Chapitre 1 : L’Éveil

Il sentit le monde avant de le voir.

Un goût métallique dans la gorge, comme du cuivre. Une pression sourde sur ses tempes. Et, au loin, une respiration profonde, titanesque, qui ne venait ni de lui, ni d’aucun corps qu’il pouvait reconnaître. Elle portait des mots, mais chaque mot battait comme un coup sourd. Chaque battement était une sentence.

Puis, la chaleur. Viscérale. Étouffante. Organique.

Quelque chose se déchira.

La membrane autour de lui frémit, puis éclata dans un plop humide, presque timide. Une main le tira vers l’extérieur, froide, rugueuse, couverte de cicatrices. Il crut tomber, mais ses pieds touchèrent un sol ferme. Humide. Osseux.

Il ouvrit les yeux.

Un cercle de torches tremblait autour de lui, plantées dans un sol strié de gravures anciennes. Leurs flammes brûlaient d’un bleu spectral. Des silhouettes encapuchonnées l’observaient, muettes. L’odeur de cire, de vieux cuir et de sueur s’accrochait à sa peau. Le plafond était si bas qu’on aurait cru qu’ils étaient sous terre, mais une étoile vacillait entre deux poutres. Une seule.

Il essaya de parler, mais sa gorge n’émit qu’un râle rauque. Une douleur brutale traversa sa nuque, lancinante. Puis, il sentit une vibration étrange derrière son oreille. Ce n’était pas un simple contact. Des symboles runiques étaient gravés sur sa peau, s’étendant en motifs mystérieux sur tout son corps.

Il rouvrit les yeux.

Flou. Une lumière bleue vacillait à travers des flammes tremblantes. Une douzaine de torches, plantées dans des os recourbés, dessinaient un cercle irrégulier autour de lui. Des silhouettes immobiles l’observaient, masquées, silencieuses.Le plafond, si proche qu’il semblait vivant, suintait une vapeur froide.

Personne ne parlait. Personne ne s’approchait.

Puis, une démarche lourde fendit le silence.

Un homme sortit de l’ombre. Son manteau de cuir usé, maculé de sang séché, était maintenu par des ficelles noires et des plaques d’armure anciennes, grossièrement rapiécées. Il avançait lentement, les mains croisées dans le dos. Une barbe grisonnante couvrait le bas de son visage, mais ses yeux… tranchants comme des lames, brûlaient d’un rouge éclatant.

Il s’accroupit devant Armand.

Ses mots furent sans chaleur, mais pas sans poids :— Tu as beaucoup de chance d’être encore en vie. Et d’être tombé sur nous.

Il observa Armand comme on jauge un animal trouvé au bord d’un ravin.— D’habitude, ceux qu’on sort des poches… ils crient. Ou ils bavent. Ou ils oublient leur nom en moins d’une heure. Toi, tu fais pas ça. Tu respires. Tu nous regardes. C’est rare.

Armand ne répondit pas. Il força sa respiration à rester lente. Ne pas trahir ce qu’il savait. Ne pas éveiller de soupçon.

L’homme reprit, avec un rictus en coin :— Tu peux parler ?

Armand hocha lentement la tête.

— Bon. Ça veut dire que t’es fonctionnel. Va falloir voir si t’es utile. Parce qu’ici, gamin, on a pas les moyens de nourrir les morts-vivants.

Il fit un signe à l’un de ses hommes.— Apportez-lui de quoi se couvrir. Et une gorgée. Pas la pleine dose.

On lui tendit une gourde. Il la prit. Hésita.

— Bois, gronda l’homme. C’est pas du poison. C’est de l'essence d’obsidienne purifié. Pour pas que la Cathédrale te vide trop vite.

Armand but. Le liquide était tiède, amer, comme de la suie mêlée à de l’huile.Aucun choc. Pas de vertige.Il fit mine de tousser.

L’homme le regardait toujours.

— Tu t’appelles ?

Armand leva les yeux.

— Armand.(Il attendit une réaction. Il n’y en eut aucune.)

— Bien. Moi c’est Ludwig. Commandant de la Fraternité Écarlate. Ici, c’est notre Bastion.Et ici, tu ne poses pas de questions. Tu ne pleures pas. Tu ne rêves pas. Tu survis. Compris ?

Armand hocha la tête.

— On part dans une heure. Tu viens avec nous pour l’expédition.Bonne manière de tester si t’es un poids mort… ou un sacré chanceux.

L’homme se leva, et disparut dans l’ombre sans attendre de réponse.

Armand, seul désormais, serra la gourde entre ses doigts.Et pour la première fois depuis son réveil, il laissa ses pensées émerger, sans trembler.

Je suis venu ici de mon plein gré. Je sais ce que je suis. Et je n’oublierai rien.

Sombrelys… me voilà. Le sang n’oublie jamais.