Chapitre 5 – Retour au café

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Deux jours s’étaien déjà écoulés. Deux jours, qui étaient comme deux bonnes siècle aux yeux de Syntiche.

Deux jours où elle n’avait plus de nouvelles.

Deux jours où le carnet noir n’avait pas quitté sa table de chevet.

Deux jours où elle s’était réveillée chaque matin avec cette sensation étrange d’être observée, suivie par un souvenir dont elle n’arrivait pas à se saisir.

Depuis cette rencontre imprévisible au café, l’image de cet homme — Narek — occupait toutes ses pensées. Ce n’était pas simplement son regard, ni même sa voix calme ou ce sourire fatigué. C’était… plus profond. Comme un écho d’autrefois qu’elle ne parvenait pas à identifier.

Et ce carnet......

Ce carnet qui parlait d’elle.

Comme si quelqu’un avait écrit son passé à son insu.

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Ce matin-là, elle n’essaya même pas de lutter.

Elle enfila une chemise ample, une veste beige, prit le carnet, et sortit.

Le café. C’était comme un point de départ.

Un lieu de bascule.

Elle devait y retourner.

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Les rues étaient calmes. Le vent tiède agitait doucement les feuilles des acacias. Les klaxons semblaient loin. Comme si le monde entier ralentissait pour lui donner un peu de répit.

Quand elle poussa la porte du café, une clochette tinta, et le parfum du café fraîchement moulu la frappa aussitôt.

Elle hésita un instant à entrer. Comme si franchir le seuil, c’était raviver quelque chose de plus grand qu’elle.

Mais elle avança. Pas après pas.

Il n’était pas là.

La salle était presque vide. Deux étudiants au fond, une vieille dame près du comptoir.

Et une serveuse au sourire doux, qui la reconnut immédiatement.

— Bonjour, dit-elle avec un clin d’œil discret. Vous reprenez la même place ?

Syntiche acquiesça, un peu gênée.

Elle s’assit à la même table. Celle près de la vitre.

La même qu’au premier jour.

Un thé cette fois. Elle n’était pas sûre de pouvoir avaler plus. L’estomac noué.

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Quand la serveuse revint avec la boisson fumante, elle hésita quelques secondes. Puis sortit un petit papier plié de sa poche.

— Un homme m’a demandé de vous remettre ça. Il est passé hier en fin d’après-midi… Il a insisté.

Syntiche la fixa, surprise.

— Il a dit son nom ? demanda-t-elle, le cœur battant.

— Non. Mais il m’a décrit votre tenue d’avant-hier. Il savait que vous reviendriez.

Ses doigts tremblaient à peine lorsqu’elle saisit le papier. Elle le déplia lentement. C’était une feuille de carnet, déchirée, griffonnée à l’encre noire :

 "Tu ne te souviens pas encore, mais moi, je n’ai jamais cessé de penser à toi. Tourne la page 27. — N."

Son cœur rata un battement.....

Le carnet noir était toujours dans son sac.

Elle le sortit doucement, les gestes précautionneux, presque cérémoniaux. Comme si ce geste allait ouvrir une porte invisible entre deux mondes.

Elle avait déjà lu une dizaine de pages, relu certaines phrases plusieurs fois.

Mais pas la 27.

Elle feuilleta. Page 24… 25… 26.

À la 26e, une phrase la stoppa :

 “… et si tu lis cela, alors tu es prête.”

Elle prit une inspiration lente, et tourna la page.

La 27 ne contenait qu’un mot, écrit au crayon cette fois. Une écriture légèrement tremblante.

 “Souviens-toi.”

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Elle resta figée.

Les yeux rivés sur ce mot.

Un seul mot qui semblait lui murmurer mille choses à la fois.

Tout son corps réagit. Un frisson lui remonta la colonne, et ses mains se mirent à trembler. Elle referma le carnet précipitamment.

Elle leva les yeux, et à travers la vitre du café, elle crut apercevoir une silhouette.

Un homme, de dos, marchant lentement.

Un long manteau sombre. Une démarche qu’elle aurait pu reconnaître dans un rêve.

— C’est lui ? pensait-elle.

Elle se leva d’un bond, sortit précipitamment.

Mais à l’extérieur… la rue était vide.

Aucune trace.

Juste le vent, et les passants anonymes.

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Elle rentra chez elle, l’esprit embrouillé.

Le carnet sur ses genoux, elle le caressa du bout des doigts.

Un lien invisible la rattachait à ce Narek, c’était une évidence maintenant. Elle ne pouvait pas l’expliquer, ni le prouver, mais elle le sentait : il y avait un avant qu’on lui avait volé.

Et cette page 27… ce simple mot…

Souviens-toi.

Cela ne sonnait pas comme une invitation.

C’était une injonction.

Un appel.

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Syntiche alluma une bougie. La pièce se teinta d’une lumière chaude. Elle relut encore une fois la page. Puis elle prit une feuille blanche.

Et écrivit :

 "Si tu existes vraiment, si ce carnet est la preuve de quelque chose que j’ai oublié, alors reviens. Mais cette fois, parle-moi."

Elle plia la

feuille.

La glissa dans le carnet.

Et ferma les yeux.

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La nuit était tombée.

Mais en elle, l’histoire ne faisait que commencer.........