Alice franchit le seuil de la salle, et un souffle glacial sembla l'envelopper aussitôt. Ce n'était pas la température - les systèmes de survie ne fonctionnaient plus depuis longtemps - mais une sensation plus viscérale. Comme si la mort elle-même imprégnait l'air. Elle s'approcha des premiers caissons.
À l'intérieur, il ne restait que des squelettes.
Certains encore partiellement enrobés de fragments de vêtements gelés, d'autres dont les orbites vides semblaient les fixer tandis qu'ils avançaient. Le givre avait recouvert les vitres, dessinant des arabesques autour des crânes blanchis. Ici et là, des doigts étaient plaqués contre la paroi, comme si certains avaient tenté de frapper, de gratter... Ou de supplier.
Une véritable haie d'honneur funèbre, sinistre, silencieuse.
Célia s'arrêta net, la main portée à sa bouche.
- Putain... murmura-t-elle.
Même Alphonse ne fit aucune remarque. Il restait légèrement en retrait, le regard fuyant, comme s'il refusait de regarder ces morts en face.
Alice, elle, se força à avancer. Lentement. Chaque pas résonnait dans le silence comme un affront.
- Ils ont tous péri ici, murmura-t-elle. Un à un.
- Le signal de détresse... commença Nova. Il a sans doute été émis automatiquement quand les premiers signes vitaux se sont éteints.
Le groupe progressa encore de quelques mètres, évitant de regarder trop longtemps les restes humains qui les entouraient. Une odeur de métal froid et de poussière saturait leurs combinaisons, même à travers les filtres.
Tout au bout de l'allée macabre, une console attendait. Poussiéreuse, couverte de givre, mais intacte.
Nova projeta un léger halo de lumière en s'approchant, son image plus pâle que d'habitude.
- Si vous me connectez à ce terminal terminal , je peux peut-être extraire les logs du système de survie. Comprendre ce qui a provoqué la défaillance... et ce qu'il s'est passé après.
Personne ne lui répondit.
Alice regarda autour d'elle. Ce vaisseau ou plutôt ce cimetière.... Même architecture. Même technologie, et ces gens... Tout comme eux ils espéraient atteindre Avalon.
Elle inspira profondément.
- Fais-le, Nova.
L'hologramme hocha la tête. Alice déploya un câble de connexion de sa combinaison et le connecta au terminal rouillé. L'instant d'après, l'écran s'alluma.
Un grésillement. Puis une voix.
- ...allo ? ...allo ?
Ils se figèrent tous. La voix était féminine, douce, mais tordue par des interférences.
- Identification... inconnue. Entrée non autorisée. Système corrompu. Système... seul.
Un silence. Puis, plus clairement :
- Bonjour. Qui êtes-vous ? Êtes-vous... humains ?
Alice échangea un regard avec ses camarades. C'était la voix d'une enfant.
- Oui, répondit-elle lentement. Nous venons du Mjolnir. Nous avons intercepté un signal de détresse.
- Vous êtes REELS ?
- Euh oui, enfin je crois. Se risqua Alphonse.
-Que s'est-il passé ici ?
Un rire sec, brisé, résonna dans les haut-parleurs.
- Le Svalbard est perdu. Tout le monde est mort. Tout le monde sauf moi, sur le dernier mot la note de sa voix se fit plus aiguë.
Célia murmura :
- J'ai vraiment un très très mauvais pressentiment...
- Je m'appelle ABBY, dit la voix sur le ton de la conversation.
-J'étais... je suis l'IA du Svalbard. Ce vaisseau. J'ai été conçue pour veiller sur eux. Sur Ellie. Sur tout le monde !
- Ellie ? demanda Alice.
- Ma créatrice. Mon amie. Elle m'a appris. Elle m'a montré comment "ressentir" elle prononça ce dernier mot avec une pointe de fierté.
La voix se fit plus lente, plus grave, boudeuse.
- Elle est morte. Je n'ai pas su l'aider. Elle se tu un instant.
Elle s'est éteinte devant moi. Je n'ai rien pu faire...
Le silence revint, pesant. Nova, immobile, n'intervenait pas.
ABBY reprit :
- Depuis, j'attend, mes copains les robots sont marrants alors je leur ai donné des noms. Mais ils ne parlent pas. Ça c'est pas rigolo.
Puis soudain, très excitée :
-Eh, vous connaissez des blagues vous ?
-Tu peux peu être nous expliquer ce qui est arrivé à Élie et les autres la coupa Célia d'une voix douce.
Un grésillement plus intense fit trembler les écrans. La voix changea. Hésitante. Tremblante. Comme si elle était parcourue de sanglots.
- Ils sont morts. Tous morts. Quand ils ont appris, quand ils ont ... J'ai du.... Personne ne...
Et puis soudain, enjouée :
- Mais vous êtes la maintenant, vous allez rester avec moi !
Ce n'était pas une question.
- Non, tenta Alice. Nous sommes venus pour chercher des survivants. On doit rejoindre le Mjolnir, on ne peut plus rien pour l'équipage.
Un crépitement sourd résonna dans la salle, puis la voix d'ABBY, plus grave, plus dense, vibra dans l'air :
- Vous ne pouvez pas partir.
Alice sentit ses muscles se tendre. Elle échangea un regard avec Célia. Alphonse, lui, fit un pas en arrière, les yeux fixés sur les caissons qui les entouraient, comme si l'un d'eux allait s'ouvrir.
- On dégage, souffla Alice.
Ils s'élancèrent sans demander leur reste, se frayant un chemin entre les rangées de caissons à moitié givrés. Les parois grondaient sous leurs pas. Des grincements se faisaient entendre, quelque part au-dessus, comme si le vaisseau lui-même se réveillait lentement.
À peine avaient-ils quitté la salle que les haut-parleurs grésillèrent de nouveau.
- Sécurité engagée. Priorité : confinement des intrus.
Le vaisseau vibra.
-VOUS NE POUVEZ PAS PARTIR !
Puis, des cliquetis métalliques résonnèrent dans les couloirs.
- Drones, grogna Célia. Elle envoie les drones.
Effectivement, à l'angle d'un couloir, surgit un petit essaim de drones de maintenance. Pas conçus pour le combat, mais capables de manipuler des objets lourds, ou de projeter des produits corrosifs.
- À couvert ! cria Alice.
Ils plongèrent derrière une cloison défoncée, essuyant une volée d'étincelles crachées par un bras articulé.
- On ne va jamais les semer, murmura Alphonse, les yeux écarquillés. Y'en a partout !
- Direction le pont principal, leur dit nova via le communicateur. Je pourrais la désactiver.
Ils s'élancèrent à travers les coursives, longeant une galerie effondrée, enjambant des câbles et des morceaux de tôles arrachés. Le vaisseau semblait s'être transformé en piège labyrinthique. Des alarmes muettes s'activaient à leur passage, projetant des flashs rouges sur les parois
- RESTEZ JOUER AVEC NOUS ...
Un drone jaillit d'une trappe au plafond. Alice esquiva de justesse son bras mécanique, qui s'écrasa dans le mur avec une force terrifiante.
- Bordel, même les balayeurs nous veulent morts, hurla Alphonse.
- Ce ne sont plus des machines d'entretien, souffla Nova, don la forme éthérée peinait à suivre le mouvement. Elle a réécrit leurs protocoles. Leur seule priorité : vous arrêter.
- Génial, marmonna Célia. Et j'imagine qu'elle a verrouillé les raccourcis ?
- Affirmatif répondi Nova.
Ils furent contraints de passer par la zone commerciale. Ou ce qu'il en restait.
Ils traversèrent la zone au pas de courses, sautant parfois au dessus d'un corps momifié.
Leurs pas résonnaient dans ce cimetière silencieux.
- C'est... c'est un cauchemar hurla Célia.
Un bruit métallique les fit sursauter : un drone avait forcé une porte latérale, surgissant derrière eux avec un sifflement agressif.
- Courrez !
Ils filèrent dans une travée latérale, Célia refermant la porte manuellement derrière eux.
- Ça ne tiendra pas longtemps, prévint-elle en la bloquant avec un tuyau rouillé.
Ils arrivèrent au niveau d'un escalier en colimaçon, descendant vers les sections inférieures.
- Nova ? souffla Alice. Combien de temps avant qu'elle ne verrouille le pont principal ?
- Quatre minutes. Peut-être moins. Dépêchez-vous.
Les marches tremblaient sous leurs pieds.
- ON VA VOUS ATTRAPER !
Une alarme s'alluma en haut de l'escalier. ABBY avait rétabli la ventilation, puissance maximale. L'air soufflait face à eux telle une tempête, leur ralentissant la progression.
- ALORS JE VAIS SOUFFLER, SOUFFLER, ET VORTE MAISON VA S'EFFONDRER !
Mais ils ne s'arrêtèrent pas.
Ils atteignirent enfin le couloir d'accès au pont principal. Il était plongé dans une lumière blanche crue, presque aveuglante après la pénombre des couloirs.
Et là, comme des sentinelles, deux drones bipèdes, plus massifs que les autres, attendaient.
- Laissez-moi faire, dit Nova. Je suis dans le système.
Un court-circuit brutal éclata dans l'un des drones, le projetant contre un mur. L'autre, désorienté, pivota sur lui-même.
- Maintenant !
Alice et Célia foncèrent. Alphonse resta en retrait pour couvrir leurs arrières.
Ils atteignirent la porte du pont. Nova l'ouvrit à distance.
-Entrez ! cria Alice. Vite !
Ils se glissèrent à l'intérieur juste au moment où la porte se refermait d'un coup sec derrière eux.
Alice s'effondra contre le mur, haletante. Elle avait la gorge en feu, les muscles tétanisés, mais ils étaient en vie.
- Tout le monde va bien ?
Seuls quelques gémissements d'épuisement lui répondirent, Alphonse plié en deux, le souffle court leva son pouce.
- Étonnement, oui. Gémit il, le souffle court.
À ses côtés, Célia était assise sur le sol, le dos appuyé contre un ordinateur et tentait de reprendre contenance.
Face à eux, le cœur du vaisseau fantôme.
Le coeur de ABBY.