Lucas

- Il est pas terrible ton feu.

Alice soupira, et rangea la pierre à feu et le couteau dans la ceinture de sa combinaison.

Le bois était trop humide. Même avec la pierre à feu, même en suivant les gestes montrés par l'instructeur la veille, la combustion ne prenait pas. Juste un filet de fumée, têtu sortait paresseusement du tas de bois.

Alice jura entre ses dents et recula d'un pas

-J'en ai marre.

Celia, assise à califourchon sur un tronc mousseux, esquissa un sourire.

- C'est pas toi, c'est la pluie.

Autour d'elles, la forêt virtuelle palpitait de vie. Tout semblait réel : l'odeur du sol détrempé, la morsure fraîche du vent sur la peau, les stridulations d'insectes inconnus.

-T'as réussi à allumer le tien ? demanda Alice.

- Non. Mais j'ai au moins construit un abri qui ne ressemble pas à une tente écrasée. Railla elle en montrant l'abri de fortune sur lequel Alice s'était acharné pendant deux longues heures.

Elle plissa les yeux, dépitée. Célia éclata de rire.

Le bip de son pad les interrompit net. Un flash d'alerte visuelle remplaça la forêt durant un battement de cœur, avant que le décor ne reprenne sa place.

INFIRMERIE. URGENT. - E. Vance

-C'est mon père s'étonna Alice.

Esteban les attendait devant l'entrée du module médical, gêné il semblait éviter le regard de sa fille.

-Lucas est réveillé. Dit il simplement.

Il est conscient, stable, Il connaît son prénom, il sait qu'il est sur le Mjolnir. Mais c'est tout ce qu'on lui a dit pour le moment.

Alice était surprise.

-Il est... guéri ?

- Il ne présente plus aucun signe critique. Pas de fièvre, plus de lésions actives. Les médecins ne comprennent pas comment il a survécu à ses blessures initiales, mais il va vivre. Il marqua une pause.

- Il ne sait encore rien de ce qui s'est passé. Pas vraiment. C'est à vous de choisir ce que vous voulez lui dire.

Un silence, puis Alice hocha la tête.

- On va lui parler.

La porte s'ouvrit en silence. Lucas était assis dans son lit, le dos légèrement appuyé contre un oreiller médical. Il tourna la tête dès leur entrée, ses yeux clairs passant de l'une à l'autre sans hostilité, mais sans chaleur non plus. Simple curiosité. Ou réserve.

- Bonjour, dit Alice, hésitante.

Lucas acquiesça.

-Vous êtes ?

- Alice. Elle, c'est Célia.

Un temps. Il hocha la tête à nouveau, puis baissa les yeux vers ses mains.

-C'est vous qui m'avez trouvé ?

-Oui, répondit Alice À bord du Svalbard.

Il releva le regard, plus vif cette fois.

-Le vaisseau... il est encore là ?

-Abandonné. En route vers un soleil. On a suivi un signal. Une IA nous a guidés jusqu'à toi.

Un tressaillement imperceptible.

-ABBY....

Alice s'approcha, lentement.

-Oui. Elle t'a protégé jusqu'au bout.

Lucas inspira profondément, le visage durci, mais son ton resta calme.

-Ma mère ?

Alice et Celia croiserent le regard.

Puis dans un souffle, Alice déclara:

- Je suis désolé, Elle est morte. Il y a longtemps.

Il ferma les yeux. Aucun mot. Aucune larme. Seulement un silence tendu. Il encaissa.

Quand il les rouvrit, sa voix était tremblante.

-J'ai essayé de la retrouver. Quand tout s'est effondré. Il y avait des cris, des gens qui devenaient fous. On ne savait pas ce que c'était. Juste que ça tuait vite.

Ses doigts se crispèrent sur la couverture.

-Je me souviens du labo. J'ai couru. Quelqu'un a crié. Des hommes. Ils ont forcé la porte. J'ai... j'ai essayé de me battre. Puis plus rien.

Alice l'observa sans parler. Il allait trop vite, trop loin, mais il semblait en avoir besoin. Parler, pour reprendre possession de ce corps, de cette époque, de cette douleur.

La porte s'ouvrit à nouveau. Esteban entra, suivi du capitaine et son uniforme gris, mains croisées dans le dos, sourire chaleureux plaqué sur un visage figé.

-Ah, Lucas. Heureux de voir que tu es parmi nous.

Sa voix était douce, presque bienveillante, mais ses yeux - acérés, métalliques - jaugeaient le jeune homme avec une précision chirurgicale.

-Tu dois avoir beaucoup de questions, je n'en doute pas. Le réveil n'est jamais simple, surtout quand on change de siècle ahah !

Il se tourna vers les jeunes filles, les salua d'un hochement de tête appuyé, comme s'il se rendait soudain compte de leur présence.

- Je vois que tu as fait la connaissance de tes héroïne ! Ces charmantes demoiselles ont fait preuve de beaucoup de courage, et d'une audace stupéfiante pour te ramener ici.

Alice rougit, elle se doutait que l'homme n'avait pas encore digéré leur mutinerie.

Il se retourna subitement vers Lucas, sans perdre son sourire enjôleur.

-On m'a parlé de ton passé sur le Svalbard. Ingénierie, mécanique, structure externe... Intéressant. Ce sont des compétences qui manquent cruellement ici.

Lucas garda le silence, le fixant sans animosité mais sans soumission non plus.

Le sourire du capitaine s'élargit d'un cran, toujours sans atteindre ses yeux.

-Si tu te sens d'attaque, tu peux reprendre ta fonction. Ou, si tu préfères l'aventure, te joindre aux sélections en cours. L'un comme l'autre... serait utile.

Il laissa le silence s'installer. Puis, comme s'il offrait une faveur:

- Bien sûr, rien ne presse, nous avons encore un peu de temps ! Réfléchis. Mais tu comprendras vite que l'oisiveté n'est pas une option viable ici.

Et sur un dernier regard appuyé, il tourna les talons et quitta la pièce, sa démarche calme et droite, comme si tout était déjà décidé.

Esteban resta quelques secondes de plus, le regard posé sur lui. « Si tu veux parler à quelqu'un, tu sais où me trouver. »

Une fois seuls, Alice s'assit au bord du lit. Celia s'adossa au mur, bras croisés.

-On va t'expliquer ce qu'on sait, dit-elle. Ce n'est pas simple. Et ça ne sera pas facile à entendre.

Lucas releva les yeux vers elles. Plus alerte. Plus déterminé.

- Je suis prêt...

----

Le lendemain, la routine avait repris. En apparence.

Lucas marchait dans les couloirs du Mjolnir avec la démarche hésitante de ceux qui doivent réapprendre chaque pas. Vêtu de l'uniforme bleu des recrues, il ressemblait à n'importe quel adolescent. On lui avait montré les dortoirs le matin même, et il n'avait pu y rester très longtemps. La foule, le bruit. C'est trop pour lui. Alors il avait décidé de se changer les idées en visitant le vaisseau. Il était troublé par les ressemblances évidentes avec le Svalbard. A la différence qu'il ne reconnaissait aucun des visages présents à son bord.

Il croisa Célia dans un couloir. Elle le fixa sans rien dire.

- C'est moi, lança-t-il, après un silence gêné. Lucas. Le garçon du Svalbard.

Elle le détailla. Il semblait plus grand debout que dans ses souvenirs. Plus... solide.

- On s'est vu hier, répondit-elle finalement. C'est bon de te voir debout.

- C'est bon d'être vivant.

Il lui sourit. Pas par automatisme. Par gratitude. Comme s'il voulait qu'elle sache à quel point il lui était redevable.

---

Le soir venu, ils s'étaient tous retrouvés dans la salle d'entraînement. Pas pour un exercice. Pas par ordre. Par besoin.

Lucas observait les autres. Alphonse riait fort. Alice commandait naturellement. Horizon gardait cette distance analytique.

Il se sentait étranger, mais pas exclu pour autant. Les autres aspirants présents ne cessaient de le dévisager. Certains le pointaient même parfois du doigt.

- Tu vas t'y faire, dit Alice en s'approchant.

- C'est pas eux. C'est moi, répondit-il. J'ai l'impression d'être une erreur de programmation.

- Tu crois qu'on est quoi, nous ? lui lança-t-elle avec un demi-sourire.

Il la regarda longuement.

- Merci de m'avoir sorti de là-bas.

Elle haussa les épaules.

- Ca nous a semblé la chose à faire.

Il acquiesça. Lentement.

Mais dans son regard, il y avait autre chose. Une douleur qu'il n'avait pas encore mise en mots. Comme s'il attendait encore à se réveiller dans un vaisseau mort, seul au milieu des cadavres.