Chapitre quinze : Vincent

De retour au bureau après ce voyage d'affaires intense, je suis à la fois soulagé et tendu. Ces deux jours passés avec Gabriel, si proches et pourtant si distants, ont été une épreuve. La tension entre nous n'a cessé de croître, et malgré mes efforts pour maintenir un semblant de professionnalisme, il est clair que nous sommes tous les deux au bord de quelque chose que nous ne pouvons plus contrôler.

Je me replonge dans mon travail, espérant que la routine quotidienne m'aidera à retrouver un peu de calme. Gabriel est à son bureau, juste à côté du mien, concentré sur son écran. Je fais de mon mieux pour l'ignorer, pour ne pas laisser mes pensées dériver vers ce qui s'est passé entre nous ces derniers jours.

Soudain, un léger bruit attire mon attention. Gabriel sursaute légèrement et tente de rattraper son téléphone qui vient de glisser de ses mains. L'appareil tombe sur le sol, et dans sa chute, l'écran s'illumine brièvement. Mon regard est attiré par l'image qui s'affiche sur l'écran, et en une fraction de seconde, mon cœur manque un battement.

C'est une photo.

Mais pas n'importe quelle photo.

Gabriel et… lui. Gabriel, masqué, enlacé avec un homme masqué, exactement comme la photo que je garde précieusement sur mon propre téléphone.

Je reste figé, mon esprit mettant quelques secondes à assimiler ce que je viens de voir. Puis, comme un coup de tonnerre, la vérité s'abat sur moi. Gabriel… l'inconnu du bal… c'est lui. 

Mon esprit tourne à toute vitesse, revivant chaque instant que nous avons partagé, chaque danse, chaque baiser. Gabriel, ce stagiaire que je ne peux plus ignorer, est l'homme avec qui j'ai partagé des moments d'intimité, avec qui j'ai fait l'amour sans jamais connaître son vrai visage.

Je n'attends pas. Je me penche, ramassant son téléphone, et avant qu'il ne puisse réagir, je lui montre l'écran. Gabriel semble déconcerté, mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, je sors mon propre téléphone de ma poche. En quelques gestes, j'affiche l'image de mon fond d'écran : la même photo, moi et l'inconnu masqué, enlacés sous la lumière tamisée du bal.

Nos regards se croisent, et cette fois, il n'y a plus de doute possible. Il sait. Je sais. Gabriel et moi sommes restés figés, incapables de dire quoi que ce soit, incapables de détourner le regard. Pendant un long moment, le temps semble s'étirer. La vérité est là, exposée entre nous, dévastatrice.

Le silence est lourd, presque étouffant. Nos respirations se font plus rapides, plus irrégulières, comme si l'air entre nous devenait de plus en plus difficile à inhaler. Je vois les émotions passer dans ses yeux, la confusion, la surprise, mais surtout… cette même attirance que je ressens.

Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, à nous observer, incapables de bouger. Mais finalement, quelque chose en moi cède.

Je ne peux plus me contenir.

Sans réfléchir, je me jette sur lui. Mon corps réagit avant même que mon esprit ne puisse essayer de lutter. Je capture ses lèvres avec une urgence que je ne peux plus réprimer, et Gabriel répond immédiatement, ses bras s'enroulant autour de moi, ses mains me tirant plus près. 

Nos bouches se retrouvent, se reconnaissent, et c'est comme si tout ce que nous avions retenu depuis des semaines explosait en une valse endiablée de baisers brûlants. Nos langues s'enroulent l'une autour de l'autre avec une intensité presque désespérée, comme si nous essayions de combler tout le temps perdu. 

Je plaque ma main sur sa nuque, approfondissant le baiser, désirant plus, le vouloir plus près de moi, comme si je ne pouvais plus supporter un seul instant de séparation. Il répond avec la même passion, la même faim, et pour un instant, plus rien n'a d'importance. Ni le bureau, ni les règles, ni les conséquences.

Mais la réalité revient brusquement.

Sans crier gare, je le repousse, rompant brutalement le contact, haletant, les émotions bouillonnant dans ma poitrine.

"Non… Non, on ne peut pas faire ça," dis-je, ma voix rauque et pleine de regret. "Gabriel, on ne peut pas."

Il me regarde, son visage encore marqué par la surprise et la confusion, ses lèvres légèrement rougies par l'intensité du baiser que nous venons de partager.

"Pourquoi… ?" Sa voix est tremblante, presque désespérée.

"Parce que je suis ton patron," dis-je, essayant de retrouver mon calme. "Je suis ton supérieur. Et toi, tu es mon employé. Ce que nous venons de faire… ce n'est pas possible. Pas ici. Pas au bureau. Pas au bal."

Je le vois se raidir, l'incompréhension laissant place à une douleur visible dans ses yeux. Chaque mot que je prononce est comme un coup de couteau, mais je sais que je dois être honnête. Je dois mettre fin à cela avant que tout ne devienne encore plus compliqué, encore plus destructeur.

Gabriel se lève brusquement, ses mouvements précipités, comme s'il ne pouvait plus supporter ma présence. Il ne dit rien, mais je vois la détresse dans ses yeux, cette douleur que je viens de provoquer.

Je veux dire quelque chose, le retenir, m'excuser… mais aucun mot ne me vient.

Sans un mot, il attrape ses affaires et quitte le bureau, la porte se refermant doucement derrière lui. Le bruit résonne dans la pièce vide, et je reste là, seul, la tête entre les mains.

Je devrais me sentir soulagé d'avoir mis fin à cette situation. J'ai fait ce qu'il fallait, n'est-ce pas ? Mais tout ce que je ressens, c'est un poids écrasant de culpabilité et de regret. 

Je l'ai blessé. Je l'ai repoussé, même si chaque fibre de mon être me criait de faire le contraire.

La journée se termine, mais Gabriel ne réapparaît pas. Le vide qu'il laisse derrière lui est palpable, et je suis incapable de me concentrer sur quoi que ce soit d'autre. Je sais que j'ai pris la bonne décision, mais cela ne rend pas la douleur plus facile à supporter.

Et c'est ainsi que ma journée s'achève, seul dans mon bureau, avec la sensation que je viens de tout perdre.