Le ciel, noirci de nuages menaçants, pesait lourdement au-dessus d’un vieux manoir perdu dans la lande.
Un homme noir, au physique squelettique, avançait lentement vers la porte d’entrée. Ses yeux clairs, perçants, luisaient d’une ironie glaciale dans l’obscurité, et un mince sourire se dessinait sur ses lèvres.
Devant la porte massive du manoir, il s’arrêta.
Un silence oppressant.
À l’intérieur, on distinguait une vaste salle plongée dans la pénombre. Dans l’ombre, des créatures à l’allure démoniaque se tapissaient, immobiles, comme des fauves attendant que leur proie franchisse le seuil.
L’homme claqua des doigts. Le son sec résonna étrangement dans le hall.
Soudain, une silhouette féminine aux traits démoniaques surgit du toit, armée d’une longue épée. Sa chute fendit l’air dans un cri strident, et tous les démons la fixèrent aussitôt, comme hypnotisés par sa présence.
Une diversion parfaite.
Profitant de ce moment, l’homme sortit un revolver poli comme un miroir et fit un pas dans la salle. Un démon s’avança vers lui en grognant.
Il leva son arme, un sourire ironique aux lèvres.
— Je voudrais réserver une chambre… mais je crains de faire trop de bruit.
Le coup de feu retentit, sec et clair.
À l’arrière-plan, le massacre commençait. La créature féminine tranchait ses ennemis avec une grâce cruelle, son épée décrivant des arcs sanglants dans la pénombre. L’homme s’avança vers le centre, encerclé par des démons.
En un éclair, il tira une balle unique qui ricocha contre les murs avant de perforer d’un seul trait les têtes de tous les démons restants.
Il tourna ensuite son regard vers la créature féminine, qui semblait troublée par la scène. À elle, il murmura :
— Mauvais choix, Alya…
Et sans ciller, il lui logea deux balles dans la poitrine.
Alors qu’il se détournait, un sourire moqueur aux lèvres, une voix résonna dans son esprit.
— Souviens-toi de moi…
Il sursauta légèrement.
— Qui… qui a parlé ? demanda-t-il, surpris, avant d’esquisser un rictus.
— Je crois que je devrais lever le pied sur les bonbecs…
Son visage redevint sérieux.
— Bon… ça n’a aucune importance.
Il se pencha sur un démon, trancha une artère et recueillit son sang dans une fiole. Mais à cet instant, il sentit une présence sous ses pieds.
Le plancher se fendit brusquement, l’engloutissant dans les ténèbres.
En chute libre, il aperçut une montagne grouillante de créatures. Elles tentaient de fusionner, leurs corps difformes se tordant pour former une masse gigantesque. La monstruosité leva la tête vers lui et grogna :
— Dans quelques secondes… je serai de platine. Et tu feras moins le malin, humain.
Toujours en pleine chute, il esquissa un sourire carnassier.
— Va bouffer des couilles en enfer, démon.
Un rayon d’énergie jaillit de son arme, transperçant la créature de part en part.
Il retomba lourdement au sol. Allongé, il resta un moment immobile avant de se redresser, assis, se grattant la tête comme si tout avait changé en lui. Son regard était devenu confus, presque ému.
— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que je faisais allongé par terre ? murmura-t-il, surpris, comme s’il était une autre personne.
Il se leva lentement, remit ses lunettes, se débarbouilla, puis s’avança vers le démon agonisant.
Le démon, haletant, leva des yeux pleins de larmes et murmura d’une voix faible :
— Pourquoi… pourquoi ? Pourtant… nous, les démons ici… nous étions juste comme vous, humains… Nous rêvions d’un monde merveilleux… Nous mangions comme vous… Nous avions fondé des familles… Nous avions même renoncé à nos anciennes pratiques… tout quitté pour un monde de paix… Nous vivions même comme vous… mais sans relâche, vous nous avez traqués… torturés… tués…
Sa voix se brisa, et il ajouta dans un souffle :
— À force de chasser le mal en croyant faire le bien… vous avez renoncé au bien qui croyait en vous… Alors… pourquoi, monsieur ?… pourquoi… pourquoi ?
Ses yeux se voilèrent et il mourut, les larmes aux joues.
Face à lui, l’homme garda la mine fermée, froide. Il sortit une fiole tremblante, recueillit le sang du démon, puis se retourna… pour découvrir que l’endroit n’était autre qu’une salle de jeux pour enfants.
Il inspira profondément, sortit un carnet, ramassa un stylo qui traînait au sol et y écrivit quelques mots, une larme solitaire tombant sur la page.
Une voix féminine retentit derrière lui.
— EDEN…
Il sursauta, puis hurla presque :
— Alya ! Alya, attends une seconde ! J’arrive !
Son regard balaya la pièce. Il trouva une corde, l’attacha à un support métallique et la lança vers le haut. La corde retomba aussitôt.
— Tch… Flûte. J’ai vraiment pas de chance…
Un sourire ironique effleura ses lèvres.
— C’est pas comme si je me trouvais dans une œuvre… hein. Enfin bref.
Il resserra la corde, prit son élan.
— À la une… à la deux…
Cette fois, le projectile se coinça dans une armoire à ustensiles. Il haussa un sourcil.
— Je crois… que ça tiendra.
Il tira de toutes ses forces. L’armoire bascula dans un vacarme métallique.
— How, how !
Les ustensiles s’éparpillèrent sur lui. Blessé légèrement, il continua malgré tout.
Il monta et parvint enfin à rejoindre Alya.
Elle était là, sous les décombres, apeurée et tordue de douleur.
— Je suis vraiment désolé, Alya… attends, je vais te dégager.
Manquant de forces, il improvisa un levier pour soulever les débris. Elle était transpercée par plusieurs morceaux qu’il retira un à un.
— Je suis désolé… Je n’ai pas été là pour te protéger…
Alya hurla en reprenant forme, ses blessures se refermant peu à peu. Il détourna la tête, répétant encore et encore :
— Je suis désolé… Je suis désolé… Je suis désolé…
Quand elle eut retrouvé son souffle, leurs regards se croisèrent longuement.
Je ne dois pas faire ça… Ce n’est qu’une collègue… Je ne la connais même pas… Je ne dois pas profiter de son inconscience…
Soudain, un souffle violent traversa la pièce. Une onde de choc les projeta tous deux au sol. Alya s’effondra, étourdie.
Lui, déjà sur ses gardes, dégaina son arme.
Un inconnu se tenait à l’entrée, masque blanc à l’allure démoniaque, arme à la main.
— Monsieur EDEN… vous êtes en état d’arrestation pour avoir commis de graves fautes et mis la vie de nombreuses personnes en danger. Nous vous arrêtons, vous et votre créature.
Ils tirèrent en même temps. La balle d’EDEN explosa dans un éclat. Celle de l’adversaire le traversa, et son corps devint lourd, engourdi.
Ses yeux se fermèrent. Dans le noir, une voix familière murmura encore une fois dans son esprit :
— Souviens-toi de moi…
Il sursauta et rouvrit difficilement un œil, l’autre étant fermé, couvert d’une blessure. Il bougeait légèrement la tête et…
Il n’était plus face à cet homme, mais se trouvait désormais dans une forêt enneigée, allongé dos au sol avec une entaille sur le torse, comme causée par des lames de rasoir, à quelques mètres d’une autre calamité monstrueuse à l’apparence déformée, qui se dirigeait vers lui. Alya gisait au sol, blessée, se tordant de douleur. Elle tentait sans relâche de le réveiller malgré un bras brisé et les deux pieds fracturés, tenant fermement son épée.
C’est à ce moment-là que…