Chapitre 1 : Réveil

Une ruelle, du genre de celle où on ne s’aventure pas, celles qui puent la pisse et l’alcool. Sur le sol, des morceaux de verres brisés, des lambeaux d’habits, des lames, et au milieu, roulée en boule comme un chaton, une jeune fille. Elle contrastait en tout avec l’atmosphère de la ruelle : sa peau d’un gris pale était aussi lisse et propre que celle d’un nouveau-né et ses longs cheveux noirs tressés brillaient presque dans l’obscurité.

Lentement, la jeune fille se redressa. Elle regarda autour d’elle, écouta les bruits de la ville. Qui était-elle ? Que faisait-elle ici, seule dans cette ruelle ? Comment était-elle arrivée là ? Pourquoi était-elle nue ? Les question étaient nombreuses et les réponses bien maigres. Seul un nom résonnait dans son esprit, le sien : Emna. C’était tout ce qu’elle savait d’elle-même.

Elle se leva et fouilla l’amoncèlement qui lui servait jusque-là de matelas. Entre les tessons de bouteille et les haillons, elle trouva une longue cape noire, des bas et un plastron de cuirs, des bottes et une ceinture dans laquelle étaient rangées une dizaine de lames et attachée une petite bourse. Le tout parfaitement à sa taille. Etonnée que tout cela n’est pas été volé pendant son sommeil, Emna enfila le tout et sorti de la ruelle, qui menait directement à une rue passante.

Devant elle, des rangées d’étals, les bruits des commerçants marchandant et des passants discutant. Tout autour d’elle, les gens se pressaient. Presque instinctivement, elle couvrit sa tête de la capuche de sa cape et traversa au pas de course l’avenue, se précipitant vers des allées plus calmes, ne s’arrêtant que pour acheter quelques pommes.

Sans vraiment comprendre comment, elle se retrouva devant une auberge délabrée, manquant visiblement de clientèle. Elle entra.

L’aubergiste, avachi derrière son comptoir sembla la reconnaitre et s’inclina profondément. Pour la première fois depuis son réveil, Emna parla :

– une chambre pour la nuit, s’il vous plait.

Sa voix était douce et profonde, presque inhumaine tant elle était lisse et plaisante.

L’aubergiste lui tendit une clé portant le numéro 4 et lui indiqua l’escalier derrière lui. Emna le remercia et monta, trouvant rapidement sa chambre. Elle était très simple, ne comportant qu’un lit et un bureau, mais le tout était propre et en bon état.

Emna retira sa cape et s’assit sur le lit. Elle ferma les yeux et se concentra, cherchant à comprendre qui elle était et pourquoi elle était ici. Alors qu’une migraine commençait à apparaître, comme un message apparu dans son esprit : « Pour retrouver la liberté, le corps doit retourner au néant. Il est temps d’en finir. ». Lentement, Emna ouvrit les yeux. Elle savait ce qu’elle devait faire. Elle devait mourir pour vivre : jeter son corps dans le puit de Néant, telle était sa mission. Seulement ainsi serait-elle libre à nouveau. Ce que ça voulait dire? Elle n'en était pas certaine, mais elle était convaincue que c'était la seule issue.

Des affaires qu’elle avait trouvé, elle sorti une carte et, tout en mangeant une pomme, commença à planifier son trajet. Elle était actuellement à Vaehyrlahan, la capitale du culte de Vaehyr, dieu de la Vie. Autant dire qu’elle était aussi loin que faire se peut de sa destination. Pour atteindre le puit de Néant, elle devrait traverser le territoire de Vaehyr, prendre la mer pour les terres que se partageaient Siwurg et Nyurk, contourner les montagnes de Dyhurm et prendre à nouveau la mer pour les terres païennes. De là, elle pourrait enfin atteindre les ruines de Menalahan, porte d’entrée du puit de Néant. Bien sur le trajet était loin d’être sûr, sans compter que les Sept ne la laisseraient pas entreprendre cette quête les bras croisés. Ils n’étaient certes pas en mesure de s’attaquer directement à elle, leur énergie trop pure risquerait d’anéantir son corps de telle manière qu’elle serait libérée, mais ils enverraient certainement leurs adorateurs à sa poursuite pour lui mettre des bâtons dans les roues.

C'était ici, à Vaehyrlahan, qu'elle était le plus en danger. Elle devait quitter la ville le plus vite possible. Mais pour traverser le continent, elle devait avant tout se préparer.

Avec un soupir, Emna remit sa capuche et sortit, retournant à contre-coeur au marché qu'elle avait traversé plus tôt. Elle acheta une besace et des provisions pour la route, ainsi qu'une bouteille de poison, vidant presque complètement sa bourse.

Elle retourna ensuite à l'auberge : Elle partirait le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil.