L’amie d’enfance du Zénith
Un jour, dans ma vie précédente, je me suis réveillé de particulièrement mauvaise humeur… et j’ai fait une grosse bêtise.
Quelque chose de si grave que, même aujourd’hui en y repensant, je ne comprends toujours pas ce qui m’a poussé à aller aussi loin.
C’était si grave que mon père, habituellement impassible, avait laissé transparaître une rage pure. Assez grave pour qu’il vienne lui-même me réprimander.
À cause de ça, j’ai été envoyé dans la 5ème armée, là où était stationnée ma sœur Gu Huibi, et j’ai dû y rester pendant six mois comme punition.
Évidemment, ça n’a rien changé à ma sale personnalité.
Mais cette punition a aussi été la raison pour laquelle j’ai rencontré Wi Seol-Ah une seconde fois.
Cela dit… cette rencontre n’a clairement pas été une bonne chose pour elle.
Tout ça pour dire que je devrais éviter Wi Seol-Ah pendant au moins encore six mois.
Alors, pourquoi est-ce que Wi Seol-Ah est devant chez moi, là, maintenant ?
La première chose que j’ai vue en ouvrant la porte, c’était son visage.
Celui de la personne que je ne devais pas revoir avant au moins six mois.
Mon expression choquée était donc parfaitement justifiée.
C’est un rêve… Ce doit être un rêve.
« J’ai veillé tard hier soir… »
Je commençais à avoir des hallucinations à cause de la fatigue. Voilà pourquoi il faut dormir suffisamment.
Je soupirai en secouant la tête.
Et alors que je me retournais pour refermer la porte, je sentis quelqu’un tirer sur mes vêtements.
Je baissai les yeux et vis de petites mains agrippant le bas de ma tunique. En remontant le long du bras du regard, je retrouvai le visage de Wi Seol-Ah.
…Ce n’est pas un rêve ?
Alors que la confusion me gagnait, je vis qu’elle semblait vouloir dire quelque chose…
« Je… je— »
Quelqu’un apparut à ce moment-là, et d’un geste vif et fluide, frappa les mains qui agrippaient ma tunique.
« Aïe ! »
Elle lâcha immédiatement prise, reculant sous le choc et la douleur.
Mais mes yeux s’écarquillèrent en reconnaissant la personne qui venait d’apparaître.
La présence de Wi Seol-Ah était déjà surprenante en soi, mais… Wi Hyogun, l’Empereur de l’Épée, était aussi là ?
Bon sang…
Je jurai intérieurement. Heureusement, ça ne sortit pas à voix haute.
Sinon, j’aurais probablement eu une crise cardiaque sur le champ.
Wi Hyogun, le visage marqué par la colère, gronda Wi Seol-Ah :
« Wi-Ah, espèce de sale gosse ! Je t’ai déjà dit comment te comporter devant le jeune maître, non ?! »
…Pardon ?
Jeune maître ?
« Présente tes excuses immédiatement ! »
« Je suis désolée, grand-père… »
« Pas à moi, imbécile ! Présente tes excuses au jeune maître ! »
« D-Désolée, jeune maître ! »
« … »
Mais… qu’est-ce qui est en train de se passer là ?
Alors que je tentais de comprendre ce qui m’arrivait, Wi Hyogun s’inclina devant moi.
Pardon ? Pourquoi l’Empereur de l’Épée s’incline-t-il devant moi ?
Quelqu’un peut m’expliquer ce bordel ?
« À partir d’aujourd’hui, moi, Wi Moon, serai à votre service, car nous avons une dette envers vous. Je ne sais pas si vous serez satisfait d’un vieil homme faible comme moi, mais je ferai de mon mieux. »
Wi Moon ? Pas Wi Hyogun ?
L’ancien jeta un regard à Wi Seol-Ah, qui s’inclina immédiatement, adoptant une posture modeste.
« À-à p-partir d’aujourd’hui, m-moi, Wi Seol-Ah, je servirai également le jeune maître avec mon grand-père. J’espère que vous serez indulgent avec nous. »
Servir ? Qui ?
« Moi… ? »
Un vertige soudain me prit. Ma vision se troubla un instant alors que je portais la main à mon front.
Je ne comprenais rien à la situation.
Et pour comprendre à quel point la situation était absurde, il fallait déjà savoir qui était Wi Hyogun.
Il fait partie des Trois Vénérables Célestes.
Les Trois Vénérables sont les trois plus grands artistes martiaux vivants parmi tous ceux qui peuplent le monde du Murim.
Les exploits de l’Empereur de l’Épée sont innombrables.
C’est lui qui a vaincu le Dragon Noir, l’ancien roi déchu. C’est après cette victoire qu’il est devenu le chef de l’Alliance Murim.
Il a reçu le titre de Première Épée uniquement en raison de sa force individuelle.
À cette époque, avant même l’apparition du Démon Céleste, il était probablement l’être le plus puissant du monde.
Et maintenant, un tel homme veut me servir ?
Pourquoi ?
Quel pourrait bien être le motif pour qu’un homme aussi fort utilise un faux nom et cache son identité ?
Même les quatre grandes familles l’accueilleraient avec faste s’il se présentait ouvertement !
Je ne voyais aucune raison valable pour qu’il soit ici, incognito.
Et s’il avait une dette envers mon père, Gu Cheolun, alors cela voudrait dire que mon père l’a appelé ici…
Est-ce que mon père est au courant de tout ça ?
Dans ma vie précédente, rien de tout cela ne s’était produit.
La seule fois où j’avais vu Wi Hyogun, il ne s’était rien passé entre nous.
Je ne lui avais probablement pas laissé une bonne impression à l’époque, vu les problèmes que je causais.
J’ai mal à la tête…
Mon plan initial était de laisser le cours du temps suivre son cours, tout en accumulant ma force discrètement, et d’attendre la fin de la Guerre Orthodoxe-Démoniaque.
Mais maintenant… le futur a changé.
Je baissai la main de mon front et détaillai Wi Hyogun.
À première vue, il semblait être un vieux monsieur bienveillant et sans prétention. Si je ne connaissais pas son vrai visage de ma vie passée, je l’aurais pris pour un vieillard ordinaire.
Et encore… si Wi Seol-Ah n’était pas là, je n’aurais probablement jamais cru que ce vieil homme était l’Empereur de l’Épée.
Mais… qu’est-ce que je suis censé faire maintenant ?
Je ne peux pas lui demander directement pourquoi il est là. Ce serait étrange, puisque je ne suis pas censé savoir qui il est.
Alors quoi ? Je fais comme si de rien n’était et j’accepte que l’Empereur de l’Épée et sa petite-fille me servent ?
Mais ce qui me faisait le plus peur, c’était que leur présence signifie que beaucoup de choses vont changer dans le futur.
Merde… Où est-ce que tout a commencé à foirer ?
La seule grande chose que j’avais changée par rapport à ma vie d’avant, c’est la manière dont j’ai traité Wi Seol-Ah.
Et juste à cause de ça… l’histoire a dévié aussi violemment ?
Ou alors… est-ce que je devrais redevenir l’arrogant que j’étais, et les virer en disant que je n’ai pas besoin d’un vieillard et d’une gamine ?
Alors que mon esprit était noyé dans les questions…
Wi Hyogun reprit la parole.
« Ma petite-fille ne connaît pas encore bien le monde. Vous risquez donc de ne pas être satisfait de son travail. Mais je vous assure, jeune maître, qu’elle apprend vite. Je m’assurerai personnellement qu’elle soit formée comme il faut, selon vos attentes. »
Je jetai un œil à la fille en question.
Elle se cachait derrière lui, accrochée à ses vêtements.
Et entre ses mèches décoiffées, je vis ses yeux tremblants.
Pourquoi est-elle aussi nerveuse ? Suis-je à ce point terrifiant ?
Dès que nos regards se croisèrent, Wi Seol-Ah parla :
« Je ferai de mon mieux… Vraiment, je donnerai tout ce que j’ai… »
Mais si elle est aussi nerveuse, alors pourquoi est-elle ici ? Pourquoi eux deux sont ici ? Pourquoi ne pas aller servir Gu Cheolun ou Gu Yeonseo ?
Qu’est-ce qu’ils essaient d’accomplir en venant me servir, moi ?
Le silence s’éternisait, et je réalisai que Wi Hyogun et Wi Seol-Ah attendaient une réponse.
Je sortis de mes pensées :
« Euh… Oui. Ce serait… avec plaisir. »
Je n’avais aucune solution, et en prononçant ces mots, je sentis que cette seconde chance était peut-être déjà gâchée dès le début.
Pourquoi… Pourquoi quelque chose d’aussi absurde est en train d’arriver maintenant ?
__________
Pendant la nuit où Gu Yangcheon s'entraînait à maîtriser son Qi de feu…
« Es-tu sûr de toi ? »
Gu Cheolun discutait dans sa résidence, une bougie allumée devant lui.
« Je ne vois pas pourquoi je ne le serais pas. Je ne suis pas en position de faire le difficile. »
« Mais, Grand Ancien, vous savez aussi bien que moi que si vous le souhaitiez, vous seriez facilement accepté dans l’un des quatre grands clans. Et pourtant, vous vous imposez tout ce tracas… »
« Je ne considère pas cela comme un tracas, Seigneur Gu. »
Wi Hyogun prit lentement une gorgée de thé désormais froid.
« De plus, je ne qualifierais pas cela de pénible. Je suis prêt à en faire bien plus si c’est pour ma petite-fille. »
« Monsieur… »
« En vérité, je suis désolé de vous avoir imposé une demande aussi lourde en raison de ma relation avec ce vieil homme inutile que je suis. »
« Ancien, je— »
« J’ai entendu dire que les moines Shaolin et les shamans recherchent Seol-ah. Cela ne fait que m’endetter davantage envers vous. »
Gu Cheolun resta silencieux.
« Pour être honnête, Seigneur Gu, je n’avais pas l’intention de venir vous demander de l’aide, au départ. Peu importe ce que les Shaolin ou les shamans ont tenté, ils n’auraient sans doute pas pu me retrouver si j’avais choisi de vivre caché dans les montagnes. »
« …Alors pourquoi ? »
« Appelez ça la cupidité d’un vieil homme mourant. Vivre avec un vieil homme comme moi n’apporterait probablement pas le bonheur à Seol-ah, alors j’ai voulu qu’elle découvre un peu le monde. »
« Si tel est le cas, c’est d’autant plus une raison pour laquelle vous devriez rester chez moi. Gu Yangcheon est peut-être mon fils, mais il lui manque encore beaucoup. »
Gu Cheolun ne comprenait pas pourquoi Wi Hyogun voulait rester chez son fils.
Contrairement à ses filles, Gu Yangcheon était encore un enfant arrogant et immature. En tant que père, Gu Cheolun souhaitait de tout cœur le changer pour le mieux, mais certaines circonstances l’en empêchaient.
Gu Cheolun avait appris que les deux s’étaient rencontrés dans la rue, et la première chose qu’il avait faite en rencontrant Wi Hyogun avait été de s’excuser à profusion pour les erreurs qu’il croyait que son fils avait commises.
Il ne pouvait imaginer à quel point il avait été choqué en apprenant le comportement réel de Gu Yangcheon ce jour-là.
Pendant ce temps, Wi Hyogun rit doucement aux propos de Gu Cheolun.
« J’étais moi-même inquiet au début à cause des rumeurs, mais je vous ai déjà dit qu’il s’agit d’un enfant mature. C’est plutôt vous, Seigneur Gu, qui semblez vouloir garder tous les enfants pour vous. »
Wi Hyogun avait rapidement, et sans le vouloir, obtenu des informations sur le troisième enfant du clan Gu grâce aux rumeurs dès son arrivée à Shanxi. Il s’était demandé à quel point cet enfant pouvait être terrible pour que les rumeurs soient si répandues que même un nouvel arrivant comme lui puisse en apprendre autant aussi facilement.
Il s’était aussi demandé pourquoi les filles étaient bénies et pas le fils.
Ce fut une pure coïncidence, la rencontre de lui et de sa petite-fille avec Gu Yangcheon dans la rue.
Wi Hyogun secoua la tête alors qu’il se remémorait ce qui s’était passé…
Tout avait commencé parce qu’il n’avait pas réussi à retenir sa petite-fille, si heureuse pour la première fois depuis longtemps. Alors, il l’avait laissée partir en courant.
Puis, il remarqua qu’elle parlait avec un garçon de son âge.
Il était évident que le garçon était du clan Gu. Le Qi qui circulait en lui était semblable à celui de son père. Moins puissant, certes, mais définitivement un Qi des arts de la flamme.
Le visage de Gu Yangcheon, avec ses yeux perçants, trahissait déjà un caractère difficile.
Ma petite-fille lui avait offert une pomme de terre avec un grand sourire.
Et s’il agissait comme les rumeurs le disaient ? Eh bien, je n’avais aucune intention de la sauver, sauf si sa vie était en danger.
Je voulais qu’elle comprenne que tout le monde n’est pas bon dans ce monde.
Mais, contre toute attente, le garçon ne fit rien de mal. Au contraire, il empêcha son garde du corps de la blesser et lui donna même un yakgwa.
Il me traita avec respect quand je m’approchai. Je pensais qu’il ne me verrait que comme un civil misérable, avec mes vêtements sales et en lambeaux.
Le titre d’Empereur de l’Épée m’avait donné l’illusion que j’étais un être accompli. Mais…
« Hyogun, tu manques encore d’entraînement. »
Je me suis reproché mon attitude.
J’ai été stupide de juger un garçon sur son apparence et des rumeurs.
« Cet enfant me convient. J’espère plutôt qu’il sera satisfait de nous. »
Que se serait-il passé si les rumeurs avaient été fondées ?
Si Gu Yangcheon avait maltraité Wi Seol-ah, aurais-je pris une décision différente ?
« …Oui, monsieur. N’hésitez pas à me faire part de tout problème. »
Gu Cheolun ne comprenait pas pourquoi Wi Hyogun considérait Gu Yangcheon comme un bon enfant, mais il choisit de ne plus s’opposer.
Alors que la conversation touchait à sa fin, Gu Cheolun demanda :
« Mais… êtes-vous vraiment d’accord avec tout cela ? »
Cette question n’avait rien à voir avec la précédente.
Wi Hyogun comprit le véritable sens de la question, et ne répondit pas immédiatement.
« Si le Maître l’a dit… »
Sa réponse fut accompagnée d’un sourire amer.
On disait que le Maître Shaolin pouvait lire le flux de l’humanité à travers les Yeux Célestes qu’il possédait.
« Oui, quelque chose est forcément en train d’arriver s’il l’a lui-même prédit. Mais vous pouvez facilement comprendre… »
À cet instant, une légère brise souffla de l’extérieur et éteignit la flamme vacillante de la bougie.
« …Que Seol-ah est au centre du désastre à venir, et qu’elle devra brandir une épée pour y survivre. »
Wi Hyogun ricana amèrement.
Les rides sur son visage s’assombrirent alors qu’il parlait.
« C’est pour ça que je me suis enfui. Je sais que c’est égoïste, mais… pourquoi Seol-ah ? N’est-ce pas cruel ? Il y a moi, qu’on a appelé l’Empereur de l’Épée, et tant d’autres aussi capables. »
« Ancien… »
Wi Hyogun était las de cette réalité.
« Je ne peux pas lui faire brandir une épée à cause d’un désastre, surtout quand je ne suis même pas capable de lui offrir une fleur. »
Wi Hyogun posa ses mains ridées sur son visage.
« Je ne la forcerai jamais à manier une épée, même si je dois mourir et que mon âme soit réduite en cendres. »
Cette phrase, ainsi que l’histoire qu’elle résumait, aurait dévasté Gu Yangcheon s’il l’avait entendue.