Chapitre quatre : Gabriel

Je traverse le couloir en direction du bureau d'Isabelle, le cœur battant un peu plus vite que je ne l'aurais voulu. Je viens de sortir du bureau de Monsieur Lefebvre, et malgré ma détermination à rester concentré, je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’il s’est passé là-dedans.

Rien de particulier, rien qui puisse expliquer ce sentiment étrange qui persiste. Je devrais être soulagé d’avoir franchi cette première étape. L’entretien d’hier s’est bien passé, et aujourd’hui, c’est mon premier jour en tant que stagiaire à **Summit Global Corporation**. Une opportunité énorme pour quelqu’un comme moi, tout droit sorti de mes études. Et pourtant, il y a ce poids inexplicable, cette impression que quelque chose m’échappe.

Je secoue la tête, essayant de me focaliser sur l’essentiel. **Vincent Lefebvre** est mon patron maintenant, pas un mystère à résoudre. Pourtant, chaque fois que je repense à notre rencontre, une tension indescriptible monte en moi. Je ne peux pas dire ce que c’est exactement. Peut-être est-ce son regard, si intense, comme s’il cherchait à percer quelque chose en moi. Ou peut-être que c’est simplement la pression de vouloir bien faire dans cette entreprise.

Mais… non. C’est plus que ça. Il y a autre chose. À plusieurs reprises pendant l’entretien, et encore ce matin, j’ai eu l’impression que son regard se posait sur moi avec un intérêt particulier, comme s’il me scrutait. Et chaque fois que nos yeux se croisaient, une sensation familière m’envahissait, comme si… je l’avais déjà vu quelque part. Mais c’est absurde.

Je finis par arriver devant la porte du bureau d’Isabelle et frappe doucement avant d’entrer. Isabelle, la secrétaire principale de Monsieur Lefebvre, est une femme d’une quarantaine d’années, élégante, avec un sourire chaleureux mais professionnel. Dès que je franchis la porte, elle m'accueille avec une énergie qui contraste avec la froideur moderne de l’entreprise.

"Ah, Gabriel ! Bienvenue. Tu es prêt à plonger dans le grand bain ?" me dit-elle avec un clin d’œil complice.

Je souris, reconnaissant de l’accueil. "Oui, prêt à commencer."

"Parfait, suis-moi. Je vais te montrer où tu travailleras, et on va te briefer sur les premiers dossiers."

Je la suis dans les bureaux attenants. Ils sont spacieux, organisés, tout à fait à l’image de cette entreprise de prestige. Nous passons plusieurs minutes à discuter des bases : la gestion des appels, les calendriers complexes de Monsieur Lefebvre, les nombreuses réunions à organiser, les voyages d'affaires à planifier. Isabelle est claire, concise, mais elle parvient à rendre les choses engageantes. Je prends des notes, essayant de tout retenir, et me concentrant autant que possible.

Pourtant, même en étant attentif, une partie de mon esprit continue de divaguer, se perdant dans ce qui s’est passé plus tôt. Ce moment étrange dans le bureau de Monsieur Lefebvre, lorsqu’il m’a appelé juste avant que je ne parte. Pour dire quoi ? Rien, en fait. Juste "Bon courage." Un détail anodin, mais pourquoi est-ce que je m’y accroche autant ?

Je me secoue intérieurement. **Concentre-toi, Gabriel**. Ce stage est une énorme opportunité. C’est tout ce qui compte.

"Bon, je te laisse t’installer ici," dit Isabelle en me montrant un bureau impeccable près du sien. "Tu seras ici, à gérer toutes les tâches qu'on te confiera. Si tu as des questions, n'hésite pas. Mais je suis sûre que tu t’en sortiras très bien."

Je la remercie et m’installe à mon poste, tout en repensant à la charge de travail que j’aurai à gérer. C’est beaucoup, mais c’est exactement ce que je voulais. J’ai besoin de me prouver que je suis capable de tenir dans un environnement aussi exigeant.

Alors que je commence à me familiariser avec les plannings, une alerte s'affiche pour une réunion que Monsieur Lefebvre doit tenir demain. Je l’ajoute rapidement à son calendrier, tout en me perdant encore dans mes pensées. Son regard me revient en tête. Ces yeux… Cette sensation de déjà-vu ne me quitte pas. Je ferme les yeux un instant, essayant de comprendre pourquoi cela me perturbe autant.

Je secoue la tête. **Arrête, Gabriel**. Ce n’est qu’une coïncidence. Je ne connais pas cet homme, pas vraiment. Peut-être que j’imagine des choses, influencé par le stress et la nouveauté de ce travail. Mais une part de moi ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec l’inconnu masqué du bal. Ce soir-là, j’ai senti la même intensité dans un regard, ce même magnétisme. Mais ce n’est pas possible. Comment pourrait-ce être lui ? Il y a des centaines, des milliers de personnes à Montréal. Les chances sont infimes.

Et pourtant, quelque chose me dit que je ne suis pas totalement dans l’erreur. Ce mystère m’obsède plus que je ne veuille l’admettre.

Je prends une grande inspiration et me concentre de nouveau sur mon travail. Je dois faire mes preuves ici, et cela signifie que je dois laisser ce genre de pensées derrière moi. L’inconnu du bal masqué restera ce qu’il est : un mystère que je pourrais peut-être résoudre un jour, si j’envoie ce fichu message. Mais ce jour n’est pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je dois prouver que j’ai ma place ici.

Le téléphone sonne, me tirant de mes pensées. C’est Isabelle.

"Gabriel ? J’ai oublié de te mentionner que Monsieur Lefebvre te veut à ses côtés pour la réunion de demain. Assure-toi d’être à jour sur les points de l’ordre du jour. Tu assisteras à la prise de notes et à la gestion des suivis."

"Compris, je serai prêt," dis-je en prenant note de l’information.

Alors que je raccroche, une vague de nervosité me traverse. Travailler directement avec Monsieur Lefebvre dès le premier jour… Cela me rend plus nerveux que je ne voudrais l’admettre. Mais je suis aussi excité. C’est pour cela que je suis là, après tout. Pour apprendre, pour m’immerger dans ce monde.

Je ne peux pas me permettre d’être troublé par des coïncidences, par des yeux qui ressemblent à ceux d’un inconnu que je ne reverrai probablement jamais.

Je dois me concentrer. Demain est une nouvelle journée. Une journée où je dois prouver ma valeur.