Vers une aube nouvelle !

« Les récits ne sont pas de simples souvenirs. Ils sont des balises. Des repères pour celles et ceux qui marchent encore dans le noir. Aujourd'hui, c'est à vous d'écrire le vôtre. Soyez notre espoir. Soyez notre héritage. »

— Discours du président Jeremiah Robinson aux Navigateurs, 11 octobre 2097. Extrait de La Mémoire des Terriens, archives du Mjolnir.

Première partie : Mjolnir

La lumière rouge pulsait doucement au-dessus de sa couchette, rythmée comme un battement de cœur. Alice fronça les sourcils. D'un mouvement du poignet, elle activa le PAD implanté dans son bras. 5h00. Trop tôt pour se réveiller, trop tard pour se rendormir.

Elle soupira, bascula ses jambes hors du lit et frôla le sol métallique du bout des pieds. Se redressant avec raideur, elle traversa la cabine jusqu'à la capsule hygiénique. Un bourdonnement sourd l'enveloppa en franchissant le seuil. Le champ électrostatique, conçu pour décoller les impuretés sans utiliser d'eau, fit vibrer sa peau. Elle frissonna, chatouillée par les micro-vibrations jusque dans les replis invisibles de son épiderme.

Moins d'une minute plus tard, elle ressortit, les cheveux ébouriffés et la peau légèrement électrisée. Devant son écran-miroir, elle scruta son reflet : la silhouette élancée aux muscles fins d'une fille de seize ans, déjà marquée par l'entraînement quotidien.

Elle attacha rapidement ses cheveux roux en un chignon serré. La plupart des filles de son unité avaient opté pour des cheveux courts, plus pratiques, mais pas elle. Refuser de céder, même dans les détails, était sa petite rébellion personnelle — un rappel muet qu'elle n'était pas seulement un uniforme parmi d'autres.

Une courte vibration à son poignet la tira de ses pensées : il était l'heure d'y aller. D'un geste sec, elle ajusta son uniforme et quitta sa cabine.

Le couloir était silencieux. Les lumières basse consommation diffusaient une clarté bleutée sur les parois métalliques. À mesure qu'elle avançait, des bribes de conversations étouffées, des pas pressés et des battements sourds commençaient à remplir l'espace. Un drone de maintenance glissa silencieusement au plafond, tandis qu’un chat tigré traversa le couloir d’un bond, disparaissant entre deux caisses de transport.

Elle parvint à la salle de réunion, austère et froide, où affluaient peu à peu les membres de son unité. Les murs gris et nus n'avaient pour seul ornement qu'une immense affiche numérique : un groupe de soldats, fiers, sous deux soleils jumeaux, levant le drapeau du Mjolnir. En dessous, une devise massive : « Ensemble, menons l'humanité vers une aube nouvelle ! »

Alice observa la scène, mi-fascinée, mi-agacée par le ton dramatique de la propagande.

Un léger tapotement sur son épaule la fit sursauter. Elle pivota sur elle-même, prête à réagir, mais ne trouva personne. Elle se retourna de l'autre côté et tomba nez à nez avec un grand garçon blond, qui fit mine de fixer l'affiche avec application.

— Très subtil, Alphonse... soupira-t-elle, en lui assénant un discret coup de poing sous les côtes.

Alphonse se plia de rire, mains levées en signe de reddition.

— Moi aussi je suis ravi de te voir, ma grande !

Costaud, les cheveux blonds coupés courts, et de grands yeux bleus, Alphonse faisait partie de ces gens au rire et à la bonne humeur contagieuse. Il aimait aussi par-dessus tout jouer de son charme, ce qui avait tendance à énerver Alice, qui ne partageait pas son goût du spectacle.

Ils échangèrent un sourire complice. Depuis qu'ils étaient entrés ensemble aux classes militaires enfantines, ils ne s'étaient plus quittés, malgré leurs caractères opposés.

La porte s'ouvrit soudain derrière eux, et l'atmosphère changea brutalement. Le général Baptiste fit son entrée.

Un lourd silence s'abattit sur la salle pendant que l'homme fendait la foule d'un pas ferme. Grand, charpenté, son visage taillé à la serpe, marqué de cicatrices, imposait le respect. À ses côtés, la caporale Patil, la terreur de la zone d'entraînement, tout en fluidité et en froideur, faisait claquer son regard perçant.

Ils montèrent sur l'estrade. Attente. Suspense. Seul le bourdonnement lointain de la ventilation emplissait la pièce.

Après de longues secondes, le général Baptiste prit la parole :

— Aujourd'hui est le jour de la commémoration de l'Exode. Aujourd'hui, nous nous souvenons. Et aujourd'hui, nous avançons.

— Aujourd'hui, nous avançons ! répondirent en chœur les recrues.

L'affiche derrière le général s'effaça pour laisser place aux images d'archives des derniers jours de la Terre. Villes en flammes, catastrophes, désespoir. On voyait çà et là des explosions titanesques, balayant des pays entiers, des océans vidés de toute leur eau, un ciel dont les fumées ne laissaient plus passer le moindre rayon de soleil. La mort, sous forme de terribles épidémies, des hommes devenus fous, s'entretuant en masse.

Alice sentit une sueur froide couler le long de son échine. Même après tant d'années, ces images conservaient toute leur force.

— Cela fait maintenant 823 ans que notre vaisseau, le Mjolnir, a quitté la Terre pour Avalon. 823 années de luttes, de sacrifices, de prouesses et de rêves.

Alice était captivée, comme tout le monde.

— 823 ans que le Conseil garde secrète la date de l'arrivée de notre vaisseau sur Avalon. Et c'est ce même Conseil qui, aujourd'hui, m'envoie vous porter un message en ce jour si particulier.

Il fit une pause, laissant le temps à ses mots de pénétrer l'assemblée.

— Aujourd'hui, j'ai l'honneur de vous annoncer que dans 171 jours précisément, nous serons en vue d'Avalon.

Un souffle. Le silence. Puis une explosion de joie. Cris, rires, larmes.

Même les officiers esquissèrent des sourires discrets.

Alphonse saisit Alice par les épaules et la fit tourner vers lui, riant aux éclats. Elle, submergée par l'émotion, se laissa enfin emporter par la liesse générale.

Le général Baptiste leva une main, et le silence se réinstalla.

— Dès demain débutera un cycle de sélections d'un mois. Chaque semaine, de nouvelles épreuves éliminatoires seront organisées. À l'issue, les meilleurs d'entre vous intégreront les escouades d'exploration. Sachez que la concurrence sera rude. Les places seront rares. Si vous y parvenez, vous rejoindrez les sections plus expérimentées et serez parmi les premiers à fouler le sol d'Avalon. Dès lors, votre mission sera de trouver et sécuriser les zones d'installation des premières colonies. De votre entraînement et de votre volonté dépendra la réussite ou l'échec de cette colonisation, conclut-il.

La caporale Patil prit à son tour la parole, d'une voix tranchante :

— Vous êtes prévenus. Profitez de votre journée. Reposez-vous ou entraînez-vous, le choix vous appartient. Dès demain, les choses sérieuses commenceront. Loués soient les ancêtres. Louée soit la lignée.

Alice échangea un regard déterminé avec Alphonse, qui ne s'était pas arrêté de sourire.