Vendredi – 17h07 – Derrière le gymnase
Kael est resté au sol.
Il ne bouge plus.
Personne ne s’approche.
Juno tourne déjà le dos, son pas lent, calme.
Comme s’il n’y avait rien d’autre à faire.
Il remet son sac sur l’épaule.
Et s’éloigne.
Autour, les élèves commencent à se disperser.
Mais lentement.
Comme si leurs jambes comprenaient pas encore ce qu’elles avaient vu.
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17h09 – Fin du cercle
Un silence lourd colle à la scène.
Même ceux qui filment n’osent plus parler.
Certains s’échangent un regard.
Personne ne rit.
Deux gars s’écartent un peu :
— « Il l’a mis au sol sec… »
— « J’ai jamais vu Kael tomber. »
Un troisième regarde autour, baisse la voix :
— « Même ceux du fond de la cour parlent plus. »
Y’a plus d’égo.
Plus de jeu.
Juste une ambiance figée.
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17h13 – Hall du lycée
Des élèves quittent les salles petit à petit.
Certains ont entendu ce qui s’est passé.
D’autres ont déjà vu la vidéo.
Personne n’en parle trop fort.
Une surveillante fait signe de circuler.
Les élèves s’exécutent sans discuter.
Un pion lâche dans sa barbe :
— « Y’a un truc qui tourne pas rond aujourd’hui… »
Personne ne relève.
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17h30 – Portail du lycée Victor-Hugo
Fin de journée.
Les élèves sortent.
Mais cette fois, c’est pas la même vibe que d’habitude.
Pas de cris.
Pas de groupes qui traînent.
Pas de ballon qui tape contre les murs.
> Tout le monde rentre chez soi.
Certains marchent vite.
D’autres prennent leur temps, la tête baissée.
Une fille dit juste :
— « On dirait que le lycée s’est vidé avant l’heure. »
Un surveillant referme lentement la grille.
Jette un regard à la cour.
Et souffle :
— « C’est bon, c’est fini pour aujourd’hui. »
Mais il le dit sans trop y croire.
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17h34 – Ruelle entre Dumas et Marceau
Un gars marche vite.
Capuche relevée. Téléphone serré dans la main.
Il tourne dans un recoin, derrière un local technique.
Pose son sac contre le mur.
Sort un vieux Nokia à clapet.
Un seul numéro dedans.
Il appuie.
Attente.
Ça décroche.
> — « Ouais. »
La voix est sèche. Grave. Fatiguée sans être faible.
Le gars hésite pas :
— « C’est fait. Juno a coulé Kael. Deux fois. KO. »
Silence.
— « Le lycée est au courant. Les vidéos tournent. J’te mens pas, tout le monde a capté. »
Toujours rien.
Il tente :
— « Tu vas t’en occuper, hein ? »
La réponse tombe, lente :
> — « Mmm… non. Flemme. »
— « Quoi ?! Mais frère, t’as entendu ce que j’viens de dire ?! Il a mis Kael à terre, genre vraiment KO, et si tu fais rien les gens vont penser que— »
> — « Ferme-la. »
Coupé net.
Froid.
Sans lever la voix.
Le gars se fige.
La voix reprend, plus calme, mais sans appel :
> — « Toi, tu fais ce que j’te dis. Tu le suis. Tu m’ramènes tout. Trajets, classe, horaires, fréquentations. Tu me rappelles quand t’as du concret. Compris ? »
— « O-oui… pardon. »
> Bip.
Appel terminé.
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17h37 – Résidence Marceau – Bâtiment B – Sous-sol 3
Une cave.
Froide.
Haleine de béton humide, de rouille, de sang sec.
Au fond : un gars ligoté sur une chaise.
Le visage gonflé. Les bras pendus.
Il gémit faiblement.
Face à lui, assis sur une caisse :
Malek.
Torse nu. Silencieux.
Un pied-de-biche posé sur les cuisses.
Il bouge pas.
Juste son regard qui glisse du mec au miroir fendu accroché au mur.
Il voit son reflet. Son torse. Ses yeux.
Puis sa voix tombe, calme :
> — « Tu crois qu’il vaut la peine que j’bouge ? »
Aucune réponse.
Juste un souffle faible.
Alors Malek se lève.
Lentement.
Aucune urgence dans ses gestes.
Il lève le pied-de-biche.
PAH.
Un coup sec dans l’épaule du gars attaché.
Pas un cri.
Juste un gémissement cassé.
Malek pose l’outil contre le mur.
Attrape une serviette.
S’essuie les mains.
Il fixe le miroir, son reflet fendu. Et dit, plus bas :
— « J’ai vu des mecs forts. J’ai vu des mecs bruyants.
Mais les seuls qui comptent, c’est ceux qui tiennent… pas ceux qui frappent. »
Il sort une clope. L’allume. Tire une longue latte.
Puis il sort, sans se retourner.
CLAC.
La porte se referme.
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18h03 – Bus 147 – Direction Bondy
Juno est monté sans un mot.
Il s’est assis au fond.
Personne lui parle.
Personne s’assoit à côté.
Il fixe la vitre.
Le reflet des bâtiments défile sans qu’il cligne des yeux.
Ses écouteurs sont branchés.
Mais y’a rien dans les oreilles.
Juste le silence.
Et dans sa tête :
> le calme d’après.
le vrai.
Celui où les choses se mettent en place, sans bruit.
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18h24 – Cité Dumas – Appartement 27
Juno entre.
Silence.
Toujours.
Il pose son sac dans un coin.
Retire sa veste.
S’assoit au bord du lit.
Son téléphone vibre.
Notifications, messages, vidéos.
Il regarde même pas.
Il reste là, sans bouger.
Le dos droit. Le regard vide.
> Le week-end a commencé.
Mais la suite… elle vient à sa façon.