Chapitre 1 – La corne du survivant

Le ciel n’a pas eu le temps de s’assombrir. Il a brûlé d’un coup, comme si une allumette géante avait été craquée sur le monde entier. Il n’y a pas eu de compte à rebours. Juste une lumière. Aveuglante. Dévastatrice.

On l’a appelée l’Exposition Zéro.

Les villes se sont effondrées. Les océans ont bouilli. L’air est devenu poison. Et les cris… ils se sont tus presque aussitôt.

Il n’est resté que les cendres.

Et lui.

Un enfant. Nu, recroquevillé au milieu d’un champ de ruines. Sa peau n’était pas brûlée, pas entièrement. Mais ses yeux pleuraient du sang. Une corne osseuse sortait de son crâne, comme si son corps avait décidé de trahir les règles humaines.

Il respirait encore.

On l’a emmené. Pas pour le sauver, non. Pour l’étudier. Pour le comprendre. Ou pour le maîtriser.

Complexe souterrain. Confidentiel. Zone 19.

Les murs étaient blancs, mais tout semblait sale. Des gens en blouse passaient devant lui sans jamais le regarder vraiment. Ils notaient des chiffres. Ils injectaient des choses. Ils regardaient ses cellules se diviser, se reconstruire, résister.

« Sujet N-K1. »« Résiste à la chaleur extrême. Aux toxines. À la radiation. »« Mais son sang... il n’est pas stable. Il mute. Il bout presque. »

Il ne parlait pas. Il ne pleurait plus. Il observait. Et attendait.

« C’est une bombe vivante. Un démon en gestation. »

Il ne comprenait pas tous les mots. Mais il comprenait ce que leurs yeux disaient : tu n’es pas humain.

Alors, un jour, il a frappé. Une vitre. Une gorge. Une alarme.Et il a couru. Il a fui le laboratoire, la lumière froide, les regards de haine.

Des semaines plus tard. Une ferme isolée. Rien que des champs et du silence.

Un vieil homme, aux cheveux blancs comme la neige morte, l’a trouvé. Il ne lui a pas posé de questions. Il l’a laissé entrer, a posé une assiette chaude devant lui, et lui a dit :

« Même les monstres ont besoin d’un toit. Et d’un bon ragoût. »

L’enfant ne parlait toujours pas. Mais il a mangé. Et il est resté.

Les saisons sont passées. Il a grandi. Pas vite. Pas bien. Avec des douleurs constantes dans le crâne, comme si la corne voulait percer encore plus loin. Mais il apprenait à sourire. À labourer la terre. À vivre.

Le vieil homme l’appelait Ashen. Peut-être à cause des cendres. Ou parce que c’était plus simple que “monstre”.

Puis est venue cette nuit.

Le vent avait cessé. Le silence était étrange, presque trop parfait. Et puis, un cri. Un hurlement déformé, pas humain. Quelque chose bougeait dans les champs. Quelque chose qui n’avait rien à faire là.

Ashen a couru vers la grange. Des flammes montaient déjà. Une ombre gigantesque se tenait au milieu des poutres en feu. Elle respirait lourdement. Et elle avançait.

« Ashen ! » cria Papi Gin, de l’autre côté du brasier.« Fuis ! C’est pas ton combat ! »

Ashen voulait obéir. Mais il ne pouvait pas. Pas cette fois.

Il a avancé.

Ses mains tremblaient. Son front brûlait. Et soudain, la douleur dans sa tête s’est changée en chaleur. Pas celle d’un feu normal. Quelque chose d’ancien, de vivant, de sauvage.

« Non… plus jamais… »

Il a levé les yeux vers la créature. La corne s’est illuminée, comme si une flamme dormait en elle depuis le début.

« PLUS JAMAIS !!! »

Alors, le feu est sorti.

Pas un feu qu’on allume avec une allumette. Un feu qui naît de la rage, de la perte, de l’instinct. Il a envahi son corps, sa peau, ses veines. Ses yeux sont devenus rouges. Il a hurlé. Et il a chargé.

Le monstre a essayé de résister. Mais ce feu-là ne laissait rien derrière. Même les cris ont fondu.

Quand tout a été fini, il ne restait que lui.

Ashen. Seul. Debout au milieu des cendres. Encore.

« J’suis pas un monstre… » murmura-t-il, la voix rauque.« J’suis un cimetière ambulant. »