Épisode 2 - Leclerc et Promotions

Il était dix heures du matin, un samedi. Les rayons du soleil passaient à travers les rideaux de la maison Nova, éclairant une scène d'apocalypse. La cuisine ressemblait à un champ de bataille post-nucléaire. Des céréales jonchaient le sol, le grille-pain fumait encore et Bob dormait la tête dans le micro-ondes, probablement à cause d'un pari contre lui-même.

Sofia entra, talons claquant sur le carrelage, regard perçant.

- Bob, lève-toi. On va faire les courses.

- Je suis en plein coma. Laisse-moi une heure, ou cinq ans.

- Tu viens, et les enfants aussi. On fait une sortie familiale. Un moment de cohésion. Et s'ils sont sages, ils auront des chips.

Le mot "chips" déclencha une avalanche.

Léo, en pyjama soyeux, surgit du couloir comme un diplomate suisse.

- Si je viens, j'exige de choisir les marques bio et de scanner moi-même les articles. C'est un rituel.

- Je vais voler une banane juste pour voir si l'alarme se déclenche, lança Xavier, torse nu, hurlant "LIBERTÉ !" en sautant sur le canapé.

- J'ai déjà mis deux rouleaux de papier toilette dans mon sac. C'est mon entraînement au vol discret, avoua Timothée, qui portait un trench coat beaucoup trop grand pour lui.

Sofia soupira. C'était foutu. Et ils n'étaient même pas encore sortis.

10h38 - Parking du Leclerc de Chinon

Les portes automatiques s'ouvrirent comme celles d'un vaisseau spatial.

Les Nova pénétrèrent dans l'hypermarché avec la détermination d'un commando militaire... ou d'une bande de touristes armés de mauvaises intentions.

- On fait une liste. On respecte la liste, ordonna Sofia. PAS de sucreries. PAS de trucs inutiles. PAS d'armes improvisées.

Bob leva la main.

- Est-ce qu'un sabre laser en promo compte comme arme ou objet artistique ?

Elle le fusilla du regard.

RAYON FRUITS ET LÉGUMES

Léo examinait des avocats comme s'il évaluait des grenades.

- Regardez ça. Trop mous. Trop verts. Ce rayon est une farce. Je vais faire une pétition.

Xavier attrapa une pastèque.

- Tu crois que si je la jette en l'air et que je la rattrape avec ma tête, je meurs ?

- Probablement, répondit Léo sans lever les yeux.

Timothée fit semblant de caresser une aubergine.

- Elle s'appellera Géraldine. Je vais l'adopter.

Sofia, elle, remplissait son chariot avec une rapidité clinique. Elle avait une mission. Du riz, des œufs, des yaourts nature. Elle était inarrêtable.

RAYON JOUETS

Bob avait disparu. On le retrouva cinq minutes plus tard, dans un couloir, en train de tester un pistolet Nerf sur des peluches.

- Regarde, Sofia ! Headshot sur la licorne !

- Tu es un adulte.

- Un adulte en pleine possession de ses jouets.

Sofia s'éloigna, l'air de regretter chaque décision de sa vie.

Pendant ce temps, Xavier tentait d'enfourcher une trottinette exposée.

- Si je fais le tour du rayon en moins de dix secondes, je gagne quoi ?

- Un traumatisme crânien et une vidéo virale, répondit Léo.

Timothée ouvrit discrètement un œuf Kinder et mangea le chocolat sur place, en glissant la surprise dans la poche de Bob.

- Preuve A. C'est lui. Moi je suis innocent.

RAYON SURGELÉS

L'ambiance était devenue glaciale, littéralement.

Sofia tentait de choisir entre des haricots verts extra-fins et des pois gourmands quand une voix s'éleva :

- ATTENTION, LA TROTTINETTE FONCE VERS LES PIZZAS !

Xavier, à pleine vitesse, traversa l'allée comme un missile, manqua une vieille dame de 3 centimètres, dérapa, et s'écrasa dans les lasagnes.

- Je suis vivant ! Et j'ai trouvé une promo !, cria-t-il depuis le sol, emballé dans du carton.

Bob le filmait avec son téléphone.

- Hashtag cascadeur de l'extrême. Je sens le buzz.

CAISSES

Le chariot débordait. Et pourtant, personne ne savait vraiment ce qu'ils avaient acheté.

Sofia scannait à la vitesse de la lumière, regard noir.

- Léo, range. Timothée, ne touche pas le terminal. Xavier, ne mets pas de chips dans ta bouche maintenant.

- Trop tard, répondit Xavier, la bouche pleine.

Léo s'approcha de la caissière.

- Vous avez pensé à réorganiser le système de codes barres ? Il y a des anomalies statistiques dans votre logique de placement.

La caissière le fixa, bouche bée.

Timothée glissa un sachet de bonbons dans une boîte de mouchoirs. Ni vu ni connu.

Bob tenta de payer avec une carte de fidélité périmée.

- C'est pas celle-là, Bob, dit Sofia.

- Tente toujours, parfois la chance sourit aux fous.

SORTIE - 12h17

Ils étaient de retour sur le parking. Essoufflés. Fatigués. Heureux.

Le soleil tapait fort. Les enfants mangeaient en cachette des chewing-gums volés. Sofia s'éventait avec le ticket de caisse.

- Jamais plus. Plus jamais je fais ça avec vous.

- J'ai survécu aux pizzas et j'ai économisé 30 % sur les sodas, dit fièrement Xavier.

- J'ai saboté le rayon poissonnerie. Un poisson pané a glissé dans un sac de salade. Personne ne s'en rendra compte avant ce soir, déclara Timothée.

Léo, quant à lui, affichait un sourire supérieur.

- J'ai laissé un post-it sur le panneau des promotions. "Réduisez le prix des livres. Les enfants instruits, c'est l'avenir."

Bob ouvrit le coffre.

- Quelqu'un a vu le rôti ?

Silence.

Ils se regardèrent.

- Il est resté sur le tapis de la caisse, souffla Sofia, les yeux vides.

Et ils repartirent... en courant.