Syntiche resta un long moment figée, les yeux rivés sur le carnet noir que l’homme avait laissé sur la table. Elle le regardait comme s’il allait s’ouvrir de lui-même et lui parler. Ce simple objet semblait contenir un mystère plus grand qu’il n’y paraissait.
Elle tendit la main avec hésitation, effleurant le cuir usé de la couverture. L’envie d’en découvrir le contenu la traversa brièvement, mais elle la repoussa. Elle ne pouvait pas. Pas encore. Ce carnet ne lui appartenait pas.
Le serveur s’approcha.
— Tout va bien, mademoiselle ?
Syntiche sursauta légèrement.
— Oui, merci… L’homme qui était là a oublié ça, dit-elle en montrant le carnet.
— Je ne l’ai jamais vu ici avant. Peut-être qu’il reviendra demain, proposa le serveur.
Elle acquiesça en silence, mais quelque chose lui disait que ce n’était pas si simple. L’homme avait fui. Il n’était pas parti comme quelqu’un qui revient. Il était parti comme quelqu’un qui s’échappe.
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De retour chez elle, elle posa le carnet sur sa table de chevet. Elle le regardait du coin de l’œil pendant qu’elle rangeait ses affaires, prenait sa douche, puis préparait un repas qu’elle grignota à peine. L’objet semblait peser plus lourd que son apparence ne le laissait croire.
Plus la soirée avançait, plus la présence de ce carnet envahissait ses pensées. C’était comme une pulsation sourde dans sa chambre. Une vibration silencieuse.
Syntiche alluma une bougie, éteignit la lumière principale, et s’installa dans son fauteuil préféré. Le carnet était là, à portée de sa main. Elle le fixait.
Et si ce carnet n’était pas un simple oubli ?
Et si c’était volontaire ?
Elle se leva brusquement, tourna en rond dans le salon. L’angoisse montait. La curiosité aussi. Finalement, elle se laissa tomber sur son lit, attrapa le carnet, et le posa sur ses genoux.
Elle tira doucement sur l’élastique. La texture du cuir sous ses doigts la fit frissonner. Une page blanche. Puis une autre. Puis soudain, elle tomba sur une ligne tracée à la main :
“À celle que je n’ai jamais oubliée. Peut-être que le destin nous a réunis pour une raison.”
Son cœur manqua un battement.
Syntiche sentit son souffle ralentir. Ce message semblait… la viser. Mais ce n’était pas possible. Elle ne connaissait pas cet homme.
Elle tourna la page. Une date. 3 février. Aucun nom. Juste un texte, comme une lettre :
“Aujourd’hui encore, ton rire m’est revenu. Tu ne me reconnaîtras sans doute jamais. Mais je me souviens de tout. Du goût de tes silences. De ton regard qui fuyait le mien.”
Elle referma brusquement le carnet.
Son regard se perdit dans le vide.
Pourquoi ces phrases lui donnaient-elles l’impression d’un déjà-vu ? Pourquoi son estomac se nouait-il à la lecture de ces lignes ?
Elle ferma les yeux. Une image floue lui traversa l’esprit : un garçon qui lui tendait la main dans une cour ensoleillée. Un sourire timide. Et puis… le vide.
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La nuit venue, allongée dans son lit, elle ne parvenait pas à dormir. Ses pensées tournaient autour de cet inconnu. Narek !!!
Pourquoi ce prénom la troublait-il autant ? Pourquoi ce regard, ce ton de voix, cette façon de s’asseoir en face d’elle l’avaient-ils autant marquée ?
Et pourquoi ce carnet semblait-il l’appeler ?
Elle se redressa. Elle attrapa son téléphone et fit quelques recherches : “Narek – carnet noir – Bordeaux – café”. Rien de concluant. Elle essaya avec “homme carnet lettres perdues”, mais tous les résultats parlaient d’objets trouvés. Aucun Marc. Aucun signe.
Elle ferma les yeux. Ce n’était peut-être pas une simple coïncidence. Il y avait quelque chose… de familier dans tout cela.
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Elle se leva, alluma la lampe de chevet et reprit le carnet.
Cette fois, elle lut sans s’arrêter. Chaque page contenait une lettre. Des mots tendres, intimes, parfois douloureux. Une adresse manquait. Un nom manquait. Mais chaque phrase résonnait en elle comme un appel lointain.
“Il y a des choses qu’on ne dit pas, par peur de les briser. Et d’autres qu’on garde au fond, parce qu’elles nous tiennent debout.”
“Si tu lis ces mots un jour, j’espère que tu comprendras que je n’ai jamais cessé de chercher ton regard.”
“Tu m’as échappé. Ou c’est moi qui me suis perdu. Peut-être qu’on s’est oubliés sans le vouloir.”
Syntiche sentit ses yeux s’embuer. Ces mots… elle aurait voulu qu’on les lui adresse. Elle aurait voulu qu’ils viennent d’un passé qu’elle reconnaît. Mais c’était comme une mélodie familière sans paroles.
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Elle ferma doucement le carnet et le serra contre elle.
Une pensée naquit.
Et si ce car
net n’était pas seulement une erreur de passage ?
Et si ce que Narek fuyait… c’était elle ?