Le matin se levait sur la cité de Gran Baleth, vaste capitale fortifiée d’un royaume rongé par la peur. Les murs, hauts comme des montagnes, semblaient vouloir contenir le ciel lui-même, comme si le monde au-delà n’était qu’un rêve dangereux. Au sommet des tours, des soldats veillaient, scrutant l’horizon, à l’affût de la moindre forme tordue, du moindre cri rauque. Les Logan pouvaient surgir à tout moment.
Dans les ruelles de pierre noire, les gens marchaient vite. Têtes baissées. Personne ne parlait. Même les marchands criaient à voix basse. Un silence pesant régnait sur la ville, comme si elle respirait à peine.
Et au milieu de cette foule figée, il marchait.
Luca.
Un garçon de seize ans. Veste sombre, longue et légère, qui masquait sa silhouette fine. Cheveux noirs, mi-longs, qui lui tombaient sur le front, dissimulant soigneusement les deux petites cornes noires qui ornaient son crâne. Personne ne les voyait. Personne ne devait les voir.
Il souriait. Toujours. Un sourire léger, calme, presque paisible. Un sourire qui en énervait plus d’un.
— Regarde-le, murmura un garçon, appuyé contre un mur. Il fait le malin, avec ses deux pactes...
— On devrait pas le laisser entrer à l’académie, répondit un autre. Il est bon qu’à fuir.
Luca ne répondit pas. Il passa près d’eux, comme s’il n’avait rien entendu. En vérité, il entendait tout. Toujours. Les insultes. Les jugements. Le mépris.
Mais il s’en moquait.
Il entra dans l’enceinte de l’Académie Royale d’Exorcisme, une institution militaire fondée pour former les jeunes pactisants. Là, ceux qui avaient le sang rouge développaient leur pouvoir. Sauf que lui, Luca, n’avait rien de spectaculaire. Pas encore. Aucun démon. Juste son sourire, son silence… et ses yeux couleur noisette qui observaient tout, sans haine, sans peur.
Ce jour-là, comme chaque semaine, ils devaient passer une épreuve : affronter une illusion de Logan dans l’Arène d’Initiation.
Quand vint le tour de Luca, des rires s’élevèrent.
— Il va encore esquiver pendant trois minutes avant de se faire toucher. C’est tout ce qu’il sait faire.
Luca entra dans l’arène. L’illusion du Logan surgit aussitôt. Grand, difforme, aux membres disproportionnés, à la gueule garnie de crocs comme des lames. Il hurla, bondit.
Luca ne bougea pas.
Puis, au dernier moment… il glissa. Agile. Léger. Il évita le monstre de justesse, effleurant le sol du bout des doigts, son corps souple comme le vent. Il tournoya, s’écarta, recula, avança… esquivant chaque coup avec une fluidité presque inhumaine.
Mais il ne frappa pas. Il n’avait pas d’arme démoniaque.
Et après les trois minutes réglementaires, l’épreuve prit fin.
— Ridicule, cracha l’un des spectateurs. C’est pas un pactisant, c’est un danseur.
Mais dans les gradins, un homme masqué, vêtu d’un manteau rouge aux motifs anciens, serra le poing.
— Intéressant… murmura-t-il.
À la sortie, Luca monta sur les toits, là où personne n’allait. Il s’assit, regardant l’horizon. Le vent soulevait ses cheveux… juste assez pour dévoiler, un instant, une courbe sombre. Une corne.
Il la recouvrit calmement. Toujours ce même sourire.
— Bientôt… murmura-t-il. Bientôt, je n’aurai plus besoin de me cacher.