Le couloir du module d'habitation résonnait d'un brouhaha qu'Alice n'avait pas entendu depuis des jours. Des rires, des exclamations, des appels familiers. L'atmosphère était chaude, saturée de voix surexcitées, de pads qui vibraient, de discussions en cascade. Elle n'avait pas encore passé le seuil du dortoir que les premières têtes s'étaient tournées vers elle.
- Ils arrivent !
- C'est eux, j'vous l'avais dit !
En quelques secondes, elle, Horizon, Célia et Alphonse furent encerclés.
- C'est vrai que vous avez vu un vaisseau fantôme ?
- Quelqu'un a dit que vous aviez affronté des robots de défense ?
- On m'a parlé d'un mec vivant, genre cryogénisé depuis deS siècles ! C'est vrai ?!
Alphonse leva les mains en grand, théâtral.
- S'il vous plaît, une question à la fois.
Il adopta une posture martiale, feignant la gravité.
- Oui, nous avons bravé l'inconnu. Oui, j'ai sauvé mes camarades en désactivant un système de défense archaïque avec... mon génie.
- Et les zombies ? Demanda quelqu'un.
- Des zombots, lança-t-il soudain. Demi-zombies, demi-robots. Pleins de dents, aucun sens de l'humour. Terrifiants.
Un éclat de rire général parcourut la pièce. Quelqu'un lança une paire de chaussettes dans sa direction. Il les attrapa au vol et s'en servit d'arme dans une représentation dramatique de son combat contre un Zombot.
- Vous riez, mais j'ai presque perdu un bras entre les mâchoires de ce monstre !
Les jeunes les assaillaient de questions, mais les versions se contredisaient toutes. Certains avaient entendu parler d'un vaisseau invisible, d'autres d'une mission secrète du Conseil. Un ou deux murmuraient que le conseil leur avait confié une tâche spéciale. Même les plus sceptiques restaient suspendus à leurs lèvres, fascinés.
Alice, un peu en retrait, observait la scène. Elle s'efforçait de sourire, mais elle sentait au fond de sa poitrine cette pression silencieuse, celle qu'on ressent quand les autres vous regardent comme si vous étiez revenu d'un monde où eux ne peuvent pas aller.
Puis, au fond de la pièce, une voix claqua comme un couperet :
- Vous vous amusez bien ?
Le silence se fit progressivement. Dante s'était levé de sa couchette, dos appuyé contre le mur, bras croisés.
- C'est marrant, j'ai dû rater la partie où désobéir aux ordres, voler une navette et foutre en l'air des protocoles vitaux vous transforme en héros.
Personne ne répondit. Alphonse avait cessé de gesticuler, regard sombre. Alice fixa Dante sans un mot.
Il poursuivit, plus bas :
- Vous avez mis tout le monde en danger. Pour quoi ? Pour briller ? Pour faire les malins ?
Célia se leva lentement.
- Personne n'a voulu briller, Dante. On a suivi un signal. Il y avait quelqu'un.
- Et si ça avait été un piège ? Vous auriez pu tuer tout le monde.
Horizon se leva à son tour.
- On a pris un risque. On l'assume. Mais on a sauvé une vie.
- Une vie ? Et combien auraient pu mourir à cause de vous ? les techniciens vont se relayer jours et nuits pour tenter de combler l'impact énergétique de vos conneries. Mais bien sûr, tout le monde s'en fiche, hein. On préfère écouter Alphonse raconter ses salades.
Il attrapa sa veste et quitta le dortoir sans un mot de plus.
Un silence tendu s'installa. Puis Alphonse soupira, s'asseyant lourdement sur son lit.
- Eh ben, ça calme.
Quelqu'un éclata de rire nerveusement. Puis une autre voix reprit :
- Bon, mais sérieusement, c'est quoi cette histoire de survivant ?
Et les rumeurs reprirent, en sourdine. Mais l'ambiance avait changé. Moins euphorique. Plus dense.
Alice s'assit sur le bord de son lit. Elle regarda ses mains, ses doigts, comme s'ils appartenaient à quelqu'un d'autre. Le contact du sol du Svalbard lui collait encore à la peau. Le silence des couloirs vides. La voix d'ABBY.
Elle leva les yeux vers Horizon. Un simple regard. Mais tout y était.
Ce n'était pas fini.
Et ils n'étaient plus tout à fait les mêmes.