À Cologne vit Henri, un jeune trentenaire célibataire. Chaque matin, Henri enfilait sa chemise bleu pâle, passait son badge au cou, et prenait place derrière la caisse numéro 4. À 8h00 précises, il activait le scanner.
Bip, un paquet de biscuits. Bip, un litre de lait. Bip, une baguette. Ses gestes étaient réglés, mécaniques, comme une chorégraphie sans musique.
Il n’échangeait que des mots nécessaires : « Bonjour », « Ça fera 35 euros », « Merci, bonne journée ». Le reste du temps, il regardait l’allée défiler. Des visages, des mains tendues, des regards fuyants. Mais jamais de vrais échanges. Juste des transactions.
À la fin de sa journée, Henri éteignait son poste, rentrait chez lui, seul. Il dînait face à une télévision sans volume, puis s’endormait sans rêve. Il vivait, en apparence. Mais à l’intérieur, Henri ne vivait pas.
Un soir de pénombre, alors qu’Henri balayait distraitement les allées du supermarché avant la fermeture, son regard tomba sur une jeune femme, visiblement perdue devant le rayon des céréales. Elle tenait une boîte dans chaque main, l’air indécis. Ce n’était pas tant son hésitation qui l’intrigua, mais la façon dont elle souriait seule, comme si un souvenir doux lui chatouillait la mémoire.
Le lendemain, elle revint. Puis encore le jour suivant. Toujours à la même heure, toujours avec ce petit sourire tranquille, presque comme un phantom qui prend plaisir à regarder le monde réel. Elle passait à sa caisse, délibérément, malgré les autres vides autour. Un jour, elle glissa un mot entre ses achats : « Tu as l’air d’avoir oublié comment on vit. Et si on se rappelait ensemble ? ».
Henri ne répondit pas. Pas tout de suite. Il rangea le mot dans sa poche comme on garde un bijou cassé, sans savoir pourquoi. Enfaite, sur le coup, Henri ne comprenait pas le but de cette lettre. Mais le soir même, en rentrant, il fit quelque chose d’inédit : il ne s’assit pas devant la télévision. Il ouvrit son vieux carnet à spirale et écrivit une phrase. Une seule : « Aujourd’hui, j’ai respiré autrement. ».
Et pour la première fois depuis longtemps, Henri sentit quelque chose bouger en lui. Une fissure. Peut-être même une lueur.