Chapitre 6 : L'Évasion

Chapitre 6 : L'Évasion

Le sol froid sous son visage, le goût cuivré du sang dans sa bouche et le bourdonnement persistant dans ses oreilles n'étaient que des détails. Le chaos dans la chambre, les éclats de voix d'Alexandre et les pleurs de l'autre femme, tout s'estompait dans un lointain indistinct. La seule chose qui parvenait à percer le brouillard de la douleur et du choc, limpide et brûlante, était cette certitude absolue : elle devait partir. Maintenant.

Maïa Hayes, gisant sur le sol de ce qui avait été son foyer, trouva en elle une force qu'elle ne soupçonnait pas. Pas une force physique – son corps entier était une symphonie de douleurs – mais une force mentale, une injonction de survie qui transcendait la peur et l'anéantissement. Elle sentit la conscience la quitter par intermittence, mais une image, persistante, revenait : sa cousine, Chloé. Chloé, son sourire chaleureux, ses bras ouverts, son appartement toujours accueillant.

Alexandre, essoufflé par sa propre rage, s'était reculé. La femme blonde, terrifiée, tentait de le calmer, des murmures étouffés qu'elle ne parvenait pas à distinguer. C'était sa chance. Chaque seconde comptait.

Avec un gémissement à peine audible, Maïa commença à bouger. Un bras, puis l'autre. Le plan était primitif, dicté par l'instinct : atteindre son téléphone, appeler Chloé, et s'échapper. La douleur irradiait de sa tête, de ses côtes, mais elle la canalisa, la transforma en un carburant amer.

Elle rampa à quatre pattes vers le chevet, là où son sac à main, miracle, était resté accroché à une poignée de tiroir. Ses doigts, engourdis, fouillèrent à tâtons jusqu'à ce qu'ils rencontrent la surface lisse de son smartphone. La lueur de l'écran était une bouée de sauvetage dans la noirceur de sa vision.

Elle entendit Alexandre grommeler quelque chose à la blonde, la voix plus douce. Ils semblaient la croire inconsciente, ou du moins, inoffensive. C'était sa seule opportunité. Ses doigts tapèrent frénétiquement le numéro de Chloé, chaque touche un effort monumental.

La sonnerie sembla durer une éternité. Puis, enfin, la voix familière de Chloé, un peu ensommeillée mais toujours pleine de vie.

« Maïa ? C'est toi ? Tout va bien ? Il est minuit passé ! »

Maïa retint un sanglot, sa voix n'était qu'un filet brisé. « Chloé… s'il te plaît… je… je dois venir. Maintenant. »

Un silence glacial s'installa au bout du fil, Chloé, dénuée de son habituelle gaieté, semblait percevoir l'urgence et la détresse dans sa voix. « Maïa ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu as l'air… tu vas bien ? »

« Non. Je… je ne peux pas parler. Il faut… je dois partir. Il… il m'a… » Les mots restaient coincés dans sa gorge, étouffés par la douleur et la honte.

« Il t'a quoi, Maïa ?! Dis-moi ! » La voix de Chloé devint subitement grave, paniquée. « Est-ce qu'il t'a fait du mal ? »

Maïa inspira difficilement. « Oui. S'il te plaît, Chloé. Je… je viens. Ouvre la porte. Je n'ai rien… Je dois partir. »

« Mon Dieu, Maïa ! Bien sûr ! N'importe quand ! Tu n'as même pas besoin de demander. Mais… qu'est-ce qui s'est passé ? Il faut appeler la police ! »

« Non ! » La force avec laquelle elle prononça ce mot surprit Maïa elle-même. « Non, pas la police. Juste… laisse-moi venir. Je t'expliquerai. Je dois juste… m'enfuir. »

« D'accord, d'accord, calme-toi. Je suis réveillée. La porte sera ouverte. Mais prends juste ce que tu peux, Maïa. Vite. Et sois prudente. Très prudente. » L'inquiétude transperçait chaque mot de Chloé.

Maïa raccrocha. Son regard balaya la chambre. Quoi prendre ? Elle n'avait pas le temps. Pas de valise, pas de vêtements. Juste… fuir. L'essentiel. Son sac à main contenait son portefeuille, ses papiers d'identité. C'était tout ce dont elle avait besoin pour l'instant.

Elle se releva, titubante, chaque mouvement une torture. La douleur dans sa tête était pulsatile, ses côtes la faisaient hurler à chaque respiration. Elle avança, se traînant hors de la chambre, le regard fixé sur la porte d'entrée.

C'est alors qu'Alexandre sortit de la chambre, alerté par le bruit, ou peut-être par une intuition. Il la vit, chancelante, son visage tuméfié, le sang séché au coin de sa bouche. Ses yeux s'écarquillèrent, une lueur de panique, puis de rage, remplaça la surprise.

« Maïa ?! Où vas-tu ? » Ses pas résonnèrent, lourds, alors qu'il s'approchait.

Maïa ne répondit pas. Elle ne pouvait pas. La peur la paralysait, mais la détermination la poussait en avant. Chaque parcelle de son être criait de s'échapper.

« Tu crois que tu vas t'en tirer comme ça ? » Sa voix devint menaçante, la colère montant à nouveau. « Après ce que tu as fait ?! »

« J'ai fait ?! » Maïa trouva une force insoupçonnée. Elle se tourna, ses yeux injectés de sang fixant les siens. « C'est toi qui m'as battue ! C'est toi qui as ramené une autre femme dans NOTRE lit ! Tu es un monstre ! »

La gifle arriva avant qu'elle ne puisse réagir. Une claque violente, encore plus forte que la précédente, qui la projeta contre le mur du couloir. Son corps glissa le long de la paroi, la tête cognant à nouveau. Le monde tourbillonnait.

« Espèce de garce ! » cracha-t-il, sa voix rauque de fureur. « Tu me traites de monstre ? C'est toi qui es le problème ! C'est toi qui es la stérile ! La bonne à rien ! Tu vas rester ici et tu vas comprendre ce qu'il en coûte de me défier ! » Il leva son pied, menaçant de lui donner un autre coup, mais il s'arrêta, comme s'il hésitait.

Pendant cette infime seconde d'hésitation, Maïa vit une opportunité. Rassemblant ses dernières forces, elle se jeta en avant, rampant sur le sol, les mains tendues vers la porte d'entrée. Alexandre, pris de court par cette réaction inattendue, tenta de la rattraper.

« Reviens ici, Maïa ! Ne fais pas ça ! » Il saisit sa cheville.

Maïa hurla de douleur, mais le hurlement était aussi un cri de défi. Elle donna un coup de pied désespéré, se dégageant de sa prise. Elle se traîna vers la porte, ses doigts agrippant la poignée.

« Si tu sors par cette porte, » lança-t-il, sa voix tremblante de rage, « tu perds tout, Maïa ! Tout ! Ton travail, ta réputation, ton avenir ! Tu n'auras plus rien ! »

Les mots étaient censés la retenir, la paralyser par la peur de l'inconnu. Mais Maïa avait déjà tout perdu. L'amour, le respect, sa dignité. Il ne lui restait rien à perdre, sauf sa vie, peut-être.

D'une dernière poussée de désespoir, elle déverrouilla la porte, l'ouvrit en grand, et tomba sur le palier. L'air frais de la nuit, le silence du couloir, tout était une bouffée d'oxygène. Elle entendit Alexandre crier son nom, mais elle ne se retourna pas.

Elle dévala les escaliers de secours à toute vitesse, chaque pas une secousse douloureuse, mais la montée d'adrénaline la portait. La cage d'escalier, d'habitude si impersonnelle, lui semblait être le chemin vers la liberté. Arrivée en bas, elle se précipita dehors, dans le froid mordant de la nuit.

La rue était déserte, les lumières de la ville scintillantes et indifférentes à son drame. Elle aperçut un taxi au loin, sa lumière jaune brillant faiblement. Avec la dernière énergie qui lui restait, elle courut, boitant, le cœur hurlant dans sa poitrine.

« Taxi ! » Sa voix était rauque, mais l'homme, étonné de voir une femme en robe de chambre, le visage tuméfié, s'arrêta.

Elle plongea sur le siège arrière, le corps tremblant, les larmes coulant sans contrôle. « Au… au 14, rue des Lilas, s'il vous plaît. Le plus vite possible. »

Le chauffeur jeta un coup d'œil inquiet dans le rétroviseur, mais ne posa aucune question, sentant l'urgence de la situation. Le taxi démarra en trombe, laissant derrière lui l'appartement luxueux, les souvenirs brisés, et l'homme qui avait détruit sa vie. Maïa jeta un dernier regard par la fenêtre arrière, vers les lumières du bâtiment qui s'éloignaient. C'était la fin d'une ère, et le début d'une autre, incertaine, mais libre.

Elle atteignit l'appartement de Chloé quelques minutes plus tard, le corps engourdi et l'esprit à vif. La porte s'ouvrit avant même qu'elle n'ait frappé. Chloé était là, son visage pâle d'inquiétude, ses yeux s'écarquillant à la vue des blessures de Maïa.

« Maïa ! Mon Dieu ! » Chloé la saisit, la soutenant alors que Maïa s'effondrait. « Entre, ma chérie. On va prendre soin de toi. »

Les bras de Chloé étaient un refuge, une chaleur réconfortante qui transperça le froid de sa peur. Maïa s'abandonna, sentant le poids de tout ce qu'elle avait enduré s'écrouler sur elle. La fuite était terminée. La survie avait commencé.