Chibaki, écroulé après son combat contre le Béhémours, se faisait soigner par Hanae. Elle ne parvint pas à guérir toutes ses blessures, mais il n’était plus en danger.
Les membres du groupe le transportèrent ensuite dans une calèche que Renji était allé chercher après le combat, afin de faciliter leur retour. Une fois Chibaki installé, Hanae s’occupa de lui, lui posant des bandages sur tout le corps. Il avait subi de lourds dégâts. Le groupe prit alors la route, direction la capitale d’Aeloria.
Le roulis léger de la calèche berçait doucement Chibaki, encore plongé dans un profond sommeil. Ses traits s’étaient détendus, mais soudain, un frisson parcourut son corps.
Dans son esprit, une image floue se dessinait : une silhouette lumineuse, mystérieuse, qu’il ne reconnaissait pas clairement. Chibaki tenta d’y voir plus clair, s’enfonçant dans cet espace qui semblait sans fin. Il essaya de toutes ses forces de bouger, en vain. Des paroles incompréhensibles résonnaient, portées par un souffle étrange, comme un murmure venu d’un autre monde...
Puis il fut brusquement réveillé par les secousses de la calèche passant sur les pavés de la capitale. Il ne repensa plus au rêve étrange.
Chibaki ouvrit lentement les yeux. Une fine couche de sueur perlait sur son front, témoignant de l’intensité du songe.
Ses compagnons, voyant qu’il se réveillait, se précipitèrent sur lui, montrant leur inquiétude. Même Hanae, qui ne voulait pas au départ, fut entraînée par Masaru.
Une fois Chibaki bien réveillé, ils sortirent de la calèche pour se rendre à l’auberge la plus proche. Ils en trouvèrent une juste en face de la guilde.
Après avoir réservé une chambre, les membres du groupe se retrouvèrent dans le restaurant de l’auberge afin de partager un festin et récupérer plus vite de leurs blessures.
Après un bon moment de discussion, Masaru lança :
— Eh, Chiba, c’était quoi ton attaque d’hier ? T’avais l’air surpuissant, y avait des lames de Myuki partout autour de ton épée, et elle brillait... c’était très impressionnant !
— Ouais, c’est clair que c’était quelque chose... mais même moi, je ne sais pas comment j’ai fait, à vrai dire, répondit Chibaki en se grattant l’arrière de la tête. Quand je vous ai vus à terre, on dirait qu’un pouvoir enfoui en moi a resurgi. Après ça, je me souviens juste de la sensation… On aurait dit que ce n’était plus moi qui contrôlais mon corps.
Il parlait d’un ton sérieux, presque pensif.
— C’est vrai que t’avais pas l’air d’être toi-même pendant cette attaque, fit remarquer Renji.
Hanae, de son côté, était déjà montée se coucher. Elle était épuisée après avoir utilisé toute sa réserve de Myuki pour soigner Chibaki.
Après leur discussion, tout le monde alla dormir. Chibaki, lui, n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il repensa à son combat contre le Béhémours.
— Bon sang… je me rappelle pas de grand-chose ! C’est frustrant… Mais j’imagine que si j’ai réussi une fois, je peux réussir à nouveau, pensa-t-il, allongé sur son lit, un bras posé sur le front, le regard perdu dans le plafond.
Il finit par s’endormir, son corps encore affaibli.
Le lendemain matin, les premiers bruits de la rue réveillèrent Chibaki. Il ouvrit les yeux d’un coup et réalisa qu’il ne s’était pas levé à l’heure.
— Rhaaaa ! J’espère qu’ils sont pas déjà partis ! lança-t-il, paniqué.
Il s’habilla à toute vitesse, enfila son t-shirt, son pantalon, sa veste, puis dévala les escaliers pour rejoindre la taverne. Il scruta la salle, inquiet, mais ne vit personne… jusqu’à ce qu’une voix familière l’interpelle :
— Hé ho ! Chiba ! On est là, rejoins-nous si tu veux !
C’était Masaru, qui lui faisait signe depuis le fond de la salle. Chibaki, soulagé, sourit.
— Ah, salut les amis ! J’arrive !
Il les rejoignit à table. Masaru commanda aussitôt un bœuf-carottes pour lui, ajoutant avec un sourire :
— Tiens, Chiba, c’est moi qui régale ! Et tiens, voilà ta part de la quête. Tu l’as bien méritée, peut-être même plus que nous, héhé.
— Bon, Chiba, c’est dur à dire, mais… commença Masaru.
— Je sais… vous allez partir juste après ce repas. Mais du coup, je préférerais qu’on discute et qu’on rie jusqu’à la dernière seconde, s’il vous plaît, dit Chibaki d’un ton mélancolique en le coupant.
Masaru esquissa un petit sourire, puis répondit :
— … D’accord, Chiba. On va rire et parler jusqu’au bout, pas vrai les amis ?
Renji hocha la tête. Hanae, elle, détourna le regard avec un air faussement indifférent… mais ses joues étaient rouges.
Ils partagèrent donc leur dernier repas ensemble. Et même une fois le repas terminé, ils restèrent à discuter encore trois bonnes heures.
Le coucher du soleil pointa à l’horizon. Cela alerta le groupe, qui paniqua à l’idée d’être en retard… mais aucun ne semblait regretter cette longue discussion.
Arrivés aux portes de la ville, il était temps de se dire au revoir.
— C’est le moment, Chiba… On s’en va. J’espère que tu as apprécié ce court moment avec nous, et que tu te trouveras des compagnons dignes de ce nom. Des gens avec qui tu vivras des souvenirs inoubliables, dit Masaru, les larmes aux yeux.
Renji, d’un ton discret, ajouta :
— … Chiba… heu… tu vas me manquer. Comme Masaru l’a dit, je te souhaite de tout cœur de rencontrer des compagnons qui te soutiendront, dans les moments forts comme dans les plus tristes.
Tous les regards se tournèrent vers Hanae.
— Rhoo c’est bon, j’ai compris ! s’énerve-t-elle, gênée. Puis, plus timidement : Chiba… j’ai apprécié passer ces moments avec toi. Et surtout, ne t’avise pas de te blesser à nouveau. Je ne serai pas là pour te soigner à chaque fois. T’as intérêt à te trouver un autre soigneur.
Après ces adieux touchants, le groupe partit en faisant un dernier signe de la main. Chibaki les regarda s’éloigner jusqu’à ne plus voir que le soleil couchant, teintant le ciel d’orange et de rose.
Il retourna dans sa chambre à l’auberge. Là, il trouva une petite boîte en bois, un peu usée, posée sur son lit.
— Tiens ? C’est quoi, cette boîte ?
Il s’approcha, l’ouvrit… et découvrit quatre potions de régénération. En dessous, une lettre.
— Une lettre ? Je me demande bien de qui elle est…
Chibaki la prit, l’ouvrit… et ses larmes commencèrent à couler, toutes celles qu’il avait retenues lors des adieux.
Sur le papier, il était écrit :
“Tiens, c’est pour toi, Chiba. Au cas où tu te blesses. — Signé : Hanae”
Cette attention le fit fondre. Hanae, habituellement froide et distante… venait de lui prouver qu’elle avait un bon fond. Et maintenant qu’ils étaient partis, il ne pouvait même pas les remercier.
Il regretta de ne pas avoir parlé lors des adieux. Il avait eu peur de craquer… mais se dit qu’il aurait dû tout laisser sortir, quitte à pleurer.
Ce n’est qu’après de longues minutes, les larmes enfin séchées, qu’il reposa la lettre dans la boîte.
Un long silence s’installa, troublé seulement par le souffle du vent contre les volets. Chibaki essuya ses yeux, inspira profondément… puis se laissa tomber doucement sur le lit, les bras en croix, les yeux fixés au plafond.
— Merci… à vous tous, murmura-t-il, avant de sombrer dans un sommeil lourd… mais apaisé.
Le lendemain matin, les premiers rayons du soleil réveillèrent la ville. Chibaki ouvrit les yeux, s’assit sur le bord du lit, et regarda de nouveau la boîte que Hanae lui avait laissée. Un sourire apparut sur son visage.
Puis, il se rendit au terrain d’entraînement. Il agita son épée dans tous les sens, tentant de reproduire la technique qu’il avait utilisée contre le Béhémours… sans succès. Après une bonne heure, il fit une pause.
C’est alors qu’il aperçut quelqu’un s’approcher.
Il reconnut l’homme qui s’était occupé de son inscription à la guilde.
Celui-ci s’approcha et lui dit :
— Bonjour, Chibaki. Je viens te voir en personne : le chef de la guilde souhaite te rencontrer. Il voulait aussi inviter le groupe de la Lame Dorsale… mais ils étaient déjà partis. Il ne reste plus que toi.
— Bonjour. Le chef de la guilde en personne ?... J’imagine que c’est pour le Béhémours...
Juste après, Chibaki reprit :
« S’il voulait inviter moi et la Lame Dorsale, ça ne peut être que pour cette raison. »
« Je vois que tu es perspicace, Chibaki. Donc comme tu l’as dit, c’est bien pour le Béhémours qu’il vous a invités dans son bureau à la guilde. Bon, viens dans la journée, il attend avec impatience que tu lui racontes tout ça, » répliqua l’homme avec un sourire avant de repartir vers la guilde.
Après avoir mangé suite à son entraînement, Chibaki se dirigea donc vers la guilde, qui se trouvait juste en face de l’auberge où il avait pris son repas.
Dans la grande guilde d’Althera, les aventuriers allaient et venaient, certains postant des requêtes, d'autres fêtant un contrat réussi. Mais Chibaki n’y prêta pas attention. Il monta directement les escaliers menant à l’étage supérieur, là où se trouvait le bureau du maître de la guilde. Un silence presque solennel y régnait.
Devant une grande porte de bois finement sculptée, il inspira profondément… puis frappa deux fois.
« Entrez, » répondit une voix grave et posée.
Chibaki ouvrit la porte.
Le bureau était spacieux, baigné par la lumière du jour filtrant à travers de larges vitraux. Des étagères remplies de grimoires anciens bordaient les murs, et au centre trônait un grand bureau de bois sombre. Debout derrière celui-ci, un homme de stature droite, à l’allure noble, l’attendait.
C’était Valen Drosmir. Malgré ses quarante ans, il dégageait une énergie calme mais impressionnante. Son regard perçant fixait Chibaki avec intensité, et une aura d’autorité émanait naturellement de lui. Il portait un long manteau de cuir orné de broderies argentées, et sa posture droite trahissait l’ancien combattant.
« Tu es donc Chibaki, » dit-il en contournant le bureau pour lui faire face. « Le jeune homme qui a abattu un Béhémours… ce n’est pas rien. Approche. »
Chibaki s’avança, encore un peu tendu. Valen l’observa un instant en silence, puis reprit :
« Tu peux te détendre. Ici, tu n’es pas jugé, seulement écouté. »
Il désigna un fauteuil devant lui. Chibaki s’y assit.
« Raconte moi tout ce qu’il s’est passé. Je veux des détails. Ce genre de créature n’a pas été vue depuis vingt ans. Et pourtant, tu l’as affrontée… et vaincue. »
Chibaki raconta alors son combat contre le Béhémours, sans omettre les moments de doute, les blessures, et surtout l’apparition soudaine de cette technique inconnue. Valen l’écouta en silence, les bras croisés, le regard attentif.
« Hmmm… je vois. Donc c’était bien un Béhémours. Leur peau est incroyablement résistante. En temps normal, il faut au moins cinq aventuriers de rang E, ou trois de rang D pour en venir à bout. Et toi, tu l’as vaincu seul… grâce à cette technique que tu appelles “Lame Tempête”. »
Il marqua une pause, puis demanda avec curiosité :
« Est-ce que tu arrives à la reproduire ? »
Chibaki baissa les yeux, un peu gêné.
« Non… J’ai essayé ce matin, mais rien. Même en m’entraînant, je ne parviens pas à la refaire. Je suis désolé… »
Valen esquissa un petit sourire.
« Ce n’est pas grave. Le simple fait que tu aies pu l’utiliser dans un moment critique prouve que tu as un potentiel immense. Tu la maîtriseras de nouveau, j’en suis certain. Mais il y a autre chose… quelque chose d’inquiétant. »
Son ton devint plus grave.
« Tu vois, les Béhémours ne se déplacent pas en meute, c’est vrai. Mais le fait qu’un spécimen soit apparu aussi près d’Althera, après deux décennies d’absence… Cela laisse penser qu’il pourrait y en avoir d’autres. »
Chibaki se redressa, les yeux écarquillés.
« Quoi ?! Il y en aurait d’autres ? Comment est-ce qu’on va faire s’ils attaquent la ville ?! »
Valen posa une main ferme sur son bureau.
« Du calme. Pour le moment, nous allons envoyer des patrouilles d’aventuriers de rang C autour de la région. Un aventurier de ce rang est capable d’en affronter un seul sans trop de difficulté. Le but est de prévenir, pas de paniquer. »
Puis, il planta son regard dans celui de Chibaki.
« Mais si jamais un autre monstre de ce calibre apparaît… je compte sur toi pour être prêt. »