Chapitre 2 : Préparation

Une pluie chaude et cendrée tombait doucement sur les feuillages gorgés de sève noire.

Le sol était spongieux. Fait de racines entrelacées, de chairs fossilisées, de résidus d’os blanchis par le temps. Des champignons phosphorescents, d’où émanait une lueur azur-violette presque surnaturelle — comme si elle allait plus loin que le spectre habituel — poussaient sur des troncs inversés tels des veines, battant lentement au rythme de la Cathédrale, comme si la forêt respirait.

Douze âmes. Une poignée de torches. Un feu vert qui crépitait, planté au centre d’un cercle de lames empalées dans la boue.

Un campement de fortune, monté à la va-vite entre deux expéditions. Bivouac précaire, mais nécessaire. Autour du feu, des hommes et des femmes armés, nerveux. Tous fixaient Armand. Tous silencieux.

Il avait été extirpé de la poche une heure plus tôt. Encore couvert de fluide placentaire. Mais déjà debout. Déjà… éveillé.

— Assieds-toi.

La voix venait de droite, sifflante et calme.

Un homme voûté s’approchait, vêtu d’un manteau de loques maintenu par des sangles de cuir. Une lanterne battait à sa hanche, remplie d’un liquide rouge qui semblait hurler en silence.

— J’suis Meldric, médecin d’cette bande de survivants dépressifs, grogna-t-il avec un demi-sourire. T’as pas l’air trop abîmé, dis donc… Allez, laisse-moi zieuter ça, mon p’tit.

Il posa un genou au sol, dégageant la boue autour d’Armand. Il sortit un petit miroir noir d’obsidienne et le passa lentement devant le torse nu du jeune homme.

Une onde. Une vibration. Et soudain, les runes affleurèrent.

Fines. Vivantes. Glissantes comme des vers d’encre. Elles pulsaient sous la peau d’Armand, en spirales et lignes d’ancrage.

Meldric souffla, impressionné.

— Ben ça alors… T’as pas l’profil d’un simple sacrifié, j’te l’dis moi. Ces marques… C’est d’la bonne vieille magie, ça. Du vrai vieux fond, qu’on voyait qu'dans les contes ou les vieux rituels. J’croyais pas qu’y existait encore des trucs pareils, ma foi…

Il hocha la tête.

— Ça viendrait bien d’une lignée ancienne, ou d’un culte oublié. Rare. Très rare. Et encore, j’suis p’têt gentil.

Il haussa les épaules.

— Mais bon. Ce qui compte, c’est qu’ça ait marché. Même si, pour les lire correctement, faudra trouver mieux qu’un pauvre bouseux comme moi.

Il toucha l’une des runes. Armand tressaillit.

— J’me demande bien comment t’as pu arriver jusqu’ici…

Armand leva les yeux.

— Je vais tout retrouver ?

Meldric haussa les épaules, désinvolte :

— Ça r’vient par couches. Comme des peaux mortes. Parfois ça gratte. Parfois ça hurle. Faudra tenir.

Un craquement dans les feuillages.

Meredith approchait.

Son armure légère cliquetait à chaque pas. Faite de cuir sombre et d’os noueux, elle avait été rapiécée avec du fil d’argent et des ligaments tressés. À son dos : une arbalète, sculptée dans une mâchoire de prédateur inconnu.

Elle déposa un paquet devant Armand. Dedans : une armure rudimentaire, une épée façonnée dans un os tordu d’une bête inconnue.

— On n’a pas grand-chose, grogna-t-elle. Mais ça, c’était sur un cadavre retrouvé pas loin d’ici. Il a pas tenu longtemps. À toi de faire mieux.

Elle se redressa. Son regard était tranchant. Méfiant, mais pas hostile.

— Tu sais t’en servir ?

Armand saisit l’arme. Elle vibra dans sa main. Vivante.

Il la fit tourner. Elle n’était pas équilibrée… mais son bras la reconnaissait. Sa mémoire musculaire se souvenait.

— Oui.

Meredith hocha la tête, satisfaite. Puis, elle ajouta :

— Départ dans une heure. Objectif : cartographier une nouvelle zone organique à l’est. Danger élevé. Peut-être un Passage. Peut-être pire.

Meldric ramassa ses instruments.

— Et si tu vois une lumière dans la brume… la suis pas.

Il grimaça.

— C’est pas des étoiles, ici. C’est des gueules.

La pluie s’intensifia légèrement. Une liane se tortilla près du feu. Un des soldats la trancha net.

Armand passa l’armure. Elle lui allait. Étrangement bien.

Les autres membres de la troupe l’observaient toujours. Certains chuchotaient.

Ludwig, adossé à un tronc épais couvert d’yeux mi-clos, leva la tête et déclara :

— On se met en marche bientôt. Les vivants devant. Les morts derrière. Et toi, Armand… on verra.

Armand ne répondit pas.

Il serra la garde de son épée, et laissa ses souvenirs remonter peu à peu.