La porte de la salle de rangement est toujours fermée. Le néon au plafond grésille doucement, diffusant une lumière blanche et froide. L’air est calme, presque figé.
Kael croise les bras.
Kadiatou est toujours adossée contre le mur, mâchant son chewing-gum d’un air nonchalant, les lunettes teintées rose posées sur son nez, ses tresses tombant sur ses épaules. Elle ne dit rien. Elle observe.
Juno regarde Kael.
— « Tu lui fais confiance à ce point ? »
Kael le fixe, sérieux.
— « Kadiatou est une personne de confiance. Dans ce lycée, y’a personne de plus fiable qu’elle. Elle connaît tout. Les déplacements, les conflits, les rumeurs, même les trucs que personne est censé savoir. Si elle dit quelque chose, tu peux parier que c’est vrai. »
Un silence. Juno acquiesce.
— « Très bien. »
Kael souffle doucement, comme soulagé.
— « Bon… Maintenant qu’on est au clair, faut passer aux choses sérieuses. »
Il se retourne vers le tableau. Il efface rapidement le schéma précédent, puis commence à tracer à nouveau.
— « Malek. Top 2 des premières. Tout le monde pense qu’il est déjà le boss. En vérité, y’a un Top 1. Mais personne ne sait qui c’est, ou même à quoi il ressemble. Il est invisible. Il agit dans l’ombre. »
Kael dessine un cercle autour du nom de Malek.
— « Si on veut prendre le lycée, faut d’abord faire tomber Malek. »
Il trace une flèche pointée vers le bas. Puis un autre cercle.
— « Et pour le faire tomber, on peut pas juste lui foncer dessus. Il est pas seul. Il a ses gars. Il a son respect. Il a aussi la peur qu’il impose. »
Kael se tourne vers Juno.
— « Si tu perds contre lui, c’est fini. Personne te suivra après. Donc… faut le prendre intelligemment. »
Juno s’approche du tableau, bras croisés.
— « Tu veux dire quoi par là ? »
Kael sourit.
— « On va lui faire perdre son contrôle petit à petit. Ses alliés, sa réputation, et ensuite… son trône. »
Kadiatou s’avance, son chewing-gum éclate doucement dans un petit clac.
Elle sort son téléphone et scrolle, puis montre une photo.
— « Justement. Le plus important de ses alliés, c’est Nabil Saïd. »
Juno fronce légèrement les sourcils.
Kael répète :
— « Le bras gauche de Malek. Toujours à ses côtés. C’est pas juste un pote, c’est un relais. Il gère l’organisation quand Malek veut pas se salir les mains. »
Kadiatou reprend :
— « Il est discret. Il frappe rarement, mais quand il le fait, c’est précis. »
Juno se penche pour regarder l’image.
— « Il est là tous les midis ? »
— « Ouais, dans le couloir B3. Mais si tu le touches ici… »
Elle lève un doigt.
— « ... c’est trop risqué. Toi, t’es déjà dans les radars. Un move de travers et ils t’excluent. »
Kael approuve d’un signe de tête.
— « Le lycée, c’est un terrain qu’il contrôle. On doit le sortir de sa zone. »
Kadiatou range son téléphone.
— « Je vais me renseigner sur ses trajets. Il doit bien avoir un point faible, une routine. Dès que je trouve, on prépare un coup propre. »
Kael tape doucement le tableau du doigt.
— « On fait tomber Nabil en dehors du lycée. Sans trace. Sans bruit. »
Juno serre le poing.
— « Alors c’est parti. »
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Lundi – 07h38 – Devant le lycée Victor‑Hugo
La brume du matin colle aux trottoirs. Le ciel est bas, gris, sans promesse.
Juno est déjà là. Capuche sur la tête, sac en bandoulière, il regarde les élèves défiler à l’entrée.
Ses yeux, eux, ne cherchent pas la foule. Ils cherchent lui.
— « Nabil Saïd. »
Kael s’approche discrètement.
— « Il est déjà rentré. »
Juno le fixe.
— « T’as vu à quelle heure ? »
— « 7h25. Juste avant que les surveillants ouvrent les portes. Il passe toujours par l’arrière quand il veut éviter de croiser des gens. »
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08h12 – Couloir B3
Nabil marche seul. Pas pressé. Pas lent non plus. Il connaît les lieux.
Personne ne l’interpelle. Personne ne le dérange.
Juno, lui, est plus loin, adossé à un mur, en retrait, capuche rabattue.
Un œil sur les fenêtres. L’autre sur Nabil.
Kadiatou passe à côté de lui sans le regarder.
— « Il a toujours le même sac. Bandoulière noire, marque coupée sur le côté. »
— « Tu l’as suivi vendredi ? »
— « Ouais. Il sort à 16h20. Toujours. Jamais plus tôt. Jamais plus tard. »
Juno garde le silence.
— « Il prend le bus 601, arrêt Avenue du Coteau – École Normale. C’est pas loin de la cité Kennedy. »
— « Il descend à quel arrêt ? »
— « Président Kennedy, puis il marche jusqu’à la rue Jaurès. Y’a une ruelle juste après le café Chez Nordine. Il y passe tous les soirs. »
Kael les rejoint, mains dans les poches.
— « C’est là. C’est le seul moment de la journée où il est seul. Sans ses gars. Sans ses regards. »
Juno fixe le sol un instant, puis relève les yeux.
— « Quelle heure ? »
— « 16h34. Il descend à l’arrêt pile à cette heure-là. J’ai checké trois jours de suite. »
Un silence.
Kadiatou sourit.
— « Propre, non ? »
Juno souffle du nez. Un presque rire. Mais rien d’amusé.
— « Et maintenant ? »
Kael sort un plan du quartier, le déplie sur une caisse à outils.
— « On le suit jusqu’à la ruelle. On l’encadre. Pas de bruit. Pas de caméra. Pas de spectateur. »
Juno fixe la carte. Puis redresse la tête.
— « On agit demain. »
Kadiatou hoche la tête.
— « Je serai là en avance. J’ai une copine qui bosse au café. Elle nous couvrira si ça part en vrille. »
Kael croise les bras.
— « Tu le neutralises. Tu le fais parler. Et ensuite tu fais ce que t’as à faire. »
Un long silence.
Juno répond, bas :
— « J’vais juste lui faire comprendre. »
Il se redresse. Jette un dernier regard au plan.
— « Ce genre de gars, faut juste leur montrer que même dans l’ombre… y’a des choses qui frappent plus fort que la lumière. »
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Mardi – 16h30 – Rue Jaurès
Le ciel est lourd. Nuageux. Pas de vent.
Le trottoir est vide. Le bus arrive.
Kadiatou est accoudée à la vitre du café. Lunettes roses sur le nez, chewing-gum dans la bouche.
Juno est en retrait, dans l’ombre d’un vieux distributeur de journaux. Capuche baissée. Poings fermés.
Nabil descend.
Mêmes gestes. Même allure.
Il ne sait pas.
Il tourne au coin de la rue. Passe la boulangerie fermée.
Puis entre dans la ruelle.
Juno attend quelques secondes. Puis avance.
Pas un mot.
Pas un bruit.