La lumière était froide, blanche et figée.
Momoi posa doucement un pied sur le sol, Eldrhyssa déjà en main. Le parquet circulaire sous ses pieds reflétait un éclat noirâtre, comme si le bois lui-même avait été poli jusqu’à devenir miroir. Mais ce n’était pas du bois.
C’était du verre.
Ou plutôt, des miroirs.
Salle circulaire, gigantesque.
Les murs, du sol au plafond, étaient entièrement recouverts de miroirs noirs. Pas un seul interstice.
Et ce n’était pas un simple reflet.
Les images renvoyées étaient légèrement décalées. Un infime retard. Comme si Momoi et Akyra étaient observés… depuis l’intérieur.
Silence total.
Pas de respiration, pas d’écho. Même les pas d’Akyra ne produisaient qu’un souffle amorti, étouffé.
Momoi cligna des yeux, sourcils légèrement froncés.
Momoi : Pourquoi… est-ce que j’ai l’impression que mon propre regard me juge ?
Sa propre voix résonna à peine, avalée par l’atmosphère.
Elle serra la garde d’Eldrhyssa. La lame rouge sombre vibra doucement entre ses doigts.
Akyra, lui, se tenait à deux mètres derrière elle. Bras croisés. Regard fixe.
Pas un mot, pas un geste inutile.
Momoi finit par rompre le silence :
Momoi : C’est ça… les Fosses Miroirs ?
Sa voix semblait incongrue ici, comme déplacée.
Akyra répondit, ton égal :
Akyra : Ça commence à partir de maintenant. Prépare-toi à voir ta pire ennemie : toi-même.
Momoi sentit un frisson. Pas de froid, mais de tension mentale.
Et alors…
Le miroir juste en face d’elle vibra légèrement.
Pas un bruit. Juste une onde à peine visible, un tremblement imperceptible dans la structure noire.
Comme une goutte tombant sur un lac figé.
La silhouette de Momoi dans le miroir se détacha doucement de son reflet.
Au début, ce n’était qu’une ombre plus sombre que le reste.
Puis les contours se précisèrent.
Une figure s’avança hors du miroir central :
— Taille identique.
— Posture identique.
— Eldrhyssa… identique.
Non, pas identique.
La lame qu’elle portait était inversée.
Eldrhyssa noire, motifs rouges sang pulsant doucement sur sa surface ondulée.
Momoi serra les dents.
Autour d’elle, l’air sembla se refroidir légèrement. Une condensation invisible, oppressante, comme si même la chaleur ambiante était aspirée par l’apparition.
Sous ses pieds, elle sentit une vibration sourde.
Kala.
Une distorsion d’espace naturelle à cette salle.
Instinctivement, elle recula d’un pas avant de se stabiliser.
Ses doigts tremblèrent un instant sur la garde de son épée avant de retrouver leur fermeté.
Dans sa tête, une pensée monta :
Momoi : C’est moi… mais c’est pas vraiment moi.
La copie se mit en position. Elle aussi.
Une garde basse, lame tenue en diagonale.
Akyra, toujours bras croisés, observait.
Son regard n’avait pas changé : ni inquiétude, ni pitié, ni doute.
Sa voix intérieure résonna comme un écho lointain dans ce décor figé :
Akyra: Elle doit apprendre à se battre sans mon ombre.
Momoi inspira profondément. Une seule fois.
Eldrhyssa vibra plus fort entre ses doigts.
La première ombre qu’elle allait affronter… c’était elle-même.
La lame vibra dans l’air silencieux.
Momoi fut la première à bouger.
Un pas ferme. Coup horizontal, classique, la lame rouge sombre traçant un arc précis.
Face à elle, sa copie bougea exactement au même moment.
La même trajectoire. La même vitesse.
Les deux Eldrhyssa se heurtèrent en un choc silencieux, sans étincelle visible, mais l’onde de Kala se propagea dans l’air.
Un souffle circulaire se diffusa, faisant trembler très légèrement les miroirs autour d’eux.
Momoi serra les dents. Son regard croisa celui vide et inversé de son double.
Puis elle enchaîna.
Pas glissé. Feinte basse. Rotation.
Mais…
Chaque mouvement fut reproduit à la perfection.
Esquive identique. Pas inversé. Rotation miroir.
C’était comme… danser face à un reflet vivant.
Chaque coup qu’elle donnait était déjà donné en face d’elle.
Chaque esquive qu’elle tentait était imitée.
Momoi sentit un frisson d’agacement monter. Elle accéléra, ajoutant un léger tremblement à son poignet pour perturber l’angle d’Eldrhyssa.
Même là.
Sa copie la suivait à la milliseconde près.
Elle recula d’un pas.
Son cœur commençait à battre plus vite, mais ce n’était pas uniquement à cause de l’effort.
C’était autre chose.
Elle murmura, voix intérieure :
Momoi : Elle copie… mes automatismes. Mes réflexes…
Une goutte de sueur glissa lentement le long de sa tempe.
Sa lame vibra légèrement sous l’effet de sa prise devenant moins assurée.
Akyra, en retrait, bras croisés, observait toujours sans un mot.
Mais dans son esprit, une réflexion simple résonnait :
Momoi : Les automatismes sont utiles… mais deviennent des chaînes dans ce genre de situation.
Il ne bougea pas.
Pas encore.
Momoi, elle, sentait le poids sur ses épaules.
Ses pensées s’enchaînaient à toute vitesse :
Momoi : Est-ce que j’ai progressé… ou est-ce que je me suis juste contentée de suivre Akyra jusqu’ici ?
Son regard se troubla légèrement.
Et c’est là qu’elle fit l’erreur.
Un pas de côté.
Mal calculé. Trop instinctif.
Sa copie inversa son mouvement.
Eldrhyssa inversée frappa la sienne avec une précision chirurgicale.
Sa propre lame lui échappa à moitié des mains. Elle la rattrapa de justesse…
Mais son équilibre était déjà perdu.
Momoi tomba à genoux.
Genou droit touchant le sol. Respiration saccadée.
Ses doigts crispés sur la garde tremblaient.
Devant elle, la copie de Momoi leva Eldrhyssa noire et rouge, la pointe dirigée vers sa gorge.
Lame vibrante, prête à porter le coup final.
Autour, les miroirs vibrèrent à peine. Comme si le monde entier retenait son souffle.
Narration intérieure :Pas encore… Pas déjà…
Akyra, toujours bras croisés, immobile.
Sa voix résonna dans le vide, calme, posée, presque détachée :
Akyra : Si je bouge, elle ne gagnera rien.
Silence.
Le plan s’élargit.
Momoi, seule à genoux.
La lame de sa copie pointée vers elle.
Tout autour, des centaines de reflets de cette scène :
Une boucle infinie de défaites possibles.
Une salle sans fin, où l’on n’affrontait rien d’autre… que soi-même.
Le silence était toujours aussi lourd.
Momoi, à genoux au centre de la salle, serrait encore Eldrhyssa. Sa respiration était lente, mesurée, mais chaque battement de son cœur résonnait comme un tambour dans sa poitrine.
Face à elle, à quelques centimètres à peine, la pointe inversée d’Eldrhyssa Miroir effleurait presque sa peau.
Une sueur glacée glissa le long de sa tempe, mais cette fois, elle ne baissa pas les yeux.
Momoi : Si c’est vraiment moi… alors je dois dépasser ce que je crois savoir.
La pensée s’imposa, claire, nette.
Pas un cri intérieur. Plutôt une certitude sourde.
Autour d’elle, les reflets noirs tremblaient doucement, capturant l’image figée de ce duel sans issue.
Mais dans ses yeux, une lueur nouvelle apparut — plus vive, plus profonde.
Un flash narratif :
une teinte vert clair dans son regard se teintait légèrement de rouge sombre, pulsant en écho avec la lame qu’elle tenait encore fermement.
La vibration d’Eldrhyssa s’intensifia, grave et régulière.
Ses doigts se resserrèrent lentement sur la garde.
Un simple bruit sec, presque imperceptible dans le silence absolu, mais qui brisa quelque chose dans l’atmosphère.
Le souffle de Momoi s’étira, sa poitrine se soulevant dans un rythme parfaitement contrôlé.
Puis, elle se releva.
Sans précipitation.
Sans brutalité.
Juste… lentement.
Chaque muscle, chaque articulation semblait se remettre en place avec un soin millimétré.
En face, la copie ajusta aussi sa posture, mais il y avait un décalage subtil cette fois. Une fraction de seconde de retard.
Assez pour qu’Akyra, bras croisés à l’arrière, plisse très légèrement les yeux.
Momoi leva Eldrhyssa à hauteur d’épaule.
Pas trop haut, pas trop bas.
Une posture décalée, inhabituelle.
Puis elle attaqua.
Un coup en biais, net, calculé…
Mais au dernier instant, elle fit l’impensable :
Momoi : Pause.
Exactement une demi-seconde.
Tout son corps suspendu en plein mouvement, lame arrêtée dans les airs.
La copie, elle, reproduisit cette même pause… mais ne comprit pas que le rythme avait changé.
Dans ce court laps de temps, Momoi reprit son geste, inversant totalement la trajectoire de sa lame.
Le choc fut minime, mais perceptible : lames se frôlant, flux de Kala perturbé autour d’elles.
Momoi : Si elle copie mes automatismes… alors je dois faire ce que je n’aurais jamais pensé faire.
Son propre rythme s’effaçait.
Feinte sur feinte.
Mouvement incomplet, suivi d’une pause.
Un pas sur le côté, mais sans intention réelle derrière.
Chaque geste devenait une énigme, même pour elle.
Les miroirs autour vibraient plus fort maintenant, reflétant non plus un combat parfait, mais un enchaînement désynchronisé.
La copie commença à ralentir.
Elle copiait les pauses, reproduisait les hésitations… mais ne parvenait plus à suivre l’intention.
Sa lame inversée trembla.
Ses pieds glissèrent légèrement sur le sol, manquant d’appui.
Momoi, elle, restait concentrée.
Pas de sourire.
Pas de cri de victoire.
Seulement une respiration de plus en plus régulière, et dans ses yeux, cette lueur vive qui n’avait plus rien d’un simple reflet.
Le reflet inversé restait face à Momoi, lame baissée d’un millimètre, légèrement en retard.
Une faille venait de s’ouvrir.
Mais Momoi ne pressa pas.
Ses yeux se fermèrent un instant.
.
Dans sa tête le visage d’Akyra, dans un souvenir flou mais précis :
Momoi : Le Kala, c’est la forme de l’intention. Pas un carcan.
Un poids s’éteignit dans sa poitrine.
Narration intérieure :Je n’ai pas besoin d’être parfaite. Je dois juste être… vraie.
Elle rouvrit les yeux.
Dans sa main, Eldrhyssa vibrait encore, mais cette vibration avait changé.
Oscillation plus lente.
Plus profonde.
Un son grave et continu résonna dans la salle entière, parcourant chaque miroir, chaque paroi noire.
Le reflet, lui, hésita.
Sa lame inversée vibrait à son tour… mais en décalage.
Les fréquences ne s’accordaient plus.
Momoi fit un pas.
Un seul.
Lent, assuré.
Eldrhyssa tenue basse, lame pointant vers le sol.
Aucune intention offensive lisible.
Pas de posture de combat.
Et c’est précisément ce qui bloqua la copie.
Privée de repère, privée de schéma à suivre… elle resta figée.
Momoi leva Eldrhyssa d’un geste tranquille.
Et frappa.
Un seul mouvement.
Simple, pur, précis.
La lame traversa le torse du reflet sans aucune résistance.
Pas de bruit métallique, pas d’impact brutal.
La copie se coupa en deux, verticalement.
Pas de sang.
Seulement des éclats noirs et argentés qui s’élevèrent comme de la poussière de verre et d’ombre.
Momoi, debout seule au centre de la salle, la respiration lente mais calme.
Les miroirs autour ne reflétaient plus son double.
Partout, désormais, seule son image véritable apparaissait.
Un reflet sans altération.
Pas une copie.
Elle. Juste elle.
Akyra s’approcha alors, sortant de son immobilité.
Toujours bras croisés.
Regard posé, léger sourire presque imperceptible.
Il s’arrêta à un mètre d’elle.
Akyra : Pas trop mal.tu fais beaucoup de progrès
Momoi souffla, relâchant enfin la tension. Un sourire discret sur les lèvres.
Momoi : Pas trop mal. Tu m'étonnes
Les miroirs autour vibrèrent une dernière fois.
Puis, méthodiquement, comme un réseau de lignes prédéfinies…
Des fissures apparurent sur chaque surface noire.
Un motif harmonieux.
Craquement final.
Les murs s’écartèrent lentement, révélant une lumière plus vive : l’entrée vers l’étage suivant.
Momoi venait de briser plus qu’un reflet : elle venait d’ouvrir sa propre voie.
A suivre