Chapitre 1

La stèle brisée

Julius était debout, légèrement appuyé contre la table de son bureau, feuilletant l’un des dossiers d’admission ayant retenu son attention : celui d’une certaine Amélia Célestar Moon, élève de quatrième grade et fille du prince héritier Zaïr. Il leva les yeux au ciel avant de soupirer et de se forcer à poursuivre sa lecture.

Il n’aimait pas la famille royale. Mais bien que ses origines l’agacent, il n’avait aucune raison valable de remettre en question l’adhésion de la jeune fille. Après tout, elle avait brillamment réussi les tests d’entrée — avec des résultats bien au-dessus de la moyenne de l’académie.

Née d’une des nombreuses maîtresses du prince, Amélia avait longtemps vécu loin de la capitale, pour des raisons évidentes. Mais depuis la mort tragique de sa mère, survenue le tour dernier, son père l’avait récupérée et installée à Thérésa. Une manœuvre qui, selon Julius, visait autant à l’éloigner de son épouse officielle — une femme à la jalousie maladive — qu’à lui offrir une éducation digne de son rang. C’est ainsi qu’elle s'était retrouvée inscrite à Goldstone, l’un des établissements les plus prestigieux du royaume mais surtout doté d’un internat.

Julius reposa le dossier et allait s’asseoir lorsque Mlle Zakia, son assistante, l’interrompit d’un signe discret : des visiteurs venaient d’arriver.

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Je terminais de ranger les dernières fiches qui encombraient mon bureau quand la clochette de l’entrée tinta, me faisant légèrement sursauter. Elle annonçait la venue de visiteurs. Je lançai aussitôt un sort : le sceau de protection posé sur la grande porte d’entrée disparut, leur permettant d’accéder au bâtiment sans danger. Un second sort guida les arrivants jusqu’à moi — les couloirs étant pour le moment complètement déserts, la rentrée n’ayant lieu que dans quelques cimes.

Mais qui pouvait bien venir en cette période ? me demandai-je.

Quelques minutes plus tard, deux silhouettes se dessinèrent sur le seuil. Mon cœur manqua un battement : deux membres du Haut Conseil de la Magie.

Kamina K. Celestar, l’un des princes héritiers, et Vanne Telkior, conseiller du roi. Je les reconnus immédiatement. À force de les voir partout, impossible d’ignorer leurs visages. Le plus jeune, Kamina, s’exprima d’un ton sec, visiblement contrarié :

— Nous devons voir votre patron !

— Monsieur Pines, si vous le permettez, répondis-je aussitôt,tout en soutenant son regard les bras croisés. Il n’était même pas dix heures du matin et voilà que je devais déjà faire face à un aristocrate mal luné.

Je n’avais rien contre les nobles, tant qu’ils se comportaient avec respect. Mais là, son arrogance était à peine dissimulée. Me considérait-il comme une moins que rien parce que je n’étais pas de sang noble ? Ou était-ce ma fonction d’assistante qui l’agaçait ? Qu’importe. Je jetai un œil à la table où trônait mon Charlton du Tour — un dictionnaire aussi massif qu'efficace en cas de coups à donner — avant de respirer un bon coup. L’attitude du vieux Telkior, lui, m’intriguait d'avantage : son regard paraissait lointain, presque hagard.

Je saisis ma baguette et prévins le directeur.

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Mr Pines s’assied puis répondit à Sephora qu’elle pouvait faire rentrer les fameux visiteurs. Il prenait une plume dans ses mains lorsque la porte s’effaça puis réapparu derrière eux. Il ne put réprimer une grimace en les voyant. Il avait devant lui, parmi les pires invités possibles. Que pouvaient-ils bien lui vouloir, se questionnait il ?

Prennez donc place, déclara t’il sans prendre la peine de se lever.

Les deux hommes s’assirent sans mot dire. Julius nota leur surprise : comme beaucoup, ils semblaient déstabilisés par le confort inattendu des chaises en osier. Puis, après un silence bref, Telkior, le conseiller grisonnant, prit la parole.

— Monsieur Montgomery Pines… tout d’abord, merci de nous recevoir. Mais entrons directement dans le vif du sujet. Le Conseil, a besoin de votre aide.

Julius leva les yeux de son encrier, plantant son regard dans celui de Telkior. Son ton se durcit.

— Êtes-vous en train de réclamer mon aide… ou de la demander ? J’aimerais être sûr de comprendre avant de vous répondre.

Une goutte de sueur glissa sur le front du vieil homme. Il se remémora aussitôt l’expression du roi, plus tôt ce matin : sa voix troublée, son regard inquiet, et cette peur étrange qui ne l’avait pas quitté depuis qu’il avait appris la nouvelle.

— Il semblerait… que je me sois mal exprimé, dit-il en s’essuyant le front. Nous avons besoin de vos compétences en matière de scelerie. Et quand je dis « nous », je parle du continent tout entier. Sans votre aide, nous risquons de vivre une tragédie sans précédent.

— Voilà qui est mieux, répondit Julius en se redressant. Vous avez piqué ma curiosité. De quoi s’agit-il ?

— D’un sceau. Un sceau très ancien. Conçu pour contenir… des ennemis d’une puissance hors norme. Il a été commandé il y a bien longtemps. Nous pensions que sa sécurité était absolue. Mais il y a neuf cimes, l’impensable s’est produit : la stèle qui le renfermait a été détruite. Les créatures qu’il maintenait enfermées sont désormais libres. Et elles doivent être… ivres de vengeance.

— Ivres de vengeance, vraiment ? ironisa Julius. Rien d’étonnant vu vos méthodes. Bon, que voulez-vous de moi, concrètement ?

— Vous devez… améliorer le sceau. C’est notre seule chance.

— Pourquoi ne pas simplement éliminer ces créatures ? Ce ne serait pas la première fois, non ?

— Ce n’est pas envisageable, murmura Telkior, les yeux fuyants. Il avait compris les sous-entendus, mais se garda bien d’y répondre.

— Très bien, dit Julius en haussant les épaules. Puis-je voir ce sceau ?

Le conseiller hocha la tête et sortit de sa veste une feuille d’orichalque gravée. Julius l’examina quelques secondes, ses yeux s’écarquillant à mesure qu’il comprenait. Il repoussa le document d’un geste lent.

— Si vous comptez me cacher des informations… et me prendre pour un imbécile au passage, je vous invite à quitter mon bureau sur-le-champ.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? balbutia Telkior, visiblement désarçonné.

— Ce sceau est l’œuvre de Léto Goldflame. Il servait à contenir des créatures dotées — même si ça me dépasse — d’une magie infinie. Infinie ! Vous comprenez ce que cela signifie ? Ce ne sont pas de simples ennemis. Ce sont des cataclysmes ambulants. Et vous m’auriez caché ça ?

Un silence pesant s’installa. Puis Telkior murmura :

— Vous avez raison. Il est inutile de tourner autour du pot. Ces créatures sont… des dragons.

Julius éclata de rire.

— Des quoi ? Des dragons ? Vous vous moquez de moi ? Il est devenu sénile ou quoi ? demanda-t-il en se tournant vers Kamina. Mais ce dernier détourna aussitôt les yeux.

— Je sais que c’est difficile à croire. Mais ce sont bien cinq dragons, liés directement à la Source — la base même de toute magie. Il y a plusieurs tours, ils ont coopéré avec nous. Puis, sans avertissement, ils se sont retournés contre nous. Incapable de les combattre nous avons grâce à l’ingéniosité de Léto, pu les piéger.

— Attend, mais c’est sérieux ? Le Conseil confirme l’existence de créatures folkloriques telles que les dragons ? Redemanda Julius visiblement choqué.

— Vous avez vu ce sceau vous même. Aucunes créatures existantes n’a de telles capacités. Les dragons existent bel et bien.

— C’est extraordinaire. Et dire que le vieux a réussi à concevoir un piège à dragons. Ça pourrait être très stimulant de faire mieux, continua le directeur pour lui même.

— Dois-je conclure que nous avons un accord ?

— N’allons pas trop vite, il reste le plus important à définir. Je gagne quoi exactement a une fois de plus vous sauvez la peau ? Ce n’est pas pour vous enfoncer mais ça commence à arriver beaucoup trop souvent à mon goût, conclut Julius le sourire aux lèvres.

Pour la première fois, le prince Kamina prit la parole. Avec son tact et son calme légendaire, il tapa sur le bureau noirâtre en s’ecriant :

— Pines ! Veuillez ne pas exagérer, vous connaissez très bien la générosité du Conseil. N’êtes vous pas assis à cette place grâce a nous ? Cessez donc de faire l'enfant ! Il s’agit d’une urgence absolue.

— Très cher prince, il me semble que vous faites erreur. Je vais donc de ce fait clarifier la situation : je n’ai absolument aucune peur, ni de vous ni du conseil ni même de votre père. J’ai obtenue ces terres en contrepartie de mes services. Services sans lesquels vous ne seriez héritier de rien du tout à l’heure actuelle. J’ai moi même construit ces mûrs. Cette académie qui vu l’excellence de son instruction s’est rapidement hissé au sommet du classement des institutions d’enseignement magique du pays. Je ne vous dois absolument rien !

La voix du directeur était limpide, dénué de colère mais d’un stoïcisme frappant. Telkior jetta un regard méchant à son jeune accompagnant. Celui-ci baissa la tête se mordant fortement la lèvre. La colère se lisant encore clairement sur son visage. Plus qu' heureux d’avoir créé cette petite tension entre eux, Julius conclut :

— Bref messieurs, vous pouvez aller informer le conseil que j’accepte votre requête. Tenez moi informé de l’avancée de vos recherches, histoire que je sache me situer, j’ai aussi une académie à faire tourner. Et surtout, je vous ferais savoir mon prix une fois votre sceau prêt, monsieur le prince. Ajouta t’il à l’intention de Kamina.

— Marché conclut, s’exclama le sage en se levant. Il lissa sa veste puis avança rapidement vers la sortie.

Juste avant que le vieillard ne passe le seuil de la porte, le directeur rajouta :

— J'ai une dernière question, vous avez vraiment cru que je verrai le travail de mon père sans le reconnaître ? 

Celui-ci haussa les épaules avant de sortir de la pièce sans rien dire.

— Si c'est le cas, alors le conseil est encore plus idiot que je ne l’imaginais, continua t'il bien que désormais seul.