Chapitre 4 – Les Cicatrices Invisibles

La nuit était calme. Trop calme.

Chibaki dormait profondément, exténué par une journée d'entraînement particulièrement intense. Il avait poussé son corps et son esprit à leurs limites, cherchant à affiner ses techniques et à mieux s'aligner avec son Myuki. Mais malgré la fatigue qui alourdissait ses membres, un rêve étrange vint troubler son sommeil. Un rêve qu'il ne comprenait pas bien, mais qui, d’une manière étrange, lui semblait trop réel.

Dans ce rêve, il se retrouvait face à Genshiro, seul. L’atmosphère était lourde, tendue, et quelque chose semblait se cacher dans l’air. Un ennemi, indéfini, émergeait dans l’ombre. Son visage était flou, comme si l'esprit de Chibaki luttait pour l'appréhender. Pourtant, cet homme, même flou, lui semblait terriblement familier. Et avant qu'il ne puisse réagir, il vit Genshiro s’effondrer, transpercé par une lame qu'il n’avait pas vue venir. La vision de son maître tombant, sans vie, se grava dans son esprit avec une clarté glaçante. L’image était trop nette, trop violente pour être ignorée.

Chibaki se réveilla en sursaut, le souffle court, le cœur battant à tout rompre. La sueur perlait sur son front, et son corps tout entier tremblait. Il s'assit sur son lit, cherchant à reprendre son souffle, mais un son métallique, lointain, attira son attention. Des lames, des armes... des bruits de combat. Son esprit, encore embrouillé par le rêve, n’eut pas le temps de rationaliser.

Dans un état de panique soudaine, il bondit hors de son lit, son cœur palpitant dans sa poitrine. Sa famille. L’image de son père et de Genshiro, ensanglantés et vulnérables, se dessina dans son esprit. Sans réfléchir, il se précipita hors de la chambre, courant à travers les couloirs sombres de la maison. Il descendit les escaliers en hâte et ouvrit brutalement la porte menant à l’extérieur.

Sous la lumière pâle de la lune, une scène de chaos s’offrait à ses yeux. Genshiro et son père se tenaient en position défensive, face à plusieurs hommes armés. Des bandits. Leur présence ici ne laissait aucune place à l’hésitation. Ils étaient venus pour tuer Genshiro. Leurs visages étaient déformés par la haine, leurs lames brillaient sous la lune. L’un d’eux, un grand homme au sourire cruel, hurla :

— Genshiro ! T'as cru pouvoir te cacher pour toujours ?!

Chibaki n’eut pas besoin de plus pour comprendre la situation. Son père et Genshiro luttaient avec difficulté, désavantagés par le nombre. Ils se battaient sans relâche, mais l'ennemi était trop rapide, trop nombreux. Leurs mouvements semblaient de plus en plus désordonnés, et Chibaki sentit une boule de terreur se former dans sa gorge.

Mais alors, quelque chose s’éveilla en lui. Une chaleur intense monta du fond de son être, comme un feu qu’il ne pouvait plus ignorer. Il n’avait pas le temps de réfléchir. Le Myuki bouillonnait dans ses veines, emportant la peur et la confusion. Il laissa cette énergie le submerger et renforcer son corps. Il n’avait plus peur. Il se sentait invincible.

Dans une impulsion, il fonça, sans hésitation. Il n’y avait plus de place pour les doutes.

Deux bandits se tenaient devant lui. En un éclair, Chibaki se jeta sur eux. Le premier eut à peine le temps de dégainer que sa lame volait en éclats sous le coup de Chibaki, qui se servait de son Myuki pour propulser sa propre force. Le deuxième n’eut pas plus de chance. Un coup net, précis, et il s’effondrait sur le sol.

Tout s’était passé en quelques secondes. Chibaki se retrouva seul, debout, dans la poussière. Son torse était légèrement penché, ses muscles tendus, son souffle court, mais il se tenait là, invincible. Il avait agi, instinctivement. Aucun de ces bandits n’était en mesure de le menacer.

Son père et Genshiro, stupéfaits, le regardaient. Une fraction de seconde passa, puis son père esquissa un sourire de soulagement.

Chibaki, les yeux pleins de larmes, tourna la tête vers son père, une question silencieuse dans le cœur, avant de murmurer presque inaudiblement :

— Vous, vous allez bien, papa maître ?

Genshiro, un peu essoufflé, ricana, son regard flou de fatigue se posant sur Chibaki.

— Oui, grâce à toi… tu les as éclatés en moins de deux.

Il s’approcha et posa une main lourde sur son épaule, un sourire qui, pour la première fois, semblait sincère et chaleureux.

— C’est la preuve que maintenant, je n’ai plus rien à t’apprendre.

Ces mots, si simples, mais prononcés avec une telle certitude, brisèrent quelque chose en Chibaki. Comme si un voile s’était levé, et que la vérité le frappait en pleine face. Il détourna le regard, une étrange sensation de vide s’emparant de lui. Les larmes montèrent sans qu'il puisse les retenir, et elles coulèrent silencieusement sur ses joues.

Le poids des paroles de Genshiro résonna en lui avec une brutalité déstabilisante. Il ne pouvait pas accepter cela. Pas encore. Pas après tout ce qu’il avait vécu pour en arriver là. Il n’était pas prêt pour ce changement. Mais dans le fond de son cœur, il savait que ces mots étaient justes. Peut-être qu'il avait atteint un niveau où il n'y avait plus de place pour les doutes, pour la croissance. Il était devenu un guerrier.

La nuit sembla se prolonger, un poids lourd sur ses épaules. Il ne retourna pas se coucher. Il resta là, seul, assis sur le seuil de la maison, fixant l'horizon. Ses yeux étaient gonflés par les larmes, mais il ne pouvait détourner le regard. L’ombre de son rêve persistait dans son esprit. Un rêve où il avait vu la fin de Genshiro. Une vision qu’il ne pouvait ignorer.

Le matin arriva lentement, baignant la scène d'une lumière pâle et froide. Genshiro, toujours silencieux, sortit du dojo, un sac en toile sur l’épaule. Lorsqu'il aperçut Chibaki, toujours assis, perdu dans ses pensées, il s’approcha de lui, un léger soupir s’échappant de ses lèvres.

— T’as pas dormi hein ?

Chibaki ne répondit pas, les mots coincés dans sa gorge. Genshiro s'assit à ses côtés, en silence. Il ouvrit son sac et en sortit une boîte métallique, qu'il tendit à Chibaki. L’air semblait s’alourdir alors qu’il attendait que l’élève prenne la boîte.

— Ces gants… je les portais bien avant que t’arrives. Ils ont connu des guerres que j’espère tu ne vivras jamais. Mais cette nuit, tu les as mérités.

Chibaki prit la boîte avec lenteur, son cœur battant dans sa poitrine. Il ouvrit la boîte et découvrit les gants sombres, usés par les années mais imprégnés d'une puissance invisible. Ils étaient plus qu'un simple vêtement. C’étaient des symboles, des témoins d’une vie de combat.

— Avec ça, tu te rappelleras toujours d’où tu viens. Et qui tu es devenu.

Les mots de Genshiro frappèrent Chibaki avec la force d’une révélation. Il leva les yeux, cherchant quelque chose à dire, mais aucun mot ne vint. Juste un hochement de tête, lourd de significations. Le silence entre eux se prolongea, mais Chibaki sentit quelque chose changer dans l’air. Quelque chose de définitif.

Genshiro se leva lentement, sans un regard de plus. Il tourna les talons et s’éloigna, descendant lentement le chemin menant à l’horizon, comme si une autre étape de son voyage était sur le point de commencer.

Chibaki resta là, les gants serrés contre sa poitrine, un sentiment étrange de fin et de début flottant dans son esprit. Ce départ de Genshiro n'était pas simplement une séparation. C’était une perte. Un vide profond. Et, peut-être, le début de quelque chose de bien plus sombre.