Henri rentrait chez lui après une énième journée sans relief. Il avait la tête lourde, non de fatigue, mais de ce vide intérieur qui finissait par peser davantage que le tumulte. Il avait encore cette lettre dans la poche. Froissée. Presque oubliée.
Après le dîner, il s’installa au sol, dos au mur, dans sa chambre plongée dans l’ombre. La fenêtre entrouverte laissait s’infiltrer l’air tiède et quelques éclats de lumière urbaine. Il était 23h, la nuit était d’un calme poétique. Pas un bruit, pas même le murmure d’un voisin ou le grincement d’une canalisation. Le silence régnait, pesant, presque oppressant. Mais Henri ne cherchait pas à le briser. Au contraire, il l’écoutait. Ce silence n’était pas vide. Il était rempli de pensées étouffées, de regrets non dits, de souvenirs récalcitrants. Il le connaissait bien, ce silence. C’était son seul compagnon fidèle.
Dans cette bulle figée, il repensa à la lettre. Il l’avait lue déjà, pourtant cette fois, une phrase l’accrocha différemment : << Et si on se rappelait ensemble ?>>.
Henri fixa longuement la lettre. *« Et si on se rappelait ensemble ? »* Ces mots résonnaient comme un écho venu d’un endroit oublié de lui-même. Une invitation à ouvrir une porte qu’il avait soigneusement condamnée depuis des années. Il ne savait pas qui avait écrit cette lettre. Le nom Nina était signé en bas, simplement. Il ne connaissait pas de Nina. Du moins, pas dans cette vie terne qu’il menait depuis trop longtemps.
Il se releva lentement, comme mû par une impulsion nouvelle. Il reposa la lettre sur le bureau, à côté d’un vieux carnet de notes qu’il n’ouvrait plus. Puis, trois coups discrets à la porte le figèrent. Il crut d’abord rêver. Il n’attendait personne. À cette heure ? À cette période de sa vie ? Il hésita. Mais les coups se firent entendre à nouveau, presque identiques aux premiers. Calmes. Assurés. Henri s’approcha de la porte, le cœur étrangement nerveux. Il ouvrit. Elle était là. Jeune femme à la chevelure foncée, vêtue simplement, le regard profond, mêlé d’assurance et de timidité. Dans sa main, une lettre. Froissée. Identique à la sienne.