Interrogatoire

Acte 2: Projet genèse.

La navette vibra sous l'arrimage brutal du module des vaisseaux de récupération.

Ils n'échangèrent pas un mot. Assis côte à côte dans l'habitacle silencieux, Alice, Célia et Alphonse fixaient les silhouettes des soldats qui apparaissaient à travers le hublot.

- Ça y est, murmura Alphonse. C'est maintenant ?

Alice ne répondit pas. Elle resserra les sangles de son harnais, les doigts raides.

Ils avaient à peine pri le temps de dire au revoir à Nova, et même si Alice savait qu'ils allaient la retrouver bientôt à bord du Mjolnir, l'idée de laisser cette partie d'elle seule dans ce vaisseau avec ABBY, et de penser à leur fin prochaine, atomisé par la chaleur du soleil la rendait malade. Et elle s'en voulait terriblement d'avoir laissé leur amie se sacrifier comme ça.

Les portes s'ouvrirent dans un souffle pressurisé. Trois soldats en armure légère montèrent à bord. Aucune parole. Juste des gestes fermes. Ils les firent sortir un par un, les mains levées, escortés sous bonne garde jusqu'à leur navette. Puis jusqu'au sas d'accès du Mjolnir. Là, d'autres soldats les attendaient. Alice en reconnaissait certains pour les avoir déjà vu sur le terrain d'entrainement.

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Horizon n'était pas avec eux.

Un homme en uniforme gris s'avança d'un pas tranquille, les mains croisées dans le dos. Son visage affichait un sourire chaleureux, presque bonhomme - mais ses yeux, eux, restaient froids comme le métal.

C'était le capitaine du Rahn. Membre du conseil le plus réputé et le plus respecté.

- Bien le bonjour, lança-t-il d'un ton enjoué. Votre petite excursion s'est bien passée ? Pas trop de bobos j'espère ?

Il laissa planer un silence, son regard s'attardant sur chacun d'eux, avant de reprendre :

- Quand on m'a rapporté qu'un groupe d'aspirants avait réussi à détourner une partie de la propulsion pour s'offrir une balade en navette... j'ai cru à une blague. Sérieusement. Une très mauvaise blague.

Son sourire s'élargit, sans atteindre ses yeux.

- Quelle audace mes amis ! Quelle audace ! Il se mit à rire, comme si on Alice et les autres venaient de lui raconter une bonne blague. Mais parmis eux, personne n'avait le cœur à rire. Puis aussi sec, son rire cessa, et son sourire disparu.

- J'ai hâte de découvrir ce qui a bien pu vous sembler plus important que les ordres, que la chaîne de commandement... et que votre avenir.

On leur confisqua leurs combinaisons, leurs outils, jusqu'à leurs implants de données. Une piqûre préventive leur fut administrée, sous prétexte de vérification sanitaire. Puis on les sépara.

Alice fut conduite dans une salle blanche, sans miroir, sans fenêtre. Un homme, qu'elle n'avait jamais vu, l'y attendait. Costume sobre, dos droit, ton neutre. L'interrogatoire dura près d'une heure. Les mêmes questions, en boucle.

Où êtes-vous entrée ? Qui a pris l'initiative ? Quelle est la nature exacte de l'IA retrouvée à bord ? Est-elle venue avec vous ? Qui est le garçon dans le caisson ?

Elle répondit. Elle ne mentit pas. Elle aurait pu. Mais à quoi bon ?

Quand on la laissa repartir, elle crut d'abord à une erreur. Pas de cellule. Pas de sévices. Pas même de remarques. On lui rendit ses vêtements. Puis on la fit raccompagner jusqu'à ses quartiers, avec consigne de se reposer. "Vous reprendrez les sélections demain."

C'était tout.

Célia et Alphonse eurent le même traitement. Tous les trois se retrouvèrent dans une salle de repos isolée, encore étourdis. Alphonse faisait les cent pas.

- J'ai pas compris. Toi t'as compris ? Moi j'ai pas compris. On enfreint toutes les lois du vaisseau, on accède à un putain de vaisseau interdit, on revient avec un gosse cryogénisé et... rien ?

- C'est pas normal, souffla Célia. Y a quelque chose qui se trame.

Alice restait silencieuse, assise sur un des bancs, le regard vide.

- Ils savent pour ABBY. Ils savent pour Nova. Et ils veulent faire comme si de rien n'était.

- Et Lucas ? Il est où, Lucas ? demanda Alphonse. C'est quand même le gamin d'une chercheuse morte il y a deux siècles. Il dort, il se réveille, il apprend qu'il est là dans le futur et...quoi ? On lui prépare une chambre une tape sur le dos et bienvenue à bord ?

C'est à ce moment que Horizon entra. Elle boitait encore légèrement, mais elle marchait seule. Son visage était crispé. Elle s'arrêta net en les voyant.

- Je... je suis désolée.

Alice se redressa.

- Quoi ? Pourquoi ?

Horizon détournait les yeux.

- Esteban m'a surprise dans le labo. Je cherchais à vérifier les données du Svalbard. J'ai tenté de... de prétexter une recherche, mais il a vu clair. Quand il a réalisé que vous étiez absents tous les trois, il a insisté. Il a menacé d'alerter le commandement. Alors j'ai parlé.

Un silence. Puis Célia soupira.

- Tu as fait ce que tu devais faire. T'as pas à t'en vouloir.

- C'est pas ça... j'aurais pu tenir. Mais je crois qu'une part de moi avait besoin qu'il sache. Qu'il nous aide. Et je crois qu'il était déjà au courant, en partie.

- Et Nova ? demanda brusquement Alice. Il a parlé de Nova ?

Horizon secoua la tête.

- Il a gardé le secret. Sa version originale va faire la morte quelques temps. On est sûrement surveillé c'est trop dangereux. Sa copie est restée sur le Svalbard.

- Elle a été vraiment courageuse.

Un long silence s'installa. Puis Alphonse s'étira, les bras en croix.

- Bon. On n'est pas morts, pas en cellule. On a encore nos badges. On est fatigués, on a peur, mais... on est vivants. C'est un début, non ?

Alice ne sourit pas. Mais elle hocha la tête.

- Oui. Mais ça ne fait que commencer.