Assis à mon bureau, je fixe l’écran de mon ordinateur, mais les mots défilent devant mes yeux sans que j’en saisisse vraiment le sens. Mon esprit est ailleurs. Plus précisément, il est encore pris dans ce mystère qui me hante depuis des jours. Gabriel est là, à quelques bureaux de moi, et je ne peux pas m’empêcher de penser à ces yeux. Ce même bleu si intense que je revois chaque fois que je ferme les paupières.
Cela n’a pas de sens. Je me répète que ce n’est qu’une coïncidence, mais mon esprit refuse de lâcher prise. Le bal masqué, cet inconnu, ces yeux… tout semble se mélanger, et j’ai du mal à rester concentré.
La réunion de ce matin avec Gabriel à mes côtés n’a fait que renforcer ce trouble. Il était si professionnel, pourtant nerveux, concentré sur chaque mot que j’ai dit, chaque détail de l’ordre du jour. Mais moi, je me suis surpris à le regarder un peu trop souvent, à chercher ce que je n’arrive pas à comprendre.
Un nouveau coup d'œil à l'horloge me rappelle que la journée touche à sa fin. Une notification surgit sur mon écran, interrompant mes pensées. C’est un email. Je clique, curieux, et mon cœur rate un battement. L’objet du message est simple : **Invitation au bal masqué semestrielle – ce soir**.
Je me fige. C’est le même bal où tout a commencé, où j’ai rencontré cet homme mystérieux. Une partie de moi hésite à y retourner. Cela fait déjà une semaine que cet inconnu occupe mes pensées, et je ne sais pas si je suis prêt à replonger dans cette confusion. Mais une autre partie, plus profonde, est impatiente. C’est une opportunité de le revoir, de revivre ces moments que je n’ai cessé de rejouer dans mon esprit.
Je ferme l'email, me redressant dans ma chaise. Il est encore tôt, mais je prends la décision de quitter le bureau pour me préparer. Il est inutile de rester ici à me torturer l’esprit alors que la soirée m’attend.
Chez moi, je me prépare avec soin. Je choisis un costume sobre mais élégant, noir, exactement comme celui de la dernière fois. Mon masque, toujours le même, est prêt, attendant d’être enfilé. Alors que je m’habille, je me surprends à penser à Gabriel. Il a été brillant lors de la réunion, mais cette tension ne m’a jamais quitté. L’invitation au bal a encore ravivé mes doutes et mes espoirs.
Je serre les dents et mets ces pensées de côté. Ce soir n’a rien à voir avec le travail. Ce soir, je suis juste un homme anonyme dans un bal, cherchant à revivre la magie de cette rencontre.
Lorsque je me regarde dans le miroir, je vois l’homme que j’étais il y a une semaine : un inconnu masqué prêt à plonger dans l’inconnu, à suivre ce fil invisible qui semble m’attirer irrésistiblement vers lui.
Je prends une profonde respiration et quitte mon appartement, prêt à affronter la nuit et son mystère.
Lorsque j’arrive au bal, l’atmosphère est exactement comme dans mon souvenir. La grande salle est baignée de lumière tamisée, les invités masqués déambulent élégamment, les rires et la musique créant un murmure envoûtant. C’est comme si rien n’avait changé depuis la dernière fois. Le temps semble suspendu.
Je me fonds dans la foule, mais mon esprit est déjà ailleurs. Je ne cherche qu’une seule chose, ou plutôt qu’une seule personne. Je scrute chaque visage masqué, cherchant désespérément ces yeux bleus qui hantent mes pensées.
Et puis, je le vois.
Là, debout près du bar, exactement comme la dernière fois. Mon cœur s’accélère instantanément. Son masque doré brille sous les lumières, et même s’il ne me voit pas encore, je sais que c’est lui. Tout en lui est familier : sa posture, la façon dont il se tient, cette aura mystérieuse qui semble attirer tout le monde autour de lui.
Je m’avance lentement, presque hésitant, comme si une partie de moi craignait de briser la magie. Mais lorsqu’il lève enfin les yeux et que nos regards se croisent, cette alchimie instantanée que j’avais ressentie une semaine plus tôt me frappe de plein fouet. Il sourit, ou du moins je l’imagine derrière son masque, et je sens un sourire naître sur mes propres lèvres.
Sans un mot, nous nous rejoignons, et en un instant, c’est comme si tout autour de nous disparaissait. La musique, les conversations, les autres invités… tout devient secondaire.
"Je me demandais si tu reviendrais," murmure-t-il, sa voix basse et légèrement amusée.
Je souris à mon tour, le cœur battant à tout rompre. "Et moi je me demandais si je te reverrais."
Il tend la main, et sans hésitation, je la prends. Nos doigts s’entrelacent naturellement, et il m’entraîne sur la piste de danse. Nous dansons, encore et encore, exactement comme la dernière fois. Chaque mouvement est fluide, comme si nos corps se connaissaient déjà par cœur. Je ressens à nouveau cette sensation de flottement, cette impression que rien d’autre ne compte.
Nous parlons, de tout et de rien. Des banalités, des anecdotes légères. Rien de personnel, rien qui ne brise le mystère. Nous rions parfois, murmurons à l’oreille de l’autre. Mais jamais nous ne mentionnons qui nous sommes réellement. C’est comme un accord tacite entre nous, un pacte silencieux pour garder l’anonymat intact.
Et puis, il y a les baisers.
Nos lèvres se rejoignent naturellement, encore et encore, chaque baiser plus tendre que le précédent. Je me perds dans ces moments, oubliant le monde autour de nous. Il y a une douceur dans ses gestes, une tendresse qui me touche plus profondément que je ne l’aurais imaginé. C’est à la fois passionné et délicat, une danse de lèvres et de souffle que je pourrais répéter éternellement.
Je ne veux pas que cette nuit se termine. Chaque fois que nos masques s’effleurent, chaque fois que nos corps se rapprochent, je ressens cette connexion inexplicable qui m’obsède depuis une semaine. Mais je sais, au fond de moi, que cette soirée aussi finira par prendre fin.
Et elle finit par le faire.
La musique s’adoucit, les lumières se tamisent, et les invités commencent à quitter la salle. Nous restons un moment, nos regards toujours liés, nos masques toujours en place. Je sais que je pourrais lui demander qui il est. Il suffirait d’un mot pour briser le mystère. Mais je ne le fais pas.
Nous échangeons un dernier baiser, plus tendre encore, avant de nous séparer.
"J’espère que nous nous reverrons," murmure-t-il.
"Moi aussi," dis-je simplement, le cœur lourd de le laisser partir.
Il disparaît dans la foule, son masque doré brillant une dernière fois sous les lumières avant de disparaître complètement.
Je reste là un instant, planté au milieu de la salle vide, me demandant une fois de plus qui il est vraiment.
Et pourquoi je n’arrive pas à l’oublier.