Quelque part, au milieu d'une obscurité omniprésente.
Un point rouge, lumineux, se met à clignoter jusqu'à ne plus disparaître. Un bruit de connexion vient briser le silence. Puis, soudain, une voix sans âme, robotique, vient le compléter.
« Humidité en forte baisse. Mise en route de l'éolienne. »
Rien.
« Absence de réponse. Mission à conférer à l'opérateur. Plan B. Mise en route du générateur de secours. Humidité revenue à un seuil tolérable. Coupure de la ventilation. »
Tout redevient presque calme. Seul un son grave mais discret résonne.
« Activation de l'éclairage principal. »
D'un seul coup, de nombreuses LEDs sont allumées. Ce qui baignait dans de si profondes ténèbres ressemble à l'intérieur d'un bunker, ou encore à l'intérieur d'un tunnel désaffecté. De nombreux caissons, eux-mêmes munis de multiples boutons et autres clignotants, longent les murs. Quelques câbles traînent au sol pour se rejoindre vers une sorte de sarcophage métallique, trônant au beau milieu de cet environnement.
« Conditions minimales requises atteintes. Lancement du programme REBIRTH. »
Après quelques bruits divers d'activation, un gaz blanc, probablement de l'azote, s'échappe de ce cercueil de métal, permettant ainsi au couvercle d'être un peu soulevé, avant qu'un bras articulé, provenant du plafond, le retire. A l'intérieur, reposait un androïde anthropomorphique. Pas de bouche apparente mais une sorte de délimitation intégralement noir. Pas d'yeux avec paupières. Tout simplement des caméras quasiment semblables à des webcams. Pas d'oreilles. Deux petits entonnoirs les remplacent. Rien pour faire office de nez.
« Température de l'opérateur revenue à la normale. En attente de réponse. »
Soudain, ce qui sert de capteurs optiques se met à bouger. Deux petites LEDs vertes situées sur les côtés s'allument.
« Où... Où suis-je ? » demande-t-il, la voix encore non calibrée sur un sexe.
Ignorant tout de la raison de sa mise en marche, ne comprenant rien de la situation, désorienté, l’androïde bouge légèrement la tête.
« Réponse positive. Opérateur fonctionnel.
- Opérateur ? »
Une fois son focus oculaire stabilisé, l'être de métal prend conscience de son environnement.
« Quel... Quel est cet endroit ?... Pourquoi ne suis-je plus à l'hôpital ? »
Soudain, ne ressentant plus aucune pulsation, aucun air rentrer dans ses poumons, aucune sensation de chaleur ou de toucher, il commence à paniquer, se cognant de partout sans recevoir quelconque douleur.
« Réaction correspondant aux prévisions. Protocole A enclenché. »
Après quelques secondes de vacarme provoqué par l’androïde, la voix qui orchestrait tout jusqu'à son réveil change pour adopter un timbre masculin, plus chaleureux, parfois peut-être un peu trop virevoltant.
« Oh ! Calmez-vous ! Laissez-moi tout vous expliquer.
- Qui êtes-vous ? C'est à cause de vous que je suis là et que je ne ressens plus rien ?... Et... Ma voix ! Qu'avez-vous fait à ma voix ?!
- Ah ça... Malheureusement, lors de votre intégration, il fut apparemment impossible d'importer vos cordes vocales, vu l'urgence de la situation. Cependant, rien n'est perdu. Il suffira juste d'une mise à jour et vous les récupérerez. »
Le vocabulaire employé par son interlocuteur invisible l'interpelle.
Une... Mise à jour ?
C'est alors que l'être de métal regarde ses mains. Trop accaparé par cette trop grande absence de sensations, c'est avec consternation, peur et stupeur, qu'il découvre son corps.
« Je... Je suis...
- Revenu à la vie ? Affirmatif.
- Dans un robot ?! »
Ne possédant plus aucune fonction biologique, il lui est impossible de tomber dans les pommes, obligé de faire face à ce constat, sans pouvoir y échapper.
« Comment... Comment est-ce possible ? Je me suis sentie mourir... La science a tant progressé ? Je n'ai pourtant pas demandé à ce qu'on cryogénise mon corps ! Je n'avais aucune pathologie grave pour le justifier ! C'est quoi ce bordel ?!
- Comme stipulé dans les indications que l'on m'a fourni, il est normal que de telles questions vous viennent. Malheureusement, rien dans mes données ne permettra de vous dire pourquoi vous avez été choisi pour le projet REBIRTH.
- Un projet ?
- C'est exact.
- Et puis d'abord, que je devine bien, tu es une intelligence artificielle ?
- Affirmatif. Est-ce choquant ?
- Pas vraiment. A mon époque, ça explosait. D'après ce que je peux déjà constater, c'est allé beaucoup plus loin. Tu as un ton presque humain.
- Je suppose que vous venez de m'adresser un compliment. Bon. Assez parlé. Opérateur, toi et moi avons une mission à accomplir.
- Arrête de m'appeler comme ça si tu es si évoluée. Tu dois bien avoir mon identité dans tes données. Je me trompe ?
- Négatif. Uniquement le matricule : F-09-93
- Pourquoi je pose la question ? De mon vivant, ça fait bizarre de dire ça, on attribuait ce genre d'identification, que ce soit pour le boulot ou des dossiers administratifs. Et bien je m'appelle... Je m'appelle... Pourquoi ça ne me revient pas ?!
- Autre anomalie détectée chez l'opérateur. Mémoire incomplète. Cause à déterminer.
- On ne m'a rien diagnostiqué pourtant... Donc... Que je résume bien... On m'a ressuscité avec un nouveau corps entièrement robotique. On ignore pourquoi on m'a choisi. Je ne me souviens plus de mon nom. Et j'ai une intelligence artificielle pour compagnie. Je n'appelle pas ça un bilan vraiment optimiste. »
La personne rappelée de force à la vie marque un temps de pause, histoire de mieux digérer la situation. Puis, elle observe son habitat. Les murs semblent un peu avoir encaissé les effets du temps.
« Nous sommes en quelle année ?
- En 2102,
- Seulement ? Je pensais plus. Quoique, vu comment le monde tournait vers la fin de ma vie, ça ne m'étonne guère. »
Quelques souvenirs, un peu parasités à cause de son amnésie, lui reviennent. Des images de guerre, de catastrophes naturelles, de bulletins météo toujours de plus en plus alarmants, entremêlés tout de même par des nouvelles plus joyeuses comme les avancées technologiques ou les initiatives locales pour lutter contre le dérèglement climatique. Cependant, avec le peu d'informations à sa portée, l'individu revenu d'entre les morts peut aisément en conclure que tout a mal tourné. Reste à savoir à quel point.
« Tu parlais d'une mission tout à l'heure. Elle consiste en quoi ?
- Sauver l'humanité. »
Sonné par la simplicité de la phrase, et la lourdeur qu'elle implique, l’androïde cherche une porte de sortie. Lorsqu'il l'aperçoit, tout en évitant de trébucher, que ce soit à cause des câbles traînant au sol, ou juste par le fait de courir à nouveau, sans fatigue, sans essoufflement, il se rue à vive allure vers elle. Bien que dépourvu de toute connexion nerveuse biologique, comme un écho de vie, sa main gauche tremble tout en tournant la poignée. A peine la porte ouverte, une lumière vive vient l'aveugler. Temporairement. Grâce à ce qui lui sert de nouveaux yeux, ce désagrément est vite estompé. Ses lentilles, combinées à un paramétrage précis, s'adapte facilement aux variations lumineuses. C'est alors qu'il découvre, avec stupéfaction, une nature d'apparence vierge de toute activité humaine. La flore est généreuse en espèces. Les oiseaux s'en donnent à cœur joie. Le temps est resplendissant.
« Je... Je ne comprends pas. Sauver l'humanité ? Tu es sur qu'il n'y a pas une erreur dans ton script ?
- Négatif. Ce qui vous servira de quartier général a été soigneusement isolé par ses concepteurs, d'après ce que vous pouvez observer.
- Si je pouvais pleurer... C'est beau... C'est merveilleux. Nous avons réussi ! La nature a été préservée ! C'était notre urgence absolue ! On nous rabâchait sans cesse de faire attention à notre consommation, de trier, d'emprunter les transports en commun... Et voici le résultat ! Franchement, je ne vois pas où est le problème ! Je peux mourir une nouvelle fois. Il est inutile de [...] »
D'un seul coup, un drone apparaît à travers la cime des arbres. De peur d'être vu, et nourri par le souvenir de ce que ce genre d'appareils peut accomplir, sans doute aussi poussé par un instinct de survie conservé malgré le changement de corps, l’androïde referme aussitôt la porte.
« Ça existe encore ça ?
- Voici l'une des pires menaces possibles : un éclaireur. D'après ce qui est consigné dans les archives à disposition, juste avant la chute de la civilisation humaine, les intelligences artificielles, devenues néfastes envers elle, développèrent de manière exponentielle des appareils militaires. L'éclaireur en fait partie. Il est probable qu'il ait capté le signal de votre réveil mais qu'il n'a pas pu en déterminer la position exacte. »
Avec les explications fournies par son compagnon invisible et la découverte de l'extérieur, l'être ressuscité cherche la raison derrière cette décision soudaine d'exterminer l'espèce humaine. Déjà convaincu lors de sa vie précédente que les siens finiraient tôt ou tard par payer les pots cassés, la réponse ne se laisse pas désirer. Pour guérir intégralement un organisme, il faut brûler la racine du mal.
« Pour accomplir votre mission, il faudra prendre en compte l'éventualité d'en croiser et de trouver un moyen de […]
- Laisse tomber.
- Vous voulez déjà y mettre un terme ? Ceci ne rentre pas dans […]
- Laisse-moi ! Déjà, je n'ai rien demandé ! Vous auriez pu prendre n'importe quel abruti de première mais fallait que ça tombe sur moi ! Je n'ai aucune obligation à recevoir de ta part ! Je suis loin d'avoir eu une vie heureuse et une mort disons convenable. Ce n'est pas pour être transformée en chair à canon ! Vous auriez pu prendre l'élite de l'élite, chers concepteurs de cette abomination dans laquelle je suis désormais coincée, mais non ! Alors, chère petite intelligence artificielle, laisse-moi ! »
Ignorant comment réagir face à cette situation, le compagnon encore non nommé se tait, cherchant plutôt à comprendre les causes des quelques désagréments que rencontre son abri à androïde. D'ailleurs, du côté de ce dernier, celui-ci a décidé de s'isoler dans un coin et de s'asseoir, plongé dans de nombreuses pensées, noires pour certaines, nostalgiques pour d'autres.