Chapitre 8 : Les Premières Couleurs

Le monde de Maïa s'était réduit aux murs douillets de l'appartement de Chloé, un refuge simple et chaleureux à l'opposé du luxe froid qu'elle avait fui. Les deux premiers mois furent une brume douloureuse, un mélange de sommeil forcé, de larmes silencieuses et de chuchotements réconfortants. Chloé était une ancre, une sœur d'âme qui tenait bon, même quand Maïa sombrait.

Dès l'instant où Maïa s'était effondrée dans ses bras, le visage tuméfié, les vêtements déchirés, Chloé avait réagi avec une efficacité et une compassion exemplaires. Pas de questions insistantes au début, juste des gestes doux. Une douche chaude, un antiseptique appliqué avec délicatesse sur les coupures et éraflures, des compresses froides sur les ecchymoses qui fleurissaient déjà sur son visage et son corps.

« Mon Dieu, Maïa, » avait murmuré Chloé, ses yeux sombres emplis d'une horreur sincère en découvrant l'étendue des blessures. Une côte probablement fêlée, des bleus sur les bras et les jambes, la lèvre fendue. « Il t'a… il t'a fait ça ? »

Maïa, recroquevillée sous la couverture moelleuse que Chloé avait tendue, avait juste hoché la tête, un sanglot secouant son corps. « Oui. Il… il a pété un câble. Et… et il y avait une autre femme. » Le dernier aveu lui arracha un nouveau sanglot.

Chloé s'était assise sur le bord du lit, la main posée sur sa tête. « Cet enfoiré ! Je le savais ! Je le savais qu'il y avait quelque chose de pourri chez lui, avec sa famille de snobs ! » Sa voix, d'habitude si douce, était empreinte d'une colère froide. « On va le faire payer, Maïa. On va le dénoncer ! »

« Non ! » Maïa s'était redressée d'un coup, malgré la douleur lancinante. « Pas la police ! Pas encore. S'il te plaît, Chloé. Je… je veux juste disparaître. » La peur des représailles d'Alexandre, sa capacité à la détruire, était plus forte que le désir de justice.

Chloé avait soupiré, la voyant trembler. « D'accord. D'accord, ma puce. Pas de police. Mais tu ne vas pas rester comme ça. Je vais te soigner. Et on va parler. Quand tu seras prête. »

Les premiers jours furent un calvaire physique. La douleur des coups, amplifiée par la simple gravité, la tenait clouée au lit. Chloé était là, un ange gardien, apportant des bouillons chauds, des infusions apaisantes, changeant les compresses. Elle parlait doucement, racontant des anecdotes légères sur son travail, sur les potins de leur petite ville de province, tout pour la distraire de son propre enfer.

« Tu sais, la boulangerie en bas a enfin fait des croissants aux amandes dignes de ce nom, » disait Chloé un matin, tentant de la faire sourire.

Maïa souriait à peine, le regard perdu dans le vague. « C'est bien. »

Puis, vint la convalescence émotionnelle, bien plus longue et tortueuse. Maïa oscillait entre la stupeur, la tristesse et une colère sourde qui la rongeait. Elle revivait en boucle la scène du lit, les mots d'Alexandre, les coups. La honte l'enveloppait comme un voile épais.

Un après-midi, Maïa, un peu plus forte, s'était assise dans le canapé, enveloppée dans un plaid. Chloé était à côté d'elle, en silence.

« Je… je ne comprends pas, Chloé, » avait commencé Maïa, sa voix rauque. « Comment il a pu faire ça ? Comment j'ai pu être si aveugle ? »

Chloé lui prit la main. « Tu n'étais pas aveugle, Maïa. Tu étais amoureuse. Et les manipulateurs, les violents, ils cachent bien leur jeu au début. C'est insidieux. Il t'a brisée petit à petit. »

« Il a dit… il a dit que j'étais stérile. Qu'il avait besoin d'un héritier. C'est pour ça qu'il a fait ça. » Les larmes, encore une fois, montèrent.

« Ne l'écoute pas ! C'est un prétexte ignoble ! » La voix de Chloé était ferme. « Tu n'es pas stérile. Tu as vu des médecins, tu es en pleine santé ! Il cherchait juste une excuse pour justifier sa propre lâcheté, sa propre cruauté. C'est son problème, pas le tien. »

Ces mots, si clairs, si dénués d'ambiguïté, commencèrent à percer le brouillard de culpabilité qui entourait Maïa. « Mais… ma vie. Mon travail. Mes fiançailles. Tout est parti en fumée. »

« Non. Non, Maïa, » avait corrigé Chloé, son regard direct et bienveillant. « Ta vie n'est pas partie en fumée. Ton ancienne vie, oui. Celle où tu te faisais détruire à petit feu. Mais là, tu es en sécurité. Tu es en vie. C'est ça l'essentiel. Pour le reste, on va reconstruire. Brique par brique. »

Chloé était une bouffée d'air frais. Elle la força doucement à sortir du lit, d'abord pour quelques pas dans l'appartement, puis pour de courtes promenades dans le petit jardin public du quartier. Les premiers rayons de soleil sur son visage semblaient lui redonner un peu de vie.

L'épreuve la plus difficile fut la confrontation avec l'extérieur. La peur qu'Alexandre la retrouve, qu'il envoie des gens, était une menace constante. Chaque coup de sonnette, chaque silhouette aperçue à travers la fenêtre, la faisait sursauter.

« Et si… et s'il me cherche, Chloé ? Et s'il vient ici ? »

« Il ne viendra pas, » assurait Chloé, sa main sur la sienne. « Il ne veut pas de scandale. Et puis, qui irait chercher quelqu'un dans notre petit coin perdu ? Et même s'il le faisait, je serais là. Tu es en sécurité ici. Et si jamais il y a quoi que ce soit, j'ai des amis qui sont… très dissuasifs. » Elle lui fit un clin d'œil complice, un rare moment de légèreté.

Deux mois passèrent ainsi. Deux mois de thérapie informelle avec Chloé, de longues discussions nocturnes où Maïa déversait toute sa douleur, sa colère, sa confusion. Elle parlait de la pression de la belle-famille, de l'indifférence grandissante d'Alexandre, des premiers coups, de l'humiliation suprême de la découverte. Chloé écoutait, sans jugement, offrant des conseils pragmatiques et une épaule solide.

« Tu sais, Maïa, tu n'as plus rien à prouver à personne, » lui avait dit Chloé un soir. « Surtout pas à cet homme. Il est malade. Et sa famille aussi. Leur obsession de l'héritier est malsaine. »

Maïa commença à entrevoir une vérité qui lui avait été masquée par l'amour et la peur. Alexande n'était pas seulement un homme violent, il était aussi le produit d'un système familial toxique qui valorisait la lignée et l'apparence plus que l'amour et le bonheur de ses membres. Elle réalisait qu'elle avait été un simple instrument dans leur quête, un utérus ambulant destiné à perpétuer un nom.

Progressivement, les couleurs revinrent sur le visage de Maïa, et une étincelle de sa joie de vivre d'antan commença à briller à nouveau dans ses yeux. Elle riait de nouveau avec Chloé, se souvenant des moments heureux de leur enfance. Les marques physiques avaient presque disparu, et les cicatrices invisibles commençaient à se refermer.

La décision de changer de ville fut naturelle, inévitable. Pour vraiment se reconstruire, elle devait couper les ponts, effacer les traces, commencer une nouvelle vie loin de l'ombre d'Alexandre et de sa famille.

« Je vais partir, Chloé, » avait-elle annoncé un matin, son regard posé sur l'horizon, une nouvelle détermination dans sa voix. « Je ne peux plus rester ici. Je dois tourner la page. »

Chloé la regarda, les yeux emplis de fierté et de tristesse. « Je comprends, ma puce. Tu as raison. Et tu sais que tu auras toujours ta place ici, quoi qu'il arrive. »

« Je sais, » répondit Maïa, serrant la main de sa cousine. « Et je ne te remercierai jamais assez. Tu m'as sauvé la vie. »

Elle commença à chercher des offres d'emploi dans d'autres régions, dans des villes où personne ne la connaîtrait, où le nom de Valois ne résonnerait pas. Ses économies, bien que modestes après des années passées à entretenir un train de vie qu'elle n'avait pas vraiment choisi, lui donnaient une certaine indépendance.

Le suspens demeurait : allait-elle pouvoir échapper complètement à l'emprise d'Alexandre ? Allait-il la retrouver ? Ces questions planaient, menaçantes, mais pour la première fois depuis longtemps, Maïa se sentait capable de les affronter. La convalescence avait été dure, mais elle l'avait transformée. Elle n'était plus la femme brisée, mais une survivante prête à se battre pour sa liberté. Le prochain chapitre serait celui de ce nouveau départ, l'exploration de l'inconnu, et la renaissance d'une Maïa plus forte.