Mauvais pressentiment

Le sas d'amarrage se referma derrière eux dans un souffle étouffé.

Un silence glacial s'abattit aussitôt.

Pas un bruit. Pas un mouvement.

Devant eux, le couloir principal de l'épave s'étendait, identique en tout point à celui du Mjolnir... mais recouvert d'une fine couche de poussière stagnante, presque organique. Les parois grises étaient fissurées, maculées de taches sombres. Certains panneaux clignotaient encore faiblement, comme des fantômes technologiques refusant de mourir.

Alice s'avança d'un pas lent, son casque vibrant au rythme de sa respiration.

Au-dessus d'eux, une enseigne lumineuse pendait à moitié arrachée, "Zone Marchande - Secteur C", les lettres tremblotant dans un crépitement d'énergie mourante.

- C'est... le Mjolnir, souffla Alphonse.

Alice acquiesça lentement. Même les inscriptions sur les parois, les panneaux de signalisation, les éclairages d'urgence grillés... tout était identique. Pourtant, ici, tout était mort. Dérangé. Comme une version cauchemardesque du foyer qu'ils connaissaient depuis toujours.

- J'ai un mauvais pressentiment, murmura Célia.

- Vous vous souvenez de ce vieux film, murmura Alphonse, quand une équipe de marines américain armés jusqu'aux dents pénètres dans une ville fantôme, et se font transformer en couveuse pour bébés aliens ?

Alice ferma les yeux. Malheureusement oui elle se souvenait bien de ce film terrifiant.

-Bah, repri Alphonse, ça ressemble vraiment beaucoup à ce qu'on voit ici. La seule différence, c'est que nous on a pas d'armes.

Ils progressèrent prudemment, Nova projetée en faible halo flottant au-dessus de leurs têtes. Elle commentait rarement, mais analysait en temps réel les données de l'atmosphère, les températures, les niveaux de radiation. Rien d'anormal, disait-elle. Juste un cimetière hermétique.

Le premier choc émotionnel survint en atteignant la zone commerciale.

Le couloir principal, qui sur le Mjolnir était un endroit plein de vie, n'était plus ici qu'un champ de ruines. Des enseignes arrachées pendaient au plafond comme des lambeaux de peau métallique. Les vitrines étaient pulvérisées. Des traces de brûlures et d'explosions marquaient les murs. Un petit véhicule de service, renversé sur le côté, portait des impacts de projectiles visibles.

- Il y a eu des combats, murmura Alice.

Alphonse s'approcha d'un panneau d'affichage fendu.

- Ou une émeute. Regarde, les points d'impact viennent de partout. Ce n'était pas une attaque organisée... c'était le chaos.

Célia recula d'un pas brusque.

- Là... derrière le comptoir.

Un corps.

Ou plutôt un squelette, recroquevillé, en combinaison civile, les bras repliés autour de la tête comme pour se protéger. La mâchoire, figée dans un cri muet, semblait encore vibrer de la peur du dernier instant. Aucun signe de blessure visible. Juste... figé.

- Bordel, souffla Alphonse. Ils sont morts ici. Tous.

En effet, un peu plus loin, près du sas d'accès aux Ponts supérieur, se trouvait un imposant monticule de cadavres. Des dizaines de corps, entremêlés, les uns sur les autre. Comme s'ils s'était grimpés desssus avant d'expirer.

Depuis le projecteur de la combinaison d'Alice, Nova s'approcha lentement, analysant les corps à distance.

- Absence de trace d'oxydation rapide. Aucun signe de contamination chimique externe. Mort par choc systémique, probablement dû à une décompression brutale. Mais la cause initiale reste inconnue.

Ils reprirent leur route, silencieux, oppressés.

Ils traversèrent ensuite un corridor secondaire, menant aux serres hydroponiques. Là, un spectacle absurde les attendait.

Des plantes verdoyantes tapissaient encore les étagères. Les systèmes d'irrigation fonctionnaient par cycles. Des brumisateurs se déclenchaient régulièrement, entretenant un microclimat quasi intact.

- Les automates d'entretien sont restés actifs, nota Nova. La routine a été maintenue.

Un robot d'arrosage passa lentement devant eux, son bras articulé aspergeant délicatement un rang de fraisiers. Puis, sans un bruit, il contourna un squelette assis au sol, dos au mur.

Le crâne de la femme morte reposait dans une gouttière. Une pousse verte s'était élevée depuis son orbite vide, vibrant légèrement sous les gouttelettes d'eau.

Alphonse recula, dégoûté.

- C'est pas possible. Comment... comment c'est encore en vie, tout ça ?

- Ce sont des systèmes autonomes, répondit Nova. Tant que l'énergie le permet, les routines subsistent.

- On devrait continuer, dit Alice. Suivons la piste du signal.

Ils quittèrent la serre à contrecœur.

Bientôt, le chemin les mena vers la zone scientifique. Les couloirs étaient familiers mais empreints de cette tension palpable. Aucun bruit. Aucun souffle. Juste leurs respirations amplifiées par les casques.

Et puis, soudain, une porte.

Placée au fond d'un couloir qu'ils connaissaient par cœur. Une porte qui ne devait pas être là. Aucune mémoire d'un accès à cet endroit. Pas sur le Mjolnir.

- Quelqu'un d'autre voit ça ? murmura Célia.

- Elle n'existe pas... chez nous, confirma Alphonse.

Alice s'avança, leva la main. La porte s'ouvrit dans un sifflement grave, dévoilant l'intérieur d'une salle gigantesque.

Des rangées de caissons cryogéniques s'alignaient jusqu'à disparaître dans la pénombre. Des centaines, entreposés les uns sur les autres. Tous éteints. Tous morts. Des squelettes flottaient dans les cuves vides, figées dans un sommeil sans fin.

Nova analysa immédiatement la pièce.

- Source du signal localisée. Il émane de cette salle.

Alice s'approcha lentement, le cœur au bord des lèvres.

- Qui étaient-ils ?

Personne ne répondit.