L’enclume et le feu
Le monstre grogna, puis bondit. Son corps gigantesque fendit l’air avec un souffle caverneux. Il ne lançait plus de flammes, ni d’ondes de choc. Cette fois, il comptait sur sa seule brutalité.
Keita fut le premier à réagir. Il roula sur le côté tandis qu’un poing énorme s’écrasait là où il se tenait une seconde plus tôt, pulvérisant la pierre et soulevant un nuage de poussière.
— Il frappe comme une montagne ! hurla Tobias, se jetant derrière une carcasse de voiture renversée.
Kubira, de son côté, s’élança sur le flanc droit du monstre. Il sauta, les bras tendus vers l’avant, et projeta un éclair ciblé vers le cou de la bête. L’électricité claqua, illuminant brièvement la peau épaisse et sombre du colosse.
Mais l’effet fut limité. Le monstre accusa le coup, tourna la tête, puis balaya l’air d’un revers de bras.
Kubira fut frappé de plein fouet. Son corps vola en l’air comme une poupée de chiffon, s’écrasa contre un mur effondré, et glissa au sol, inerte.
— KUBIRA ! hurla Keita.
Kohaku apparut aussitôt. Un portail s’ouvrit sous Kubira et le fit réapparaître à quelques dizaines de mètres, derrière une protection improvisée.
— Je m’en occupe ! cria-t-elle, le chargeant sur son dos.
Mais elle n’eut pas le temps de respirer. Un cri de douleur surgit derrière elle.
— AAH !
C’était Rhan. Elle avait tenté de détourner l’attention du monstre en créant un flash de lumière, mais l’un de ses énormes pieds l’avait fauchée sans même qu’elle ait le temps de réagir.
Elle roula sur plusieurs mètres, inconsciente.
Kohaku jura entre ses dents, ouvrit un deuxième portail, et disparut avec Rhan et Kubira, les amenant hors de portée du monstre, dans une rue adjacente.
Pendant ce temps, les autres se coordonnaient.
Ezra fonça à travers les ruines, créant quatre doubles de lui-même, chacun surgissant dans une direction différente pour semer la confusion. Le monstre frappa l’un d’eux d’un coup de coude — une illusion. Il se retourna, frappa un autre — encore une illusion.
— Tobias, maintenant ! cria Ezra.
Tobias tendit la paume. Des éclats de métal tranchants volèrent à haute vitesse, tournant autour du bras droit du monstre, cherchant un point faible.
Mais le monstre riposta sans finesse. Il abattit ses deux bras sur le sol en rugissant, créant une onde de choc qui projeta Tobias en arrière.
— Il est trop dense, grogna Tobias, crachant du sang. Il n’y a pas d’ouverture nette.
Lima et Soojin travaillèrent ensemble. Soojin augmenta la gravité autour de la jambe gauche du monstre, tandis que Lima fit geler le sol pour le déséquilibrer.
La créature glissa brièvement — juste assez pour qu’Ayra, revenue du dôme, surgisse en bondissant et enferme un bras dans la roche.
— Maintenant ! cria-t-elle.
Kwame concentra son souffle. Il hurla avec toute la puissance qu’il avait, déclenchant une vague sonore qui secoua la tête du monstre.
La créature tituba, rugit, puis déchira la roche qui l’entravait. Une mèche de fumée noire s’échappa de ses lèvres, preuve que l’impact l’avait affectée.
Mais il continuait d’avancer.
Keita s’était approché, patient. Il se jeta sous les jambes du monstre, donna un coup rapide sur le genou avec toute la force qu’il avait. Rien ne craqua — mais le monstre plia légèrement. Il se baissa pour l’écraser.
Un portail de Kohaku s’ouvrit sous Keita et le fit réapparaître juste au-dessus du dos du monstre. Il n’avait pas besoin de frapper fort. Il planta une barre de fer trouvée dans les décombres dans la nuque de la bête. Le métal s’enfonça légèrement, assez pour que la créature hurle et se débatte.
Keita sauta en arrière avant de se faire projeter.
Le groupe se remit en position. Malgré la fatigue, malgré les blessures, aucun d’eux ne tomba.
Mais la respiration devenait lourde. Les muscles criaient.
Kwame tenait son bras droit, paralysé. Tobias saignait de la bouche. Ayra avait les jambes engourdies. Keita soufflait comme un boxeur au 12e round.
Le monstre, lui, saignait aussi. Lentement. Des veines violettes coulaient à l’endroit où la barre de fer avait été plantée.
Mais il se tenait encore debout.
Le sol trembla une nouvelle fois sous le pas du monstre. Son souffle rauque et saccadé faisait vibrer les vitres brisées autour d’eux. Bien qu’il ait perdu une partie de sa puissance à cause d’Hiro, sa force brute restait colossale, et ses charges suffisaient à renverser tout sur son passage.
Keita recula précipitamment, essuyant le sang coulant de son front. Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui. La fatigue était partout. Les souffles étaient courts, les bras tremblaient, et pourtant, pas un seul combattant n’avait fui.
— Il ne va pas tomber tout seul… grogna Tobias, la main tendue, désintégrant un éclat de roche envoyé vers Keita.
Mais ce dernier geste lui coûta plus que prévu. Son bras gauche flancha, et une quinte de toux le coupa.
— Tobias ! cria Lima. Reste en arrière !
— Trop tard, lâcha-t-il dans un souffle rauque.
Le monstre pivota brusquement, ses yeux difformes fixant Tobias. D’un bond monstrueux, il frappa le sol de ses deux bras. L’onde secoua toute la rue. Tobias fut projeté contre un pan de mur effondré, son corps heurtant violemment les pierres.
Un silence. Puis un râle.
— Il respire ! cria Keita.
Mais Tobias ne se releva pas.
Soojin tenta de le rejoindre, mais un rugissement monstrueux la repoussa. Kwame réagit aussitôt, se plaçant devant elle.
— TU VEUX JOUER ? cria-t-il.
Il inspira profondément, puis hurla. Un son si puissant qu’il fit vibrer l’air comme une onde visible. Le monstre accusa le coup, vacilla d’un pas.
Mais à la fin du hurlement, Kwame posa un genou à terre, puis un deuxième. Il posa la main sur sa gorge, les veines de son cou pulsant violemment.
— Kwame ! appela Ezra.
— J’ai plus de souffle… réussit-il à dire. Trop forcé.
Le monstre ne perdit pas une seconde. Il bondit vers Kwame, poing serré, prêt à l’écraser.
Ayra surgit. Elle leva les bras, fit jaillir une colonne de roche pour faire écran.
— Touche pas à lui ! hurla-t-elle.
Mais le monstre frappa. La colonne explosa, projetant Ayra et Kwame plus loin.
Les deux corps roulèrent dans la poussière. Kwame perdit connaissance immédiatement. Ayra tenta de se relever... une fois, deux fois, puis s’écroula, son bras pendant mollement.
Il ne restait que cinq.
Keita, Kohaku, Ezra, Lima et Soojin.
Ezra activa ses doubles, trois illusions qui se mirent à courir en cercles. Le monstre, désorienté, frappa dans le vide.
Soojin profita de l’ouverture pour alourdir sa jambe droite. Le sol craqua sous son poids, l’immobilisant temporairement.
Lima suivit en gelant l’autre jambe, formant une couche de glace luisante.
— C’est maintenant ! hurla Keita.
Il se rua, esquiva une frappe latérale, grimpa sur les décombres, puis sauta sur l’épaule de la créature. Il leva un couteau de fortune — une tige de métal rouillée — et le planta dans la jointure de l’épaule.
Le monstre hurla. Il balaya l’air, Keita fut projeté, mais un portail s’ouvrit au dernier moment : Kohaku.
Il réapparut derrière elle, haletant.
— Merci...
— Je t’en prie… soupira-t-elle.
Elle regarda le monstre. Du sang violet s’écoulait à nouveau. Il était blessé. Pas mort, pas ralenti... mais blessé.
Kohaku serra les dents. Elle sortit ses deux lames courtes, jusqu’alors dissimulées dans les plis de son pantalon.
— Je vais marquer ce monstre moi aussi.
Elle ouvrit un portail au-dessus de la créature, y sauta, et réapparut directement sur son dos.
— POUR KWAME, POUR LES AUTRES !
Ses lames traçaient deux arcs brillants. Elle planta la première dans la nuque, juste derrière l’œil difforme, et la seconde dans le haut du dos. Le monstre rugit de douleur.
Puis elle ouvrit un nouveau portail sous ses pieds et disparut juste avant d’être balayée par un bras furieux.
Keita et les autres la rejoignirent. Le sol tremblait. Le monstre respirait plus vite. Ses veines pulsaient plus fort.
Il était en colère.
Et eux... tenaient toujours.
Le silence n’existait plus. Le sol vibrait comme une corde tendue, les murs grondaient sous l’impact des pas du monstre. Ses bras massifs, taillés dans la chair d’un cauchemar, s’agitaient avec une force sauvage, imprévisible.
Ils n’étaient plus que cinq.
Keita, Kohaku, Ezra, Soojin, et Lima.
Et aucun d’eux ne savait combien de secondes il leur restait.
— Il va frapper encore, souffla Keita.
À peine avait-il fini de parler que le monstre bondit dans leur direction, ses poings levés comme deux météores. Il frappa le sol. Une onde de choc dévora la rue. Des éclats de pierre volèrent dans toutes les directions.
Ezra créa trois doubles pour brouiller la vision du monstre. Trop tard.
Une main géante attrapa l’un des doubles, puis l’autre — illusion ou pas, la bête savait que ses vrais ennemis étaient toujours là.
— Il apprend, grogna Ezra en reculant, le souffle court.
Keita courut en zigzag, glissa entre deux ruines, sauta sur un conteneur écrasé et bondit, tige de métal en main. Il visa l’épaule déjà blessée du monstre, et frappa.
La tige s’enfonça à peine.
Le géant poussa un rugissement bestial, tourna la tête et balaya Keita d’un revers.
Le garçon vola sur plusieurs mètres, s’écrasa contre un tronc calciné, toussa du sang, mais se releva, tremblant.
— Encore vivant… marmonna-t-il.
Kohaku surgit derrière lui, le soutenant d’un bras.
— T’en as encore sous le pied ?
— Un peu... si tu m’ouvres un portail au bon moment.
— Je suis prête.
Lima leva les bras, ses doigts bleus de froid. Elle fit surgir des pics de glace sous les pieds du monstre, visant les tendons. Les pointes explosèrent sur l’impact, tranchant la chair, faisant hurler la bête.
— Maintenant, Soojin ! cria-t-elle.
Soojin concentra son pouvoir. Le bras gauche du monstre s’alourdit brusquement. Il tenta de frapper, mais son propre poids le ralentissait.
Ezra, les yeux injectés de fatigue, cria :
— Keita ! Prends de la hauteur !
Un portail s’ouvrit au-dessus du monstre.
Keita y sauta sans hésiter.
Il réapparut dans les airs, les jambes repliées, et frappa à pleine vitesse le crâne de la créature avec un tuyau métallique couvert de sang sec.
Un choc. Un râle. Le monstre recula d’un pas. Juste un.
Keita atterrit mal, sa cheville fléchit, et il roula au sol.
Le géant, blessé mais furieux, hurla de nouveau. Son souffle était si chaud qu’il fit fondre la glace autour de ses pieds. Son bras gauche retrouva sa mobilité.
Il se jeta droit vers Soojin.
— Non ! cria Ezra.
Il créa deux clones pour détourner l’attention. Mais le monstre frappa quand même. La main balaya l’air… et toucha Soojin de plein fouet.
Elle vola, heurta violemment une carcasse de véhicule, et s’effondra, immobile.
— SOOJIN ! hurla Lima.
Elle courut vers elle, esquivant les gravats. Elle posa la main sur son épaule. Elle respirait. Faiblement. Mais elle vivait.
— Elle est inconsciente ! cria-t-elle.
— Il faut la sortir de là ! dit Kohaku.
Mais Kohaku ne bougea pas. Elle était figée, le regard rivé au monstre. Son souffle tremblait. Son WIND s’effilochait.
— Kohaku ? demanda Keita.
Elle ne répondit pas.
Puis, lentement, elle sortit ses lames courtes. Elle saignait à la main, mais sa prise restait ferme.
— J’en ai marre, souffla-t-elle. Assez.
Elle ouvrit un portail. Un deuxième. Un troisième. Elle les enchaîna jusqu’à arriver directement derrière la tête du monstre.
Il tourna la tête, surpris. Trop tard.
Kohaku planta une lame dans le haut du cou, l’autre dans la base du crâne. Elle poussa de toutes ses forces, criant de rage.
Le monstre hurla. Un sang violet jaillit, plus abondant que jamais. Il secoua la tête violemment. Kohaku fut projetée, roula au sol, mais se releva en haletant.
Le monstre tituba. Pour la première fois, il ploya un genou.
Pas vaincu. Mais marqué.
Gravement.
Keita, Ezra et Lima rejoignirent Kohaku, formant un cercle autour de lui.
— C’est peut-être notre chance, dit Keita, le souffle coupé.
— Ou sa transformation, murmura Ezra.
Le monstre releva la tête.
Son œil difforme vibrait, palpitait. Sa chair semblait bouillir.
Ils ne savaient pas ce qu’il préparait. Mais ils savaient une chose :
Le prochain coup… pourrait être le dernier.