Chapitre 1 : Un soir comme les autres

"Quand tout s'effondre, il ne reste qu'une chose : la famille.

Et le feu qui brûle en nous ne s'éteindra jamais."

Marseille, 2025.

Le soleil couchant embrasait le ciel d'une teinte sanglante, projetant ses derniers rayons sur les immeubles écaillés du 14ᵉ arrondissement. L'air vibrait d'odeurs de cumin, de poisson grillé et de plats mijotés, alors que les rires des enfants résonnaient encore dans les ruelles étroites. Mais derrière ce quotidien, une tension sourde flottait, presque imperceptible.

Dans l'appartement de la famille Nasri , l'agitation régnait comme chaque soir.

Halima , le tablier noué à la taille, surveillait une grande marmite de sauce tomate épicée. La télévision, allumée en bruit de fond, crachait des nouvelles inquiétantes : disparitions inexpliquées, comportements anormaux en pleine rue. Mais personne n'y prêtait vraiment attention.

— Yasser , viens mettre la table ! lança Halima  d'une voix ferme sans quitter sa marmite des yeux.

Installé sur le canapé, absorbé par son téléphone, Yasser sursauta légèrement.

— Attends, maman... J'étais en train de lire un truc important, protesta-t-il.

— Tu liras après ! rétorqua-t-elle d'un regard autoritaire.

Sur le canapé, Océane esquissa un sourire moqueur tout en surveillant Maryam , la petite dernière qui babillait joyeusement sur ses genoux.

— C'est encore ton délire de survie, Yass  ? taquina-t-elle.

— Ce n'est pas un délire, répondit Yasser  sérieusement. Si demain y'a plus d'électricité, vous serez content que je sache comment fabriquer un générateur.

À quelques mètres, Haïtoutou , son frère, pouffa de rire.

— T'inquiète pas. Si y'a plus d'électricité, c'est toi qu'on branchera sur un vélo.

Le rire de Younous , meilleur ami de Yasser , éclata dans le salon.

— J'imagine déjà Yasser  en train de pédaler pour recharger nos téléphones !

Yasser leva les yeux au ciel, puis se leva pour obéir, non sans grogner.

Dans la chambre attenante, Tarki était assis, l'air grave, un téléphone en main. Faiza , sa femme, lui effleura l'épaule.

— Tu as entendu les infos ? murmura-t-elle.

— Ouais… C'est flippant. Mais sûrement des conneries pour faire peur.

Faiza  hésita, cherchant ses mots.

— Pourtant... même les voisins commencent à en parler.

Tarki  lui lance un clin d'œil rassurant.

— Tant que je suis là, tu ne risques rien. Je protège ma reine et ma princesse.

Elle sourit doucement, sans parvenir à cacher l'inquiétude dans son regard.

Dans le salon, la table fut enfin dressée. Mohamed , le patriarche, enfoncé dans son fauteuil, faisait glisser un chapelet entre ses doigts, ses yeux sombres observant la scène, silencieux.

— Mohamed , viens manger, dit Halima  avec tendresse.

Il se leva lentement, comme alourdi par l'âge et les soucis invisibles.

Le repas débuta dans une chaleur familiale. Les discussions fusaient, les blagues aussi, comme pour repousser l'ombre grandissante dehors.

Mais la tension s'infiltrait dans les interstices.

— Et toi, Echati , ton foyer ? exigea Haïtoutou  en découpant un morceau de pain.

Echati haussa les épaules, visiblement épuisée.

— Un gamin à fugué. Deux jours sans nouvelles...

— Il a rejoint un gang, supposa Tarki .

— Peut-être... Mais la police commence à paniquer. Y'a beaucoup trop de disparitions étranges.

Un silence pesant tomba sur la tablée.

Puis, pour alléger l'atmosphère, Océane  lança avec entrain :

— Bon, qui est chaud pour un Uno après manger ?

— Moooi ! s'écria Maryam  en riant.

Les rires éclatèrent à nouveau, sincères, mais un frisson traversa la pièce, invisible.

Dehors, les sirènes hurlaient au loin, déchirant le crépuscule.

Personne ne le savait encore, mais cette soirée ordinaire serait la dernière.

La dernière avant l'effondrement.