‘’pas question de marcher sous cette foutue pluie’’. Elle ouvrit la porte de son appartement, descendit les escaliers jusqu’au parking du bâtiment et s’engouffra dans sa voiture, Lucky prenant place sur le siège passager.
Le parc s’étendait devant elle, verdoyant malgré le temps maussade. L’air était humide, chargé de cette odeur de terre mouillée qu’apportait toujours la pluie. Malgré le crachin persistant, plusieurs personnes étaient présentes, emmitouflées dans leurs manteaux, promenant leurs chiens comme chaque matin. Charlie ouvrit la porte de sa voiture, Lucky bondit hors de l’habitacle, la langue pendante, excité à l’idée de rejoindre ses compagnons de jeu. Le parc était sécurisé, clôturé, un espace où les chiens pouvaient courir librement.
Sans attendre, elle détacha sa laisse. Le berger ne perdit pas une seconde et s’élança en direction d’un grand husky qui venait de remarquer son arrivée. Neo, un mâle à l’allure imposante, mais au caractère sociable et doux. Il bondit à son tour, engageant immédiatement une course joyeuse avec Lucky. Derrière eux, une petite chienne métisse au pelage marron trottina doucement avant de se joindre au duo. Lona, plus calme en apparence cependant agressive avec les inconnues.
Charlie s’approcha d’un banc légèrement humide et s’assit aux côtés des maîtresses de Neo et Lona ; Ika et Miko. Comme toujours, elles étaient là, à la même heure, à la même place, un repère immuable dans la routine du matin.
Elle n’était pas amie avec ce duo. Pas au sens habituel du terme. Elles ne se confiaient pas, ne s’interrogeaient jamais sur leur vie en dehors du parc. Elles existaient simplement dans le même espace, des présences familières qui apportaient une certaine constance à ses matinées.
Ika, la plus expressive des deux, était une jeune femme de trente ans, au visage solaire et à l’enthousiasme communicatif. Blonde cendrée, ses cheveux attachés en queue-de-cheval lâche, elle affichait toujours un air dynamique, comme si l’énergie coulait en permanence dans ses veines. Ses yeux bleus pétillaient, un éclat malicieux y flottait souvent, trahissant sa nature bavarde et extravertie. Mince mais tonique, elle était habituée à gérer des animaux de grande taille, un atout dans son métier de zoologiste. Vêtue d’un jean et d’un sweat-shirt confortable, elle dégageait une impression de simplicité chaleureuse, une femme qui mettait facilement les gens à l’aise, passionnée par son travail et engagée dans des associations de protection animale.
À ses côtés, Miko contrastait par sa présence plus réservée et pragmatique. Des cheveux bruns très foncés courts, souvent ébouriffés, elle ne s’embarrassait pas d’apparences, affichant toujours un style fonctionnel, à mi-chemin entre le jogging pratique et les vêtements techniques adaptés à son travail de vétérinaire. Plus petite, et moins athlétique, elle était tout de même taillée pour le mouvement, pour gérer les chiens les plus difficiles avec une assurance naturelle. Ses yeux noisette, légèrement plissés, donnaient l’impression qu’elle observait en permanence, analysant aussi bien les comportements canins qu’humains. Calme, posée, et sans détour, elle ne perdait jamais son temps en faux-semblants.
Charlie savait seulement qu’elles vivaient en colocation depuis des années, inséparables, fonctionnant comme une dualité parfaitement équilibrée. Ika, solaire et expansive. Miko, terre-à-terre et pragmatique. Deux personnalités opposées, mais étrangement complémentaires, liées par un amour inconditionnel pour les animaux et un quotidien partagé sans artifice ni hypocrisie.
Charlie ne s’était jamais demandé pourquoi elles étaient aussi fusionnelles. Peut-être parce que ça ne la regardait pas. Peut-être parce que, au fond, leur relation lui rappelait ce qu’elle n’avait jamais eu : un lien évident, simple, une complicité qui ne demandait pas d’explication.
— Il commence à faire froid. Lança Miko en resserrant son écharpe autour de son cou.
— Ouais, et avec toute cette pluie, ils vont nous ramener une sacrée pagaille à la maison. Ajouta Ika en regardant son husky rouler dans l’herbe détrempée.
Charlie soupira en songeant à l’état dans lequel Lucky allait être en rentrant. Il lui faudrait un bon quart d’heure pour nettoyer ses pattes et éviter qu’il ne transforme son salon en champ de boue.
— Au fait, demain, j’aurai un nouveau chien. Annonça Ika avec un sourire en regardant Charlie.
Charlie leva un sourcil distraitement.
— Un autre ?
— Ouais, un rescue de Roumanie. Il s’appellera Shami. Il a tellement de races mélangées qu’on ne peut même pas deviner ce qu’il est exactement. Noir et blanc, un vrai mystère.
— Il a l’air adorable ! Lucky va bien l’aimer j’espère. Répliqua Miko avec enthousiasme.
— Oui, j’ai trop hâte. J’espère juste que Neo, Lona et lui s’entendront bien aussi.
Charlie écoutait à peine. Elle n’avait jamais eu grand-chose à dire sur les chiens des autres. La discussion l’ennuyait, et elle n’avait qu’une envie : rentrer. Son regard se porta vers Lucky, désormais couvert de boue et trempé. ‘’Génial’’.
Après une heure de patience, elle se leva et siffla son chien.
— Allez, mon grand, on rentre.
— À demain peut-être. Lança-t-elle à Miko et Ika, qui lui firent un signe chaleureux.
Lucky accourut vers elle, joyeux et sale. Charlie grimaça. Impossible de le mettre sur le siège avant comme ça. Elle ouvrit plutôt le coffre et lui ordonna de sauter à l’intérieur. Le berger s’exécuta sans protester, et elle referma sur lui. Charlie regagna sa place au volant et démarra.
Elle roula des yeux en entendant Lucky gratter contre la séparation du coffre. Il était encore surexcité de sa sortie, et maintenant qu’il était enfermé, il n’avait qu’une obsession : passer à l’avant.
— Lucky, reste tranquille ! Cria-t-elle en jetant un coup d'œil dans le rétroviseur.
Mais le chien ne l’écoutait pas. Il poussait contre la grille de séparation avec obstination, sa langue pendante et ses yeux brillants d’excitation. ‘’Putain, quelle idée d’avoir un chien aussi têtu’’.
Alors qu’elle reportait son attention sur la route, son pied s’enfonça sur l’accélérateur au moment précis où le feu passa au vert. La pluie brouillait légèrement sa vision, mais la voie était dégagée.
Jusqu’à ce qu’un éclair noir surgisse dans son champ de vision. Elle n’eut pas le temps de comprendre.
Une masse métallique jaillit sur sa droite à une vitesse fulgurante, et l’impact la frappa de plein fouet. Un choc brutal, un bruit d’explosion sourde. Son corps fut projeté violemment contre la portière, son crâne heurtant la vitre avec une force qui fit vibrer ses os.
Le crissement atroce des pneus sur l’asphalte détrempé déchira l’air, un bruit strident qui vrilla ses tympans. La ceinture se tendit brusquement contre sa poitrine, lui coupant le souffle. Sa voiture pivota dans une gerbe d’eau et de métal brisé, un demi-tour incontrôlé qui l’envoya heurter le trottoir dans un bruit de tôle écrasée.
Pendant une fraction de seconde, tout sembla se suspendre.
Ses mains tremblaient encore sur le volant, son souffle court, erratique. Un sifflement sourd envahissait ses oreilles, couvrant momentanément les sons extérieurs. Ses paupières papillonnèrent, sa vision troublée par le choc. Elle prit une grande inspiration, mais l’air peina à entrer. Sa cage thoracique était comprimée, douloureuse sous la violence du coup. Son cœur battait à un rythme frénétique, cognant contre sa poitrine comme s’il tentait d’en sortir. Elle bougea légèrement, regarda son corps, mais pas de sang sur ses vêtements. ‘’Vivante’’. Mais sonnée.
Le premier son qui lui revint fut un aboiement affolé.
— Lucky !
Elle tourna aussitôt la tête vers l’arrière. Lucky était debout dans le coffre, déséquilibré, les oreilles en arrière, mais apparemment indemne. Elle sentit une vague de soulagement la traverser, mais immédiatement, son instinct professionnel reprit le dessus. ‘’Évaluation rapide des dommages’’. Comme elle l’avait appris en cours, elle se força à analyser son propre état. ‘’Pas de vision trouble, pas de nausées, pas de douleur aiguë à la tête, plus de sifflements dans les oreilles’’. Elle bougea ses doigts, puis ses jambes. ‘’Réflexes normaux. Pas de commotion cérébrale évidente. Pas de fracture. Seulement une légère douleur au bras gauche’’, probablement due au choc contre la portière. Elle prit une grande inspiration pour calmer son cœur qui battait encore trop vite. Elle allait bien.
Puis, elle regarda dehors. Une voiture noire, massive, était encastrée dans la sienne, son flanc droit enfoncé par l’impact. Un homme en sortit d’un geste brutal, comme s’il arrachait la portière au passage. Il était immense, une stature de géant. ‘’Trop grand’’. Son ombre, projetée par les néons et le soleil, ruisselait sur le bitume mouillé. Il devait faire au moins deux mètres, et chaque détail de son corps respirait la puissance brute. Large d’épaules, une carrure imposante, pas le genre de musculation purement esthétique des hommes qui passent leur temps en salle, ‘’non’’. Le genre de muscles façonnés par la nécessité, par des années de travail.
Sa démarche était pesée, méthodique, comme un prédateur qui sait qu’il domine son environnement. Sa chemise sombre, trempé par la pluie, collait à sa peau, révélant des lignes fermes, dessinées avec précision, un torse qui semblait avoir encaissé des chocs plus violents que celui-ci.
Son visage, un mélange de dureté et de détachement. Une mâchoire ciselée, marquée par une tension constante, des pommettes hautes et des traits qu’on aurait presque pu qualifier de beaux s’ils n’avaient pas été aussi durs, aussi fermés. Ses cheveux noirs, trempés, retombaient en désordre sur son front, des mèches collées par l’eau qui ruisselait le long de sa peau légèrement hâlée.
Mais c’étaient ses yeux qui frappaient le plus. Bleu acier, froids, incisifs, comme des lames de glace qui vous dissèquent en une fraction de seconde. Pas une once de douceur dedans. Juste du calcul, de l’irritation et un mépris à peine voilé. ‘’Putain d’ours mal léché’’, voilà ce qu’il lui inspira immédiatement. ‘’Le genre de mec qui doit penser que le monde lui appartient’’.
— Putain, la caisse ! Pesta-t-il en constatant l’état du pare-chocs avant. C’est une blague ou quoi ?!
Et évidemment, sa première réaction ne fut pas de demander si elle allait bien. Charlie resta immobile une seconde. ‘’Sérieusement ?’’. Il venait littéralement de la percuter, et ‘’tout ce qui l’intéresse, c’est sa bagnole ?’’. Elle sentit un agacement profond lui nouer le ventre. ‘’Encore un pauvre con, un mâle dominant qui doit penser que sa précieuse voiture a plus d’importance que tout le reste’’. Elle ouvrit sa portière d’un geste sec et descendit sous la pluie battante. Il parlait toujours tout seul, jurant entre ses dents, l’air furieux en détaillant l’état de son véhicule.
— T’es sérieux là ? Lâcha-t-elle sans s’en rendre compte en levant les bras.
L’homme tourna brusquement la tête vers elle, et son regard la transperça immédiatement. Il la détailla une seconde, son expression oscillant entre exaspération et condescendance.
— Je suis sérieux ? Il éclata d’un rire sans humour. Tu sais comment fonctionne un feu de circulation, au moins ?
Charlie le fixa, incrédule. L’absurdité de la situation la frappa de plein fouet, et un frisson d’indignation remonta le long de sa colonne vertébrale. Son cœur accéléra sous l’effet de la colère naissante, ses doigts se crispèrent malgré elle. ‘’Il a osé ?’’. Après lui avoir foncé dedans, il osait la prendre de haut avec cet air dédaigneux. Une vague de frustration pure lui brûla la poitrine, son souffle se fit plus court alors que ses mâchoires se serraient. Ses muscles se tendaient sous l’irritation grandissante, et déjà, une réplique acide lui brûlait les lèvres.
— Tu crois que je t’ai laissé me rentrer dedans pour le plaisir ?
— Je crois surtout que t’as besoin d’un rappel des bases du code de la route. Il haussa la voix, sarcastique. Rouge, on s’arrête. Vert, on avance. C’est pas compliqué.
Charlie sentit une colère brute lui foudroyer les entrailles, une rage qu’elle n’avait jamais ressentie avec une telle intensité. Ce n’était pas juste de l’agacement, pas juste une irritation passagère, c’était un incendie qui lui brûlait la poitrine, un trop-plein d’exaspération et d’indignation qui s’emballait violemment. Ses pensées s’embrouillaient, une tempête furieuse lui vrillant le crâne, et elle sentit son visage s’échauffer sous l’émotion. ‘’Il se fou de moi ? Il s’autorise à me parler comme si j’étais une idiote ?’’. Un éclat de rage pure traversa son regard, et à cet instant précis, elle n’avait jamais eu autant envie d’étrangler quelqu’un.
— Mon feu ÉTAIT vert, conard !
— Et le mien non, peut-être ?!
Ils se retrouvèrent à deux mètres l’un de l’autre, se fusillant du regard, criant presque, la colère montant en flèche.
— T’es juste incapable d’admettre que t’as fait une connerie ! Lança-t-elle.
— Comme si ! Et toi t’es incapable de voir ce qui est juste sous tes yeux !
Les passants ralentissaient, certains s’arrêtaient pour observer la scène. Deux inconnus se hurlant dessus sous une pluie devenue glaciale, des épaves de voiture à leurs côtés.
Dans le coffre, Lucky aboyait comme un forcené, sentant la tension. Un grondement sourd, suivi d’un jappement puissant. Il poussa contre la séparation, encore et encore… et réussit à bondir hors du coffre. Charlie s’attendait à ce qu’il saute sur le ‘’connard’’ en face d’elle, mais à sa grande surprise, le chien ne montra aucun signe d’agressivité. Au lieu de ça, il trottina autour de l’homme et s’arrêta devant lui, la queue légèrement relevée, mais non-menaçante. L’homme jeta un léger regard vers Lucky, mais ne recula pas d’un pouce. Il ne bougea même pas. ‘’Pire encore’’. Sans même cesser de crier sur Charlie, il tendit machinalement la main et passa ses doigts dans le pelage du berger.
— Si t’es pas foutue de conduire, faut éviter de prendre le volant, c’est pourtant évident ! Tonna-t-il, tout en caressant Lucky du bout des doigts.
— T’as fini, oui ?! S’énerva-t-elle.
L’homme releva lentement la tête vers elle, un sourire s’étirant sur ses lèvres avec une insupportable lenteur, comme s’il dégustait chaque seconde de son irritation. Son rictus, teinté d’un mépris, laissait entendre qu’il la trouvait presque divertissante dans sa colère impuissante. Son regard bleu acier, glacial et perçant, s’accrocha au sien avec une suffisance nonchalante, comme s’il l’évaluait, la jaugeait, certain d’avoir déjà gagné ce duel verbal avant même qu’elle n’ouvre la bouche. Il n’avait même pas besoin de parler. Son sourire suffisant parlait pour lui. ‘’Ce foutu sourire narquois’’. L’expression d’un homme intouchable, inattaquable, qui savourait avec un plaisir manifeste chaque once de frustration qu’elle lui offrait.
— Finis quoi ? De t’écouter brailler comme une hystérique ?
— Mais, vas te faire enculé !
— Je t’attends !
Elle s’apprêtait à répliquer, mais il la détailla soudain de haut en bas, son regard devenant plus lent, plus appuyé. Ses yeux glissèrent sur elle avec une analyse méthodique, détachée, comme s’il jaugeait une proie plutôt qu’une adversaire. Une lueur d’exaspération mêlée de dédain brillait dans son regard, mais aussi une pointe d’amusement cruel, comme s’il trouvait un certain plaisir à la voir s’emporter. Il prit son temps, laissant son regard effleurer chaque détail de son apparence. Un sourire infime releva le coin de ses lèvres, pas un sourire chaleureux, mais une ombre railleuse, un rictus calculé qui trahissait une pensée moqueuse. Son regard remonta lentement jusqu’à croiser le sien, et l’intensité glaciale de ses prunelles lui donna l’impression d’être transpercée.
— Bordel, mais… c’est quoi cette tenue ?
Charlie fronça les sourcils, et, d’un ton sec et tranchant comme une lame, répliqua avec agressivité.
— Quoi ?!
— Non, parce que franchement… T’as fait un effort pour être aussi négligée, c’est un style que j’ignore ? Il la balaya l’air d’un geste. Le jogging difforme, la boue sur ton manteau, le bonnet qui crie « j’ai abandonné ma dignité depuis dix ans »… tu fais partie d’une secte qui vénère les sacs-poubelles, ou c’est juste ta façon d’exister ?
Charlie sentit la colère la brûler jusqu’aux oreilles, une montée fulgurante de rage qui lui embrasa la poitrine et fit trembler ses doigts de frustration. Son souffle se coupa un instant sous l’intensité du mépris qu’il dégageait. C’était la goutte de trop. Un torrent de fureur brute, un martèlement insoutenable pulsa à l’intérieur de son crâne, et son corps tout entier se tendit, prêt à exploser.
— Pardon ?!
— Sérieusement, t’as vu ta gueule ? Si t’avais fait un effort pour t’habiller correctement, t’aurais peut-être aussi appris à mieux voir la route. Les gens qui ont un minimum de respect pour eux-mêmes ont aussi assez de neurones pour pas griller un feu. Pas étonnant qu’une fille qui s’habille comme des ordures soit incapable de conduire correctement.
— Oh pardon, Monsieur le cliché ambulant ! Elle le toisa de bas en haut, exagérant ses gestes avec mépris. Chemise noire, costume impeccable, montre hors de prix, une putain de voiture de luxe… Elle secoua la tête en ricanant. T’es quoi, un catalogue vivant de « l’homme d’affaires alpha » conducteur professionnelle de donneur de leçons ?! Son ton se fit plus tranchant. Laisse-moi deviner, t’as un job en finance, tu passes ta vie à te regarder dans le miroir, et t’es persuadé que tout le monde t’admire alors qu’en fait, personne ne te supporte.
L’homme éclata un rire bref, un rire sec, mordant. Un éclat de voix rauque, moqueur, qui résonna entre eux comme un défi, comme s’il trouvait son analyse à la fois pathétique et divertissante. Son regard s'assombrit légèrement sous l'ombre d’un sourire carnassier, et il la fixa avec une arrogance brute, savourant l'idée qu'elle croyait pouvoir le cerner aussi facilement.
— T’as une imagination débordante, princesse des poubelles. Ça compense peut-être ton manque total de goût.
— Oh mais bien sûr, parce qu’il faudrait que je ressemble à un clone insipide comme toi pour être respectable ?!
Ils se fusillaient du regard, la tension était montée à un niveau alarmant, chacun serrant les poings, la pluie battante ne faisant qu'ajouter au décor absurde de leur dispute. Lucky, lui, se frottait encore aux jambes de l'homme, comme si de rien n'était. Charlie, hors d'elle, fit un pas brusque en avant pour attraper son chien, son corps tendu par la colère. Mais à peine elle esquissa le moindre geste, qu’une poigne de fer attrapa son avant-bras avec une force brutale.
Elle eut un sursaut, une douleur vive irradiant jusque dans son épaule. Ses yeux s’écarquillèrent en croisant ceux de l’homme. Un regard glacial, mais troublé. Un instant figé dans le temps. Il ne la lâchait pas. Son emprise était forte, presque douloureuse, prête à lui broyer les os si elle faisait un geste de travers. Charlie eut un frisson étrange, incontrôlé. ‘’Il pense que j’allais le frapper ?’’. Elle le voyait dans son regard, une sorte de doute furtif, un instinct de survie presque primaire. Il était sur ses gardes. Il avait l’air troublé. ‘’Presque… apeuré ?’’. Elle entrouvrit la bouche, essayant de formuler quelque chose.
— Non, mais…
— Bon, c’est quoi cette situation ?!
Une voix autoritaire les coupa net. Un policier venait d’arriver, l’air excédé, sa tablette à la main. Petit et légèrement voûté par la fatigue ou l’habitude, il portait l’uniforme réglementaire de la police parisienne, une veste sombre marquée du sigle de la Préfecture. Ses cheveux grisonnants, coupés courts, semblaient n’avoir pas connu une vraie nuit de sommeil depuis des lustres, et les cernes sous ses yeux creusaient son regard d’un marron délavé, presque éteint. Sur sa veste, Charlie aperçut un nom brodé en lettres capitales : « Lieutenant Moreau ».
Charlie et l’homme se tournèrent vers lui d’un même mouvement, toujours tendus, encore accrochés l’un à l’autre, avant que l’homme ne relâche enfin son emprise sur elle. Le policier posa une main ferme sur le manche de son arme, comme prêt à dégainer. Son regard fixé sur l’homme en face de lui, il était méfiant, presque hostile.
Charlie fronça les sourcils, sentant l’atmosphère changer brusquement. L’homme, lui, recula légèrement, levant instinctivement les mains, comme s’il voulait éviter un malentendu. Charlie, toujours dans l’incompréhension, secoua légèrement la tête avant de tendre la main vers Lucky. Elle attrapa son collier d’un geste ferme, empêchant le chien de s’exciter davantage. Puis, son regard croisa celui de l’homme, et son expression changea. Plus de colère, juste un éclat de regret, peut-être même d’excuse fugace. La tension qui enflait entre eux se dissipa en un instant. L’homme détourna la tête. Il passa une main sur sa nuque, visiblement gêné, ‘’un tic nerveux ?’’. Le policier, toujours sur ses gardes, avança d’un pas et les fixa tour à tour.
— Alors, qu’est-ce qui s’est passé ici ?
— Une fois que le feu est passé au vert, ce mec m’est rentré dedans ! Lâcha-t-elle, accusatrice.
La tension remonta aussitôt. L’homme tourna brusquement la tête vers elle, l’expression glaciale, outré par ce qu’il venait d’entendre.
— Pardon ? Répliqua-t-il, sa voix grave trahissant son exaspération. C’est moi qui suis passé au vert, idiote. J’ai essayé de freiner, mais j’ai pas pu éviter ta bagnole.
— Tu veux dire que TU m’as foncé dedans comme un abruti incapable de gérer un freinage ?!
— Tu délires complètement ! Il secoua la tête, ahuri. T’as grillé ton feu et maintenant, tu veux me faire porter le chapeau ? Classique…
— Classique de quoi ?! Tu crois que je vais juste te laisser m’accuser de ta connerie ?!
Les insultes et les reproches fusaient de plus belle, ravivant la dispute avec encore plus d’intensité. D’abord patient, le lieutenant serra les dents, exaspéré, avant de lâcher un soupir bruyant et d’élever soudainement la voix.
— STOP ! Sa voix claqua dans l’air comme un coup de tonnerre, les figeant net. Si encore l’un de vous ouvre la bouche sans mon autorisation, je vous embarque tous les deux au poste !
Charlie sentit son cœur cogner de frustration. Elle ouvrit la bouche pour protester, mais le regard du policier la cloua sur place. Le lieutenant souffla lourdement encore une fois et désigna l’homme du menton.
— Vous, commencez. Racontez-moi votre version.
Charlie sentit une vague de frustration sourde monter. ‘’Pourquoi lui en premier ? Parce que c’est un homme ? Parce qu’il a l’air plus crédible, plus imposant ?’’. Le grand brun croisa les bras, haussa un sourcil moqueur comme s’il lisait dans ses pensées. Ce qui hérita fortement Charlie, elle mordilla sa lèvre s’obligeant à manger son frein pour ne pas parler de nouveau.
— J’étais arrêté, mon feu est passé au vert, j’ai avancé, et cette princesse s’est jetée devant ma voiture. Fin de l’histoire.
Charlie explosa, incapable de supporter un tel mensonge. Une bouffée de rage incontrôlable la submergea, son corps tout entier se tendit sous l'indignation. Son sang battait à ses tempes, sa respiration se fit plus saccadée, et sa voix jaillit, tranchante et furieuse, incapable de contenir l’injustice flagrante qu’il venait d’annoncer avec tant d’assurance.
— T’es vraiment qu’un..
— J’AI DIT TAISEZ-VOUS ! La voix du policier tonna à nouveau, et cette fois, ce fut trop. Mains dans le dos. Maintenant.
— Quoi ?! Charlie le fixa, abasourdi.
— Vous êtes sérieux ? Siffla l’homme, les yeux plissés.
— Immobilisez vos mains. Si vous contestez, je vous colle une autre charge. J’ai pas que ça à faire…
Le policier ne plaisantait pas. Exaspérés, mais contraints, Charlie et l’homme obéirent, laissant les menottes se refermer froidement sur leurs poignets. Mais l’homme, lui, serra les poings avec une tension presque palpable, sa mâchoire crispée à l’extrême, comme si ses muscles allaient céder sous la pression. Les yeux fermés un instant, il lutta silencieusement contre quelque chose en lui, une rage contenue, un instinct qu’il s’efforçait de maîtriser.
— Putain, mais c’est du délire ! Pesta Charlie.
— Si seulement tu l’avais fermée deux minutes, on n’en serait pas là. Lâcha l’homme, exaspéré.
Charlie tourna brusquement la tête vers lui, les yeux lançant des éclairs.
— Ah parce que maintenant c’est de ma faute ?!
— Tu veux un dessin peut être princesse ? Répliqua-t-il avec un sourire narquois.
Sans ménagement, le lieutenant fit entrer Charlie à gauche, l’homme à droite. Puis, il attrapa Lucky par son collier et le mit sur la banquette arrière. Lucky, imperturbable, s’assit entre eux, l’air vaguement curieux. La voiture démarra, avançant lentement sous la pluie battante. Et sans attendre, ils recommencèrent immédiatement à se quereller.
— Tout ça à cause de toi !
— Tu rêves, c’est toi la cause de ce bordel, princesse des ordures !
— Putain, mais t’as un problème d’ego ou quoi ?!
— Non, juste un problème avec les gens incapables de reconnaître leurs erreurs.
— C’est toi qui dis ça, espèce de..
— Oh POUR L’AMOUR DE DIEU, FERMEZ-LA TOUT LES DEUX ! Hurla le policier, au bord de l’implosion. Un silence pesant s’abattit sur l’habitacle. Lucky bâillant l’air heureux.
Le commissariat avait cette odeur caractéristique de renfermé et de café tiède. L’éclairage blafard accentuait les traits fatigués des agents qui allaient et venaient entre les bureaux, des piles de dossiers à la main. Charlie et l’homme furent conduits dans une petite salle, menottes retirées, mais placés face à un bureau métallique usé où le policier s’installa lourdement.
— Bien. On va commencer avec vos identités. Il leva les yeux vers Charlie. Nom, prénoms ?
— Musorny Charlie Mélisande.
À peine avait-elle fini de prononcer son nom qu’un éclat de rire étouffé retentit. Un rire bas, contenu, mais chargé d’une moquerie évidente. Charlie tourna lentement la tête vers l’homme assis à côté d’elle. Il riait, les épaules secouées d’un amusement qu’il peinait à masquer. ‘’Carrément !?’’. Elle le fixa, sidérée, son agacement s’intensifiant à une vitesse fulgurante.
— Un problème ? Lâcha-t-elle, la voix tranchante, déjà à bout de patience.
L’homme releva les yeux vers elle, un sourire moqueur toujours vissé à ses lèvres. Il tenta brièvement de retrouver son sérieux, mais le simple fait de croiser son regard sembla raviver son hilarité.
— Non, non… Répondit-il en reniflant légèrement, clairement amusé. C’est juste… t’as déjà regardé la traduction de ton nom en russe, princesse des poubelles…
Charlie sentit une vague de chaleur explosive lui monter au crâne. Son sang ne fit qu’un tour. ‘’Il se fou de moi ?’’. Ses mâchoires se serrèrent tandis qu’une envie viscérale de lui conférer une gifle cinglante la traversa.
— Tu veux vraiment finir avec une baffe sur ton joli visage ? Grinça-t-elle, ses doigts crispés sur ses cuisses pour se retenir.
Loin d’être intimidé, l’homme esquissa un sourire satisfait, un éclat joueur brillant dans ses yeux d’acier.
— Joli visage ? Fit-il, son ton presque charmeur, mais volontairement provocateur.
Le lieutenant, jusque-là spectateur silencieux, frappa violemment du poing sur la table, faisant sursauter Charlie et fusillant l’homme du regard.
— Ça suffit ! Gronda-t-il. Encore une remarque déplacée et vous passez la nuit en cellule.
L’homme leva aussitôt les mains en signe d’innocence, un faux air désolé sur le visage. Mais son rictus narquois ne disparut pas. Il se cala nonchalamment contre le dossier de sa chaise, l’air toujours aussi arrogant. Charlie, elle, se retint de l’étrangler sur place, son pied tapotant nerveusement le sol sous la table. Le lieutenant, manifestement au bout du rouleau, reprit d’un ton sec.
— Âge ?
— 26 ans.
— Date de naissance ?
— Aujourd’hui.
— Et l’année ?
— 2042
— Bon anniversaire… Sexe ?
Charlie fronça les sourcils, interloquée par la question. Elle redressa légèrement la tête, l’air faussement offensée.
— Sérieusement, c’est pas évident ? Elle arqua un sourire, sarcastique. Vous avez besoin que je vous le confirme.
— Pas si évident… Un murmure bas, à peine audible, du côté de l’homme.
Charlie se figea. Une seconde d’incompréhension avant que la colère ne la frappe de plein fouet de nouveau. D’un mouvement brusque, elle tourna la tête vers lui, les yeux menaçants.
— Quoi ?!
— Musorny, concentrez-vous. L’interrompit le policier, déjà excédé. Profession ?
— Étudiante en médecine bio-informaticienne, cinquièmes années, Université Paris Cité.
Le policier hocha la tête et continua l’interrogatoire. Charlie répondit aux autres questions d’un ton sec, mais sans plus prêter attention à l’homme à côté d’elle. Puis finalement, ce fut à son tour.
— Nom, prénom ?
— Andreev Yuri Sacha.
— C’est russe non ?
— Franco-russe.
— Bien… Âge ?
— 28 ans.
— Date de naissance ?
— 29 janvier 2040.
— Profession ?
— Militaire.
Charlie, qui s'était jusque-là contenté d'écouter, tourna soudainement la tête vers lui. ‘’Attends… il est vraiment militaire ?!’’. Elle plissa les yeux, détaillant Yuri sous un autre angle. Son allure, son attitude, sa carrure… tout collait. ‘’Mais un mec aussi insupportable dans l’armée pour sauver des gens ?’’. Elle n’arrivait pas à y croire. Yuri, souriait légèrement en voyant son expression, se contentant de croiser les bras sans rien ajouter. L’interrogatoire continua, mais Charlie décrocha un instant, encore interloquée.
Finalement, le lieutenant passa aux faits.
— Musorny, que faisiez-vous avant l’accident ?
— Je promenais mon chien au parc. Répondit-elle immédiatement. J’allais rentrer chez moi avant d’aller en cours cet après-midi.
Le policier se tourna vers Yuri, visiblement à bout de patience. Ses épaules s’affaissèrent légèrement dans un soupir las, et il passa une main fatiguée sur son visage, comme s’il regrettait déjà d’avoir à continuer cet interrogatoire. Son regard, lourd d’exaspération, s’attarda une seconde de trop sur lui, comme s’il espérait secrètement qu’il ne lui donnerait pas une nouvelle raison de perdre son sang-froid.
— Et vous ?
Yuri tendit son bras et activa son pad d’un mouvement fluide. Un hologramme bleu s’afficha au-dessus de son poignet, projetant les informations du véhicule, le nom de son ami, ainsi qu’une signature biométrique confirmant son autorisation à la conduire.
— J’avais pris la voiture d’un ami. On étaient à un enterrement, il est reparti avec sa famille et il fallait quelqu’un pour ramener sa caisse.
Charlie releva les yeux, surprise, une lueur de regret traversant son regard en entendant parler de l’enterrement, presque gênée d’avoir réagi avec autant d’animosité quelques instants plus tôt.
— Un enterrement ?
— Ouais. Répondit-il d’un ton neutre.
Elle sentit une pointe de malaise dans la pièce. Elle avait envie de lui dire ‘’désolée’’, mais elle se ravisa immédiatement. ‘’Non. C’est peut-être triste, mais ça reste un connard’’.
Le lieutenant, après avoir tout noté sur une feuille de papier, parla.
— Bon. Il posa les coudes sur la table. On va examiner les vidéos de surveillance. On saura rapidement qui est réellement en tort.
Charlie et Yuri ne dirent rien, mais échangèrent un regard de défi.
— En attendant, reprit l’agent, vous allez devoir échanger vos coordonnées pour gérer cette histoire avec les assurances.
Charlie soupira bruyamment pendant que le lieutenant tendit les mains vers eux pour que leurs pads se connecte. Elle jeta un dernier regard agacé à Yuri avant de tendre la main vers lui.
— Génial. Comme si ma journée n’était pas déjà assez merdique…
Yuri, affichant toujours son air narquois, tendit à son tour sa main vers elle.
— Crois-moi, c’est encore pire pour moi.
Devant le commissariat, la pluie avait cessé, mais le sol luisait encore sous les néons des lampadaires. L’air était froid, chargé d’humidité, et Charlie, tenue par une colère encore brûlante, tenait fermement le collier de Lucky. D’un geste rapide, elle activa son pad et commanda un Auto-Uber. À côté d’elle, Yuri n’avait même pas pris cette peine. Il ajusta sa chemise et tourna les talons sans un mot, s’éloignant d’un pas ferme et décidé comme si tout ça n’avait jamais eu d’importance. Charlie sentit un agacement explosif traverser son corps.
— Tu pars comme ça ?! Hurla-t-elle derrière lui.
Yuri s’arrêta net. Il se retourna lentement, lâcha un soupir exaspéré, puis planta ses yeux dans les siens avec un mépris évident.
— J’ai ton contact, sans aucun doute le plus pénible de mon pad. Dit-il d’un ton glacial. Je te contacterai quand j’aurai appelé l’assurance. D’ici là, j’espère ne pas revoir ta tronche de rouquine mal baisée. Compris princesse Musorny.
Charlie eut un sursaut de rage.
— Espèce de… connard ! Cracha-t-elle.
Mais il était déjà reparti. Elle resta immobile, bouillonnante, tandis que Yuri s’éloignait tranquillement, indifférent à ses insultes qui fusaient dans son dos.
— Gros tas de muscle sans cerveau ! Arrogant ! Pauvre con !
Quelques passants se retournèrent, intrigués, oscillant entre curiosité et perplexité. Sentant leur attention peser sur elle, un malaise insidieux lui noua l’estomac. Elle expira bruyamment, serrant la mâchoire avant de ravaler sa frustration, s’imposant le silence. Tout ce qu’elle désirait, c’était ne plus jamais croiser ‘’cet abruti’’. Mais elle savait que la réalité serait tout autre. Les assurances allaient les forcer à se reparler, et rien que d’y penser, elle se sentait déjà vidée.
Enfin, un Auto-Uber s’arrêta à sa hauteur. Sans un mot, elle s’engouffra à l’intérieur, Lucky sautant à ses pieds avec son calme habituel.
De retour dans son appartement, Charlie claqua la porte avec plus de force que nécessaire. Elle expira longuement, comme pour évacuer la tension accumulée, puis balança son manteau sur le canapé avant de s’occuper de Lucky, lui passant un rapide coup d’eau pour enlever la boue. Sans perdre une seconde, elle fila dans sa chambre. ‘’Hors de question de rester dans ces fringues sales’’. Elle ouvrit son dressing et attrapa des vêtements propres, soignés. Un jean bien coupé, un haut ajusté, une paire de bottines. Face au miroir, elle recoiffa rapidement ses cheveux, ajustant quelques mèches rebelles. Et là, la voix de Yuri résonna dans son esprit, claire comme s’il était derrière elle : « C’est quoi cette tenue ? T’as fait un effort pour être aussi négligée, c’est un style que j’ignore ? ».
Ses mâchoires se crispèrent instantanément. ‘’Pourquoi ça m’énerve autant ? Pourquoi je pense encore à ça ?’’. Elle se détailla dans le miroir et, à contrecœur, dut admettre qu’elle se trouvait bien. Mieux que tout à l’heure. Et c’était précisément ça qui l’agaçait. Parce qu’une partie d’elle savait que cet ‘’idiot’’ l’avait jugée, et que, d’une certaine manière, ça l’avait touchée plus qu’elle ne voulait l’admettre. ‘’Merde’’. Elle lâcha un soupir rageur, attrapa Lucky, déposa un baiser rapide sur sa tête et quitta l’appartement sans un regard en arrière.
‘’Quelle journée de merde…’’.
Son après-midi de cours traîna en longueur, aussi monotone qu’épuisante. Les mêmes amphithéâtres bondés, les mêmes visages tirés, les mêmes professeurs débitant leurs cours avec une indifférence mécanique. Charlie, fidèle à elle-même, restait en retrait. Certains étudiants tentaient parfois d’engager la conversation, mais elle se contentait de réponses brèves, froides, coupant court à toute tentative de rapprochement. Elle n’avait ni l’envie ni l’énergie de se mêler aux autres. Alors elle se contentait d’attendre que le temps passe, tapotant ses notes sans réel intérêt, exécutant machinalement ce qui était attendu d’elle.
L’heure tourna. Puis, d’un coup, tout bascula.
Les écrans holographiques s’éteignirent brutalement, projetant l’amphithéâtre dans une obscurité troublante. Les lumières s’évanouirent dans un claquement sec, et les tablettes connectées aux pads moururent simultanément. Un silence irréel s’abattit sur la salle. Une seconde d’incompréhension suspendue dans l’air. Puis, le chaos.
— C’est quoi cette merde ?! S’exclama quelqu’un.
— Mes notes ! Tout a disparu !
— Ça va revenir, non ?
Les voix s’entremêlèrent dans un brouhaha paniqué, comme si chacun venait de perdre une extension vitale de son propre corps. Autour d’elle, les étudiants fixaient leurs pads éteints avec une angoisse presque absurde, appuyant frénétiquement sur les écrans comme si cela pouvait les ramener à la vie.
Charlie, elle, haussa simplement un sourcil. ‘’Une panne d’électricité ? De réseau ?’’. C’était rarissime. Voire impensable, avec les ultra-réseaux énergétiques stables et les technologies de stockage avancées d’aujourd’hui. ‘’Bizarre. Mais pas dramatique. Ils l’avaient annoncé sur les réseaux.’’
Les professeurs s’agitaient, tentant sans succès de contacter l’administration, tandis que certains élèves se levaient, cherchant désespérément un signal inexistant. Charlie, elle, resta immobile, bras croisés, observant cette agitation avec un détachement amusé. ‘’Avant, on faisait comment déjà ? Ah oui. On écrivait sur du papier, on écoutait simplement le prof parler. Bande d’idiots…’’. Elle balaya l’amphithéâtre du regard. ‘’Apparemment, je suis la seule à m’en souvenir.’’ Un soupir lui échappa alors que le chaos prenait de l’ampleur. ‘’Bon… ça va juste me retarder un peu’’. Elle haussa les épaules. ‘’Peu importe.’’
Finalement, après quelques minutes, tout revint à la normale.
Lorsqu’elle quitta l’université, la nuit avait déjà commencé à tomber. Elle jeta un coup d’œil rapide à son pad : ‘’19h10’’. Il lui fallait une heure pour rejoindre ses parents. Rien que d’y penser, elle sentit la fatigue l’envahir. Elle savait exactement comment la soirée allait se dérouler. Son père, exigeant comme toujours. Sa mère, stricte, mais avec cette douceur qui la rendait encore plus insaisissable. Son frère, impeccable, sans jamais une fausse note. Un long grognement lui échappa alors qu’elle commandait un Auto-Uber.
Arrivée devant la maison familiale, elle leva les yeux vers l’heure projetée sur son écran. ‘’Dix minutes de retard’’. Les remarques allaient tomber, elle pouvait déjà les entendre. Et ‘’ce dîner…’’. Ce dîner allait être une épreuve.
Elle inspira profondément, chassa son agacement du mieux qu’elle pouvait et poussa la porte d’entrée.
— BON ANNIVERSAIRE CHARLIIIIE !
La clameur explosa autour d’elle, une vague de joie bruyante qui l’assaillit de plein fouet. Des sourires éclatants l’accueillirent, des bras s’ouvrirent, impatients de l’enlacer. L’enthousiasme était sincère, débordant, presque envahissant. Ils étaient heureux. Elle, beaucoup moins.
Elle esquissa un sourire, s’efforça de jouer le rôle attendu, mais déjà, une sensation oppressante lui serrait la poitrine. Trop de chaleur, trop de proximité, trop d’amour étouffant. Des baisers déposés sur ses joues, des étreintes appuyées, des mots doux qu’elle peinait à absorber. Elle se laissa faire, portée par cette affection envahissante, se noyant dans l’amour inconditionnel de cette famille parfaite, ou du moins, trop parfaite pour elle.
— Tu es en retard. Son père lâcha cette phrase d’un ton calme mais appuyé, tout en consultant l’heure projetée sur son pad.
— Treize minutes. C’est rien papa. S’exprima le frère de Charlie, en faisant un clin d’œil à sa sœur.
Charlie retint un soupir et s’installa à table.
Le repas battait son plein, baigné dans une atmosphère où chaque échange semblait millimétré, chaque sourire bien en place.
Son père, Paul, cinquante-cinq ans, chirurgien cardiaque de renom, incarnait l’autorité sereine. Posé, charismatique, toujours maître de la situation, il parlait avec cette assurance naturelle qui imposait le respect. À ses côtés, sa mère, Élise, cinquante-neuf ans, chirurgienne orthopédiste mondialement reconnue, une femme d’exception. Disciplinée, stricte, mais dotée d’une affection perturbante, presque méthodique, comme si aimer était une chose qui se faisait avec rigueur, mais douceur.
Ensuite, Laurent. Son frère aîné, trente-et-un ans, l’incarnation du fils parfait. Rouquin foncé, toujours impeccablement coiffé, des yeux marron profonds, expressifs, et une allure élégante en toute circonstance. Grand, mince, il respirait cette aisance naturelle qui rendait son autorité aimante mais indiscutable. Chirurgien obstétrique brillant, il était passionné par son métier, investi dans chaque décision qu’il prenait.
Et puis, Simon. Son mari. L’exception dans cette table de sommités médicales. Architecte à l’esprit libre, plus extraverti que Laurent, plus spontané, plus impulsif. Avec son corps rond, sa peau légèrement mâte, ses cheveux noirs frisé en bataille et ses yeux gris perçants, il tranchait radicalement avec l’élégance millimétrée de son mari. Toujours bien habillé, mais avec cette touche décontractée qui rendait son allure faussement négligée.
Contrairement à l’ambiance feutrée et mesurée de la famille Musorny, Simon ne craignait pas de briser les convenances. Il était plus bruyant, plus joueur, et il s’amusait particulièrement à provoquer Charlie, à la pousser hors de son confort.
Dès qu’elle s’était installée, il lui avait lancé un sourire taquin, une étincelle de malice dans le regard.
— Alors, ma demoiselle Charli-li honore enfin un dîner officiel ? Un sous-entendu clair : « Tu crèves d’envie de fuir, hein ? ».
Charlie lui lança un regard assassin, mais il ne se démonta pas. Simon adorait la faire réagir, et elle le savait. Il voyait son malaise bien mieux que les autres. Malgré leurs différences, lui et Laurent formaient un duo parfaitement équilibré, mais explosif. Simon, vif et spontané, Laurent, réfléchi et mesuré. Ils se disputaient souvent, mais toujours avec une pointe d’humour, une dynamique qui n’avait jamais faibli depuis le début de leur relation. Leur amour était évident, un mélange de complicité et d’admiration sincère, quelque chose de solide et durable, loin des illusions.
Enfin, Lucie, dix-sept ans, la petite dernière. Encore au lycée, mais déjà sur la voie toute tracée de la médecine, comme une évidence, comme une fatalité.
Autour d’eux, d’autres convives. Des amis de leurs parents, des médecins, des chercheurs, des figures brillantes. Des conversations rythmées par des anecdotes de salle d’opération, des avancées médicales, des carrières en pleine ascension. Un monde auquel Charlie appartenait sans jamais s’y sentir à sa place.
L’ambiance était parfaite. Une famille unie, harmonieuse, exactement comme elle devait l’être. Chacun à sa place, fier de son parcours, de ses réussites. Une famille qui brillait dans son propre écosystème, où tout le monde semblait aimer ce qu’il faisait. Tout le monde… sauf elle. Charlie ne collait pas au tableau. Elle écoutait distraitement les conversations, les exploits médicaux, les patients sauvés, les anecdotes d’opérations spectaculaires. Mais elle, elle n’avait rien à ajouter. Elle était brillante, surdouée même, mais elle n’aimait pas ça. Et pire encore, elle n’avait jamais osé l’admettre. Jamais osé dire que la médecine ne signifiait rien pour elle, que chaque cours, chaque examen, chaque réussite ne provoquait qu’un vide de plus en plus pesant. Elle voulait autre chose, ‘’Mais autre chose… c’est quoi ?’’. Elle n’en avait pas la moindre idée. Aucune passion, aucun rêve, aucune ambition dévorante. Pas d’amis, pas d’envie précise. Juste un grand néant. ‘’Rien…’’.
Rien, sauf aujourd’hui. Aujourd’hui, elle avait ressenti quelque chose. Une émotion brute, violente, une force qui l’avait consumée. La colère. Pure, brûlante, dévastatrice. Aujourd’hui, elle avait haï quelqu’un, vraiment haï. Et pour la première fois depuis longtemps, l’ennui habituel qui l’étouffait avait disparu.
Un sourire fugace effleura ses lèvres. Un sourire tordu, étrange. Puis, sans prévenir, les larmes coulèrent. Sans raison apparente. Sans qu’elle ne puisse les retenir. Un trop-plein, une marée incontrôlable. La situation, ses pensées, cette absurdité qu’était sa vie lui semblaient terriblement tristes. Désespérées. ‘’Pathétique’’. Et soudain, le silence tomba sur la table. Lourd. Brutal. Étouffant.
— Charlie ? Pourquoi tu pleures ?
Elle essuya rapidement ses joues mouillées, cherchant une excuse.
— C’est juste… Elle inspira profondément. C’est juste de la joie... De vous voir tous là… pour moi.
Son père posa sa main sur la sienne. Sa mère lui caressa la joue. Sa sœur lui sourit. Son frère la regarda longuement. Ils étaient touchés. Et pourtant, elle mentait.
Alors que les discussions reprenaient, Laurent se pencha légèrement vers elle et murmura.
— Je sais que tu mens.
Elle déglutit, consciente que Laurent avait toujours su lire en elle, depuis qu’ils étaient enfants. Il n’avait pas besoin de mots pour comprendre ce qu’elle ressentait, pas besoin de questions pour voir ce qu’elle cachait aux autres.
Plus tard, alors que les conversations animées résonnaient dans le salon, se mêlant aux éclats de rire et aux bruits de verres entrechoqués, il s’approcha discrètement, sans un mot, et posa une main sur son épaule. Un geste simple, familier, mais lourd de sens.
— Viens avec moi, on va parler.
Son estomac se serra. Elle n’avait aucune raison de stresser. Laurent avait toujours été bienveillant, toujours à l’écoute. ‘’Parfait. Trop parfait’’. Et ça l’agaçait. Elle le suivit jusqu’à la cuisine. Il s’appuya contre le plan de travail, croisa les bras et planta ses yeux dans les siens.
— Pourquoi tu pleurais vraiment ?
Charlie expira lourdement, un réflexe familier chaque fois que la contrariété la gagnait. Puis, fidèle à ce qui se passait toujours avec Laurent, elle ne parvint pas à se contenir. Tout finit par jaillir.
— Je me sens pas à ma place ici. Avoua-t-elle. Je vois tout le monde heureux, passionné, sûr de ce qu’ils font… et moi, je suis là, coincée, sans savoir ce que je veux.
— Tu n’as jamais aimé la médecine, mais tu as toujours suivi ce que papa et maman te disaient.
Elle abaissa les yeux, presque honteuse, jouant nerveusement avec le rebord de sa manche. La lumière tamisée de la cuisine projetait des ombres douces sur son visage, accentuant la tension qui crispait ses traits.
— Oui...
Laurent l’observa un instant, attentif, son regard profond fouillant le sien comme s’il pouvait y lire ce qu’elle ne disait pas.
— Tu veux faire quoi alors ?
Charlie serra la mâchoire, sentant un nœud se former dans sa gorge. Cette question, elle se l’était posée mille fois sans jamais trouver de réponse.
— Je… sais pas.
Un soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’elle passait une main agitée dans ses cheveux, les ébouriffant davantage. L’exaspération qu’elle ressentait envers elle-même était presque palpable.
— Je veux juste… ressentir quelque chose. Vivre quelque chose qui me fait vibrer, tu vois ? Comme dans les films ou plutôt les livres.
Sa voix s’était faite plus basse, comme si elle avait honte d’admettre cette envie insatiable d’intensité, ce besoin d’échapper à la monotonie de son existence trop bien rangée. Elle s’arrêta, fixant un point invisible sur la table basse, ses pensées dérivant vers ce qu’elle avait vécu plus tôt dans la journée.
Puis, sans vraiment comprendre pourquoi, sans même y réfléchir, elle lâcha, presque dans un souffle.
— Aujourd’hui… j’ai eu un accident.
Laurent fronça aussitôt les sourcils, son expression se durcissant sous la surprise.
— Pardon ?!
Charlie releva la tête, croisant son regard inquiet, mais elle leva une main comme pour désamorcer immédiatement toute panique.
— C’était rien de grave. Elle marqua une pause, incertaine, son esprit s’égarant sur cet échange électrique avec lui. Un frisson de contrariété lui parcourut l’échine. Mais… Elle hésita, le poids de ses souvenirs encore brûlants contre sa peau. Ce mec…
Sa voix se perdit dans le vide, incapable de mettre des mots sur ce qu’elle avait ressenti. Sur cette rage pure, ce défi, ce besoin irrépressible de l’affronter encore. Laurent, lui, attendait, silencieux, analysant chacun de ses gestes avec cette patience qui l’exaspérait autant qu’elle la rassurait.
Elle repensa à Yuri, et cette simple pensée suffit à faire grimper en flèche son irritation. Son visage se ferma, sa mâchoire se contracta légèrement, mais, sans qu’elle ne le contrôle vraiment, son ton changea. Sa voix se fit plus forte, plus affirmée, et une énergie nouvelle vibra dans ses mots, une passion inattendue qui fit légèrement froncer les sourcils de Laurent. Il la connaissait trop bien pour ne pas remarquer ce changement. Il l’avait rarement vue aussi émotionnellement impliquée.
— Il m’a rendue dingue.
Laurent haussa un sourcil, un léger sourire amusé effleurant ses lèvres.
— Dingue comment ?
Charlie expira brusquement, son regard s’illuminant d’une colère encore brute, presque incontrôlable.
— Dingue de rage !
Laurent se redressa légèrement, croisant les bras, à la fois intrigué et diverti par cette réaction qu’il ne lui connaissait pas.
— Et ?
Charlie ouvrit la bouche, hésita, puis passa une main sur son visage en soufflant de frustration. C’était insupportable. ‘’Il était insupportable’’. Mais… Elle prit une inspiration plus profonde, comme si elle s’apprêtait à lâcher un aveu qu’elle-même peinait à formuler.
— C’était horrible. Elle marqua un silence, son regard se perdant un instant dans le vide, avant qu’un souffle ne lui échappe. Mais je me suis sentie… vivante.
Les mots résonnèrent dans l’espace entre eux. Un silence suivit, lourd de sens. Puis, à sa grande surprise, Laurent éclata d’un léger rire. Un rire non-moqueur, mais empreint d’une compréhension qu’elle n’était pas certaine d’apprécier.
— Alors tu devrais peut-être le revoir.
Charlie écarquilla les yeux avant de partir dans un éclat de rire nerveux, un rire brusque, presque forcé, qui trahissait plus de confusion qu’elle n’aurait voulu l’admettre.
— C’est impossible. Je le supporte pas. Elle secoua la tête, croisant les bras contre sa poitrine comme pour mieux ancrer son rejet catégorique. Un connard arrogant détestable. Même toi, tu ne trouverais rien de bien chez lui !
Elle s’attendait à ce que Laurent approuve, mais il la regardait avec cette expression légèrement pensive, un sourire énigmatique au coin des lèvres. Comme s’il savait quelque chose qu’elle-même refusait encore de comprendre.
Ils continuèrent à parler, Charlie lui raconta toute l’histoire dans les moindres détails, n’omettant rien, savourant chaque anecdote avec une exagération moqueuse. Ensemble, Ils se gaussèrent de Yuri, de son arrogance insupportable, de son attitude de « mâle dominant » tout droit sorti d’un cliché de mauvais film de série B. L’ambiance était légère, complice, empreinte de cette familiarité qu’elle avait presque oubliée.
Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi à l’aise avec Laurent. Sans même s’en rendre compte, elle mit de côté toute cette rancœur sourde qu’elle entretenait envers lui, ce poids de perfection qu’elle avait toujours associé à son image. Ici, ce n’était pas le chirurgien brillant et infaillible face à l’éternelle ‘’ratée’’ de la famille. Juste un frère et une sœur qui riaient ensemble. Et, pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit bien.
Le dialogue coulait naturellement, fluide, sans gêne, sans effort, comme s’ils n’avaient jamais cessé d’être proches. Depuis combien de temps n’avait-elle pas parlé ainsi avec quelqu’un ?
Puis, sans qu’ils ne s’en rendent compte, la conversation dériva sur Eliott. Naturellement. Comme une évidence qui s’imposait à eux.
— Tu ne l’aimes pas.
Les mots de Laurent tombèrent comme une indéniable réalité, tranchants, inévitables. Charlie se tendit aussitôt. Son souffle se fit plus court, imperceptiblement, tandis qu’une vague de frustration familière lui nouait l’estomac. Tous ces doutes qu’elle s’efforçait de refouler, tout ce malaise qu’elle tentait d’ignorer depuis des années refaisait surface en une fraction de seconde.
— C’est pas si simple.
Sa voix était plus sèche qu’elle ne l’avait voulu. Elle détourna légèrement le regard, fixant un point quelconque sur le comptoir, comme si cela pouvait l’aider à éviter le poids du regard perçant de son frère. Laurent, lui, ne la quittait pas des yeux. Il pencha légèrement la tête, son expression calme, mais implacable.
— Pourquoi tu restes avec lui alors ? Il marqua une pause, cherchant ses mots avec cette précision chirurgicale qu’il appliquait à tout. Je t’ai jamais vu sourire avec lui. Je veux dire un vrai sourire, pas celui que tu fais pour être polie ou pour te caler sur les émotions des autres.
Charlie se crispa. Touchée.
— Et puis, tu n’en parles jamais. Tu ne dis jamais ce que vous faites ensemble… Sa voix se fit plus lente, plus mesurée, comme s’il articulait une vérité qu’elle refusait d’admettre. En vrai, je suis sûr qu’ensemble, vous ne faites rien. Tu devrais être avec quelqu’un qui chamboule ta vie.
Charlie ouvrit la bouche, prête à répliquer, mais aucun mot ne vint. Un silence pesant s’installa. Elle hésita, gênée, cherchant quoi dire, mais tout ce qu’elle trouva fut un haussement d’épaules vaguement fatalistes, puis une phrase à laquelle elle ne croyait même pas.
— Il vaut mieux être avec lui que seule.
Un frisson de malaise parcourut son corps dès qu’elle entendit sa propre voix prononcer ces mots. ‘’C’est pathétique’’. Laurent fronça les sourcils, son expression se durcissant légèrement.
— C’est ça que tu veux ? C’est ça ta vision de l’amour, du couple ?
Charlie ouvrit la bouche, mais aucune réponse ne vint. Parce qu’elle n’en avait pas. Parce qu’elle n’avait jamais vraiment réfléchi à ce qu’elle voulait, à ce qu’elle attendait d’une relation. Parce qu’elle s’était juste laissée porter, sans jamais remettre quoi que ce soit en question.
Elle hésita, son regard fuyant instinctivement celui de son frère, mais elle savait. Elle savait qu’il avait raison.
— Nos parents sont ensemble depuis toujours, et ça marche bien, non ? Et ils s’aiment de cette façon, je les ai jamais vu passionnés, ou éperdument amoureux…
— Ils s’aiment. C’est simple, oui, mais sincère, pas juste une envie de pas être seuls, ils s’aiment vraiment ! La vie n’est pas toujours un film. Et puis ils ont vieilli, si tu t’intéressais un peu plus à eux, tu aurais pu entendre de sacrées histoire qu’ils ont vécues ensemble dans leurs jeunesses. Mais tu es tellement dans ton monde que tu as jamais demandé… Désolé, mais tu aurais remarqué que non, ils ne s’aiment pas de cette façon. Certes c’est pas la romance d’un de tes livres, mais c’est un très bel amour. Un amour que je souhaite à ceux que j’aime… Tiens, Tu savais que papa avait traversé toute la planète pour retrouver maman pendants leurs études ? Ils ne s’étaient pas vus pendant 3 semaines, ça parait peu, mais ils se manquaient trop. Alors il a pris un avion, l’a retrouvé au Etats-Unis, mais elle y était plus, vu qu’il voulait faire une surprise, il l’a cherché à l’ancienne, sans utiliser son pad, tu te rends compte ? puis on lui a dit qu’elle était au Japon… Attends, histoire de fou ! Il y est allé, et on lui a encore dit qu’elle était repartie. Il s’avait pas du tout où elle était. En parallèle maman était renter en France le retrouver au même moment, pour la même surprise ! C’est dingue non, ils se sont loupé comme ça plein de fois et au final ils se sont retrouvés par hasard à une escale en Inde. C’est l’une de mes préférés, cette histoire, je la trouve romantique et en même temps chaotique.
— Sérieux ? C’est assez fou
— Et oui ! Et pourtant ils se sont disputés, fort dans l’aéroport !
— Pourquoi ? C’est stupide…
— Non ça ne l’ai pas ! Ils avaient eu peur, utilisés tellement d’énergie, et il a suffi d’une remarque pour que ça explose, c’est ça l’amour. Tu crois vraiment qu’avec Eliott c’est comparable ?
— Et toi alors ? Répliqua Charlie sans répondre à la question. Avec Simon, vous vous engueulez tout le temps, vous finirez par plus être ensemble.
Sa voix était légèrement provocatrice, cherchant une faille, une preuve que l’amour n’était qu’un jeu fragile, voué à s’éroder avec le temps. Mais Laurent ne mordit pas à l’hameçon. Il se contenta de sourire, ce sourire à la fois amusé et empreint de cette assurance tranquille qui l’exaspérait autant qu’elle la fascinait.
— On s’aime passionnément. Il haussa légèrement les épaules, attrapa son verre et le fit tourner entre ses doigts, pensif. Je pourrais parcourir le monde pour lui… et l’engueuler pour avoir fait ça.
Charlie éclata de rire, secouant la tête devant l’évidence de cette réponse. ‘’C’est tellement eux’’. Simon et Laurent, un équilibre étrange entre l’amour et la confrontation, entre l’ombre et la lumière. Mais au fond, elle n’était pas sûre de comprendre. Elle haussa les épaules, son expression se teintant d’un mélange de cynisme et de curiosité sincère.
— C’est quoi, l’amour passionné ? C’est ça ? C’est vraiment si bien ?! Ça dure si longtemps ? Et ça sert à quoi, si c’est pour finir comme papa et maman, dans une routine bien huilée, sans éclats, sans frissons ?
Laurent reposa doucement son verre sur la table, croisant les bras, puis la fixa avec cette sérénité qu’elle lui enviait toujours. Il ne cherchait pas à convaincre, juste à lui montrer une vérité qu’elle refusait encore de voir.
— L’amour passionné, c’est un ouragan.
Sa voix était posée, mais chaque mot résonnait avec une intensité qui força Charlie à l’écouter plus attentivement.
— C’est ce feu qui te brûle de l’intérieur, ce chaos qui bouleverse tout sur son passage, ce quelque chose qui t’attire, te consume, et pourtant te fait revenir encore et encore. C’est vouloir tuer quelqu’un un jour et être incapable d’imaginer une vie sans lui le lendemain. C’est cette contradiction folle entre vouloir fuir et vouloir rester.
Il marqua une pause, son regard ancré dans le sien, cherchant une réaction, une faille où planter ses mots.
— C’est une guerre et une danse, une blessure et une guérison, un combat et une étreinte. C’est deux âmes qui s’entrechoquent si fort qu’elles laissent des cicatrices, mais qui finissent toujours par se retrouver, par besoin, par folie, par instinct.
Charlie ne bougeait plus. Son cœur battait légèrement plus vite, pas par amour, mais par cette sensation étrange qu’il parlait d’une chose qu’elle n’avait jamais connue.
— Jeune ou vieux, au bout d’une semaine ou après trente ans, ça ne change rien. L’amour passionné ne s’éteint pas. Il change de forme, il évolue, il prend des chemins inattendus. Mais il reste là, quelque part, caché dans un regard, dans un frisson, dans une dispute qui finit contre un mur ou dans un rire échappé au mauvais moment.
Il esquissa un léger sourire, cette douceur dans ses traits qui le rendait parfois si insaisissable.
— L’amour passionné, c’est le seul qui te fait sentir vivant.
Charlie déglutit.
— C’est celui qui te fait vibrer à chaque instant. Cette complicité qui illumine ton réveil et cette tension qui assombrit tes journées, cette douceur qui réchauffe tes nuits et cette mélancolie qui hante ton sommeil.
Un silence presque solennel s'installa. Laurent n’attendait pas de réponse, il savait qu’elle n’en avait pas. Charlie détourna les yeux, troublée. Son frère parlait d’un amour qu’elle n’avait jamais effleuré, d’un feu qu’elle n’avait jamais ressenti. Pour la première fois, elle se demanda si elle était passée à côté de quelque chose.
Un frisson lui parcourut les bras. Jamais personne ne lui avait parlé d’amour de cette façon. Jamais elle ne s’était demandé si, au fond, c’était exactement ça qu’elle cherchait. Elle réfléchit. ‘’Est-ce que c’est ce que je veux ? Et si oui… comment le trouver ? Ou plutôt, comment le faire durer ?’’. L’amour passionné sonnait beau en théorie, mais dans la réalité, c’était compliqué. Eliott ne méritait pas de souffrir juste parce qu’elle voulait plus, sans même savoir quoi.
Le dîner prit fin. Les étreintes chaleureuses, les adieux familiers. Chacun reprit sa route. Charlie, elle, observa un instant la nuit parisienne s’étendre devant elle. Les lumières des gratte-ciel clignotaient au loin, la ville ne dormait jamais. Elle soupira, lasse.
Lorsqu’elle rentra chez elle, Eliott était là, allongé sur son lit, profondément endormi. Elle ne s’y attendait pas. Elle n’avait pas envie qu’il soit là. Mais il y était. Sur l’oreiller à côté de lui, un cadeau soigneusement emballé l’attendait, accompagné d’un simple mot : « Bon anniversaire Charlie, je t’aime. ». Elle le prit du bout des doigts, le regarda un instant, puis le posa sur la commode sans l’ouvrir. Ça ne lui faisait rien.
Dans la pénombre tamisée de l’appartement, Charlie l’observa un instant. Cet homme qui partageait sa vie, qui disait l’aimer depuis des années. ‘’Eliott. Vingt-sept ans. Interne en médecine. L’homme parfait en théorie’’. Grand, environ un mètre quatre-vingt-cinq, élancé, mais musclé, toujours soigné. Ses cheveux, brun clair, presque blond, toujours impeccablement coiffés, encadraient son visage aux traits harmonieux. Un teint clair, une peau sans défaut, des yeux marron profonds, chaleureux, mais insondables. Il dégageait cette aura de confiance tranquille, de stabilité rassurante, comme une évidence pour tous ceux qui croisaient son chemin.
Un homme doux, prévenant, attentif, apprécié de tous. Sociable sans être envahissant, réfléchi, posé. Jamais un mot plus haut que l’autre. Jamais un faux pas. Un homme qui savait toujours quoi dire et comment le dire, au point que Charlie s’était souvent demandé si ce qu’il disait était vraiment ce qu’il pensait, ou juste ce qui devait être dit.
Elle fronça légèrement les sourcils en le regardant. ‘’Est-il sincère ?’’. Il lui disait qu’il l’aimait, mais était-ce vrai ou simplement logique. Il la couvrait de cadeaux romantiques qu’elle n’aimait pas, lui offrait des gestes tendres qu’elle n’attendait pas. Et pourtant, il ne semblait jamais douter. Comme s’il ne voyait pas, ou refusait de voir, que rien de tout cela ne l’atteignait réellement.
Il était propre sur lui. ‘’Trop. Lisse. Parfait’’. Et ce besoin permanent de contrôle sur son image la troublait parfois. ‘’Je le connais pas si bien, au fond’’. Il montrait ce qu’il voulait montrer. Il se contenait, même dans ses sourires. Rien ne dépassait. Mais à quoi bon savoir en réalité. ‘’C’est mieux que rien’’. Eliott l’aimait. Elle le savait, parce qu’il le disait. Mais elle ? Était-elle seulement capable d’aimer ? ‘’Et à quoi bon tout arrêter ? Pour quoi ? Pour qui ?’’.
Le vide lui répondit.
Elle s’allongea à côté de lui, éteignit son pad d’un mouvement de poignet et ferma les yeux. Son esprit dériva sur cette journée. D’ordinaire, elles se ressemblaient toutes. Rien ne changeait, tout était prévisible, identique, monotone. Mais aujourd’hui… Aujourd’hui, ce n’était pas tout à fait pareil. Une journée presque comme les autres. ‘’Ou peut-être, finalement… pas’’.
Elle s’endormit en repensant à sa conversation avec Laurent. Puis, à cet homme. ‘’Yuri...’’. Sans savoir que le monde qu’elle connaissait allait bientôt basculer.