La lune était haute, baignant les ruines dans une lumière pâle et argentée. Elyas, allongé contre un vieux pilier, observait le ciel. Niva dormait roulée sur elle-même près du feu, et Kaor, toujours silencieux, veillait en bordure de la clairière.
Le calme était trompeur. Depuis qu’il avait scellé un second pacte, il sentait quelque chose changer en lui. Sa marque semblait plus profonde, sa connexion avec la nature plus forte… mais aussi plus instable.
— C’est comme si… ils vivaient tous en moi, murmura-t-il.
Il ferma les yeux. Il percevait les battements du cœur de Kaor. Le souffle paisible de Niva. Mais aussi… d’autres pulsations. Lointaines. Indécises.
« C’est le prix de ta capacité. Chaque lien est une porte que tu ouvres. » Niva avait parlé sans bouger, les yeux à demi clos.
— Une porte… vers quoi ?
« Vers eux. Et vers toi. Chaque fusion, chaque pacte… te rapproche de ce que tu deviendras. »
— Et si je ne contrôle pas tout ça ? Si je me perds dans la force des autres ?
Niva rouvrit les yeux. « Alors tu ne construiras pas un royaume. Tu deviendras un roi corrompu par les voix qui l’habitent. »
Le silence revint, lourd de sens.
Le lendemain, Elyas se mit au travail. Il dégagea la terre autour de l’autel, redressa un mur effondré, et commença à construire un abri rudimentaire avec les branches mortes. Niva l’aidait en projetant de petites flammes contrôlées. Kaor, quant à lui, se contentait de poser des troncs, paisible.
Mais l’effort physique ne suffisait pas à calmer son esprit. Il sentait une présence invisible tourner autour de la clairière. Quelque chose l’observait. Et cela ne venait pas d’un animal.
En fin d’après-midi, il décida de suivre cette intuition. Il s’enfonça seul dans la forêt, sa marque activée, l’aura de Niva prête à fusionner si nécessaire. À quelques centaines de mètres, il trouva des traces de pas — humaines.
Son cœur accéléra. Ce monde était-il habité ? Ou était-ce une menace venue d’ailleurs ?
Soudain, un cri. Aigu. Féminin. Elyas se mit à courir. Les buissons se déchirèrent sous ses pas, les branches fouettèrent son visage, mais il n’hésita pas. Il arriva dans une petite vallée boisée… et vit la scène.
Une jeune fille, les cheveux emmêlés, tenait un bâton tremblant face à un homme massif en armure de cuir. Autour d’elle, deux autres bandits ricanaient.
— Vends-la, ou crève, ordonna l’un.
Elyas n’attendit pas. Il leva sa main. La lumière de sa marque jaillit.
— Invoque : Kaor.
Un rugissement secoua la forêt. Le sol trembla. Les bandits n’eurent pas le temps de réagir : Kaor surgit comme un éclair sombre et or. D’un coup de patte, il projeta le premier contre un arbre. Le second tenta de fuir, mais Niva apparut dans un éclair, crachant une flamme qui entoura l’homme sans le brûler — un avertissement.
Le troisième tomba à genoux.
— Pitié ! Je… c’était pas mon idée !
Elyas s’approcha, les yeux brillants de colère.
— Vous osez attaquer une innocente… si vous êtes assez lâches pour supplier, partez. Et ne revenez jamais.
Les survivants détalèrent. Kaor grogna pour les faire fuir plus vite.
La jeune fille s’était effondrée, choquée. Elyas s’approcha doucement.
— Tu n’es pas blessée ?
Elle secoua la tête.
— Non… je… merci… Je m’appelle Alwen. Je suis une herboriste. Mon village a été détruit… je suis seule.
Elyas tendit une main.
— Je suis Elyas. Si tu veux… tu peux rester avec moi. Je construis un sanctuaire. Un futur royaume.
Alwen le regarda longuement. Puis, elle posa sa main dans la sienne.
— Alors je veux t’aider.
De retour aux ruines, Alwen s’émerveilla devant Kaor et Niva. Elle reconnut aussi les marques étranges sur le sol : un ancien lieu druidique, autrefois utilisé pour des rituels naturels.
— Ces ruines… ont un cœur. Tu les as bien choisies, dit-elle en souriant.
Elyas sentit une chaleur nouvelle dans ses pensées. Un allié humain. Il n’était plus seul pour penser, bâtir, organiser.
La nuit venue, il observa Alwen préparer une potion à base de feuilles trouvées dans la forêt.
— On pourrait créer un jardin. Soigner les bêtes blessées… en faire un lieu de vie.
— Et en faire un symbole, répondit Elyas. Pas seulement un abri. Un message au monde.
Mais au fond de lui, les voix de ses pactes bruissaient encore. Il avait compris une chose essentielle aujourd’hui :
Ce pouvoir n’était pas qu’un don. C’était un chemin. Et chaque pas le rapprochait autant de la lumière que de l’ombre.
Il serra les poings.
— Peu importe ce qu’il m’en coûtera. Je ferais tout pour que mon royaume existera.