Le matin se leva sur une forêt paisible, où les premiers rayons du soleil effleuraient les ruines anciennes. Une brise fraîche traversait les colonnes fendues, comme pour bénir ce qui allait naître ici.
Elyas s’éveilla tôt, sa marque encore chaude sur la peau. Une idée grandissait dans son esprit, plus forte que la veille. Ce lieu n’allait pas seulement être son repaire… il serait un refuge, un rassemblement, un royaume vivant.
— Aujourd’hui, on commence la vraie construction, déclara-t-il en se redressant.
Niva étira ses deux queues, baillant doucement.
— Tu veux bâtir un royaume ? Commence par une cabane solide, roi-paysan.
Alwen sourit en préparant des outils rudimentaires : hache taillée dans un tronc, corde tressée avec de longues herbes, et des pieux droits comme des lances.
— Elle n’a pas tort. On doit penser pratique : abri, eau, nourriture.
Elyas acquiesça. La magie seule ne construirait rien. Il fallait du travail. Du vrai.
Ils commencèrent par nettoyer la clairière autour de l’autel. Kaor déplaçait les roches avec une force tranquille, traçant un large cercle au centre. Elyas, guidé par un plan mental, planta des poteaux autour de l’autel, délimitant la structure de la Maison du Cœur, la première bâtisse du futur village.
— Ce lieu sera notre centre, expliqua-t-il. Un lieu où toutes les créatures liées par pacte, par volonté ou par foi pourront se réunir.
Pendant ce temps, Alwen traçait de petits sillons dans la terre plus fertile, à l’Est du cercle. Elle y planta des graines qu’elle avait ramenées : des plantes médicinales, des légumes, et quelques racines rares.
— Une ferme, un jardin, un abri… ça devient vivant, souffla-t-elle.
Mais Elyas savait que tout cela n’était qu’un début. Il méditait, souvent, la marque allumée sur sa paume. Chaque lien, chaque invocation, chaque fusion augmentait sa capacité à comprendre la nature du monde… et à la façonner.
Un jour, alors qu’ils installaient des barrières en bois autour du potager, un bruit sourd résonna depuis le flanc de la colline. Elyas, aussitôt en alerte, se tourna vers Kaor. Le lion noir leva la tête, oreilles dressées.
— Ce n’est pas une bête sauvage, grogna-t-il. C’est… du métal.
Ils s’approchèrent discrètement. Derrière un rideau d’arbres, un nain barbu frappait une enclume, les muscles tendus, la sueur coulant sur ses tempes. Il était seul, installé sous un vieux rocher creux qu’il avait transformé en forge.
— Un nain ? ici ? murmura Alwen, étonnée.
Elyas s’avança. Le nain, sans lever les yeux, lança :
— Si t’approches, sois utile. Si t’es là pour voler, j’te plombe.
— Je suis là pour proposer autre chose, répondit Elyas calmement. Un projet. Une vision.
Le nain s’arrêta. Le jeune homme lui parla de la clairière, des bêtes liées par le pacte, du jardin, de la forge qui pourrait devenir le cœur artisanal du village.
Le nain sourit. C’était un sourire rude, mais sincère.
— T’as des idées de roi, garçon. T’es fou, mais… j’aime les fous.
Il se présenta : Grum, forgeron errant, artisan d’armes et bâtisseur à ses heures.
— J’ai fui ma cité. Trop de règles, trop de chaînes. Si tu veux bâtir un lieu libre, j’suis partant. Mais j’veux mon espace, mes outils, et du bon minerai.
Elyas tendit la main.
— Je t’offre un foyer. Aide-moi à construire celui des autres.
Le pacte fut scellé, sans magie, mais avec le respect d’égal à égal.
Grum installa sa forge près d’un ruisseau, à l’Ouest du cercle. Il érigea une hallette de pierre en deux jours, avec l’aide de Kaor, et fabriqua les premiers outils en métal : haches, pelles, clous… Le progrès se sentit aussitôt.
Avec l’aide de tous, la Maison du Cœur fut terminée. Toit de chaume, piliers renforcés, deux pièces simples, mais chaleureuses. Elyas y installa un autel de pierre et grava les symboles des pactes.
— Ici, tout le monde aura une place. Humain, bête, hybride. Personne ne sera rejeté.
Une semaine plus tard, un cri résonna dans la nuit. Pas de peur, mais d’espoir.
Un groupe de réfugiés s’était approché du cercle, guidés par la lumière étrange du lieu. Une femme-cerf, un jeune garçon aux yeux argentés, une créature féline blessée…
Elyas s’avança, Niva sur son épaule.
— Je ne suis pas roi. Pas encore. Mais si vous cherchez refuge… cet endroit est pour vous.
Il tendit la main. Et les âmes perdues acceptèrent.