Le ciel était gris, noyé d’un silence que même la mort ne voulait troubler. Elyas n’avait que dix-sept ans quand sa vie se brisa. Un accident banal, un dérapage, des freins qui lâchent. Puis… rien. Juste le froid. Une voix, peut-être, un soupir. Et le noir.
Quand ses yeux se rouvrirent, ce n’était plus l’asphalte qui l’entourait, ni le métal tordu d’une voiture. C’était de l’herbe. Haute, douce, vivante. Le vent portait une odeur d’écorce et d’eau pure. Le ciel ici n’était plus gris, mais d’un bleu profond, troué de deux soleils. Elyas se redressa, le souffle court.
Il n’avait pas mal. Mieux encore : il se sentait... léger. En paix. Comme si quelque chose en lui avait été lavé, effacé. Son corps était bien le sien. Humain, apparemment. Pas de griffes, pas d’ailes, pas de peau d’écaille. Il porta une main à son torse : une étrange marque brillait doucement au centre de sa poitrine, comme une rune ancienne. Elle pulsait au rythme de son cœur.
Une voix résonna soudain dans sa tête.
« Bénédiction activée. Pouvoir d’Âme : Liens du Vivant. »
Elyas tressaillit.
— Liens du... vivant ?
Il n’eut pas le temps de réfléchir. Un cri. Aigu, faible. Quelque chose gémissait à quelques mètres, au bord d’un petit ruisseau. Il s’approcha en courant et découvrit une petite créature recroquevillée sur un lit de feuilles humides.
Un renard. Mais pas ordinaire.
Il avait deux queues, enroulées autour de son corps, et son pelage d’un blanc neige était souillé de sang. Des symboles lumineux pulsaient faiblement sur ses flancs. L’une de ses pattes arrière saignait abondamment. Ses yeux violets s’ouvrirent à peine quand Elyas s’approcha.
— Tu... tu es blessé.
Elyas hésita. Il n’avait jamais touché un animal sauvage. Mais il tendit lentement la main. Le renard ne bougea pas. Puis, contre toute attente, il posa sa tête dans la paume d’Elyas. Un frisson parcourut le jeune homme.
Connexion d’âme détectée. Souhaitez-vous établir un lien ?
Il sursauta. La voix dans sa tête revenait, calme, neutre. Il déglutit.
— Oui...
Une chaleur l’envahit. Une lumière douce jaillit entre sa main et la fourrure du renard. La marque sur sa poitrine s’illumina. Le monde sembla suspendre son souffle. Puis, tout retomba.
Le renard cligna des yeux. Une voix douce résonna dans l’esprit d’Elyas.
« Tu m’as entendu. C’est rare. »
Elyas se figea.
— Tu... tu parles ?
« Seulement dans ton esprit. Je m’appelle Niva. »
Le renard releva doucement la tête. Sa patte saignait toujours, mais moins. Elyas regarda autour de lui. Il déchira un pan de sa tunique et le noua autour de la blessure.
— Pourquoi es-tu seul ? blessé ?
« Chassée. Les miens pensent que je suis trop proche des humains. Trop curieuse. Je suis tombée sur un groupe de chasseurs. Ils ont fui quand ma magie s’est agitée. Mais je ne les oublierai pas. »
Elyas sentit un mélange de tristesse et de colère chez Niva. Il baissa les yeux.
— Moi aussi, j’ai perdu mon monde. Je crois qu’on peut se reconstruire ici. Ensemble.
Le renard releva la tête. Ses deux queues s’agitèrent lentement. Puis il parla de nouveau.
« Tu es différent. Ton aura... elle est ouverte. C’est dangereux, mais précieux. Tu pourrais rassembler bien plus que moi. »
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
« Ton pouvoir. Les Liens du Vivant. Tu peux établir des pactes avec les êtres de ce monde. Bêtes, esprits, même certains humains. Tu peux bâtir... »
Elyas sentit un frisson le traverser.
— Bâtir...
Il regarda la plaine autour de lui. Vaste. Sauvage. Intacte. Il pensa à ce qu’il avait perdu. À ce qu’il aurait aimé avoir. Un lieu à lui. Un lieu où plus rien ne pourrait lui être arraché.
— Et si... je construisais mon propre royaume ? Un endroit à moi. Protégé. Libre. Peu importe d’où viennent les gens. Peu importe ce qu’ils sont. Un royaume pour ceux qu’on rejette.
Niva l’observa longuement. Puis, elle plia lentement ses deux pattes avant et s’inclina légèrement.
« Alors je serai ta première. La fondation de ton pacte. Le lien numéro un. »
Un vent léger souffla. Les feuilles frémirent. La lumière des deux soleils réchauffait la plaine.
Elyas se redressa. Ses poings se serrèrent.
— Ce monde m’a offert une seconde chance. Je ne la gâcherai pas. Mon royaume existera. Même si je dois tout construire seul au début. Même si je dois dompter des créatures qu’on dit indomptables. Je le ferai.
Il jeta un regard au ciel immense.
— Ce monde ne m’a pas encore vu à l’œuvre.