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L'Appel de l'abîme

La bibliothèque semblait respirer autour de nous, ses étagères chargées de volumes anciens s'élevant dans une pénombre que les globes lumineux flottants peinaient à percer. L'air était saturé d'une odeur de parchemin sec et d'une énergie subtile qui faisait vibrer mes nerfs, une sensation que je ne pouvais ignorer. Les portes massives s'étaient refermées derrière nous dès notre entrée, nous enfermant dans cet espace qui semblait plus vivant que n'importe quel autre endroit du musée.

Miyako s'était installée à un pupitre massif, la boîte posée devant elle comme une relique sacrée, ses doigts effleurant les glyphes gravés sur sa surface. Une lueur douce émanait des inscriptions, pulsant faiblement, comme animée par une vie propre. Klayn, à ses côtés, feuilletait un grimoire à la reliure craquelée, ses sourcils froncés par la frustration tandis qu'il tournait les pages jaunies. Moi, je restais en retrait, scrutant les ombres entre les rayons, mes pensées oscillant entre la boîte et l'anneau du Kyneryx que nous devions encore récupérer.

"Logan," lança Miyako sans lever les yeux, sa voix coupant le silence oppressant, "regarde ça."

Je m'approchai, posant une main sur le bord du pupitre. Les glyphes brillaient plus intensément sous ses doigts, leurs courbes complexes dansant comme des flammes captives. "Tu as traduit quelque chose ?"

Elle hocha la tête, une lueur d'excitation dans ses yeux bleus. "Pas tout, mais assez pour avancer. Ces inscriptions parlent d'un 'gardien endormi' et d'une 'offrande de l'âme'. Ça doit être lié à ce qu'on cherche – une clé ou un mécanisme pour ouvrir la boîte."

Klayn releva la tête, intrigué malgré son scepticisme. "Une offrande de l'âme ? Tu veux dire qu'on doit sacrifier quelqu'un pour ça ?"

Miyako esquissa un sourire en coin, secouant la tête. "Pas littéralement, idiot. Les Orchadiens utilisaient des métaphores. Mon oncle m'a expliqué que leurs artefacts demandaient souvent une connexion – une sorte d'échange énergétique. Il faut s'accorder à la boîte, ressentir son essence."

Je croisai les bras, assimilant ses paroles. "Donc, on doit entrer en résonance avec elle ? Comme un rituel ?"

"Exactement," confirma-t-elle, tapotant un passage du grimoire ouvert à côté d'elle. "D'après ce texte, les Orchadiens imprégnaient certaines de leurs créations d'une énergie fondamentale. Ils appelaient ça 'Vitalys'. Si on veut l'ouvrir, il faut offrir une part de notre propre énergie pour l'éveiller."

Klayn fronça les sourcils, dubitatif. "Et comment on fait ça ? On se concentre et on espère que ça marche ?"

"Ce n'est pas si simple," répondis-je, mon regard glissant vers les glyphes. "Les Orchadiens étaient des maîtres de ce qu'on appelle fluide bien avant nous. Si cette boîte est un artefact, elle doit réagir à une intention précise, pas juste à un effort brut."

Miyako me fixa un instant, surprise par ma remarque. "Tu en sais plus que tu ne laisses paraître, Logan. Où as-tu appris ça ?"

Je haussai les épaules, masquant un sourire. "J'écoute, je lis. Tu n'es pas la seule à avoir un oncle savant." En vérité, mes connaissances venaient des bribes que Dregon m'avait laissées avant sa disparition – des murmures sur les Orchadiens et leurs secrets enfouis. Mais ça, ils n'avaient pas besoin de le savoir pour l'instant.

"Toujours aussi mystérieux," marmonna Klayn, refermant son grimoire avec un bruit sec. "Bon, alors quoi ? On essaie tous de 'ressentir son essence', comme tu dis ?"

"Pas encore," dis-je, m'éloignant vers une étagère qui avait attiré mon regard. Entre deux volumes imposants, un petit carnet à la reliure usée scintillait faiblement, ses motifs argentés pulsant comme les glyphes de la boîte. Je le saisis, sentant une chaleur subtile sous mes doigts. En l'ouvrant, je tombai sur un dessin : une silhouette tenant une boîte cubique, entourée de lignes convergeant vers un symbole identique à celui que nous avions sous les yeux.

"Venez voir," appelai-je, ma voix teintée d'une urgence contenue.

Ils s'approchèrent rapidement. Je pointai le dessin. "C'est notre boîte. Et il y a une instruction."

Miyako se pencha, lisant à voix haute : "'L'âme doit s'offrir au gardien pour libérer le passage. Une goutte de volonté suffit.'" Elle releva les yeux, perplexe. "Une goutte de volonté ?"

"Ça ressemble à un sacrifice symbolique," dis-je, suivant les lignes du dessin. "Pas du sang, mais une intention – une partie de notre énergie, comme tu l'as dit. On doit s'accorder à la boîte pour l'activer."

Klayn croisa les bras, toujours sceptique. "Et si ça nous vide complètement ? Ces trucs orchadiens sont dangereux, non ?"

"Possible," admis-je. "Mais on n'a pas le choix. Si cette boîte contient un indice pour avancer, on doit tenter le coup. Cette pièce ne nous laissera pas stagner ici éternellement."

Miyako hocha la tête, posant ses mains sur la boîte. "D'accord, je commence. Le texte dit de visualiser l'énergie circulant vers le symbole."

Elle ferma les yeux, inspirant profondément. Rien ne se passa au début, mais après quelques secondes, les glyphes s'illuminèrent légèrement, une lueur vacillante qui semblait répondre à sa volonté. Puis, elle rouvrit les yeux, frustrée. "Ça ne suffit pas. Il faut plus… une connexion plus forte."

Je posai mes mains près des siennes sur la boîte, sentant une chaleur subtile sous mes doigts. "Essayons ensemble. Concentre-toi sur ce que tu ressens – pas juste sur ce que tu veux, mais sur ce que la boîte attend."

Klayn s'approcha, prêt à intervenir. "Je vous couvre au cas où. Allez-y."

"Merci" dit Miyako.

Je fermai les yeux, laissant mon Smog affleurer avant de le réprimer, cherchant une énergie plus pure, un écho de ce que les Orchadiens appelaient le Souffle. Une chaleur monta en moi, et bientôt, une lueur diffuse enveloppa nos mains, reliant nos énergies dans un flux commun. Les inscriptions s'illuminèrent pleinement, baignant la bibliothèque d'une lumière douce mais intense.

Un déclic résonna, et le couvercle de la boîte s'ouvrit, révélant un cristal noir veiné de filaments argentés, scintillant comme une étoile.

"On a réussi," murmura Miyako, émerveillée.

Je retirai mes mains, observant le cristal. "Une clé ?"

Klayn s'approcha, examinant l'objet. "Peut-être. Ça pourrait activer quelque chose ici."

Miyako prit le cristal délicatement, le tenant à la lumière. "Les Orchadiens stockaient leur énergie dans des cristaux. Si c'est une clé, elle doit correspondre à un mécanisme dans cette bibliothèque."

Un grondement sourd ébranla soudain la pièce, faisant vibrer les étagères autour de nous. Les globes lumineux vacillèrent, et un craquement résonna depuis le mur opposé à l'entrée. Une fissure apparut dans la pierre, s'élargissant lentement pour révéler une ouverture étroite, un passage sombre s'enfonçant quelque part sous le musée.

"Qu'est-ce que… ?" Klayn recula d'un pas, sa main prête à saisir une arme qu'il n'avait plus.

Miyako serra le cristal contre elle, un sourire naissant sur ses lèvres. "On dirait une invitation."

"Prêts ?" demandai-je, un sourire confiant aux lèvres, mes yeux fixés sur le passage qui s'ouvrait devant nous.

Ils hochèrent la tête, et nous nous avançâmes vers l'ouverture, le cristal scintillant doucement dans la main de Miyako, éclairant notre chemin.

Le passage révélé par la boîte s'enfonçait dans les ténèbres, un tunnel étroit taillé dans la pierre brute, ses parois gravées de motifs orchadiens à moitié effacés par le temps.

Le cristal noir que Miyako tenait dans sa main projetait une lueur argentée, vacillante mais suffisante pour éclairer nos pas sur le sol inégal.

L'air était plus frais ici, chargé d'une humidité qui collait à la peau, et chaque souffle semblait résonner dans cet espace confiné.

Nous avancions en silence depuis quelques minutes, l'écho de nos pas ponctué par le grondement lointain des mécanismes du musée – ou peut-être autre chose, tapi dans l'ombre.

Klayn marchait en tête, ses épaules tendues, scrutant les recoins sombres comme s'il s'attendait à voir surgir un piège à tout instant. Miyako suivait, le cristal serré contre elle, son regard perdu dans ses pensées. Moi, je fermais la marche, laissant mes sens s'habituer à cet environnement oppressant, mon esprit tournant autour des secrets que cet endroit – et mes compagnons – pouvaient encore cacher.

Klayn finit par ralentir, jetant un coup d'œil par-dessus son épaule vers Miyako. "Dis-moi," lança-t-il soudain, brisant le silence avec une curiosité teintée de suspicion, "ton oncle… qui était-ce, au juste ? Comment un type peut en savoir autant sur les Orchadiens alors que presque personne ne connaît leur existence ?"

Miyako releva la tête, surprise par la question. Elle ajusta sa prise sur le cristal, ses doigts crispés révélant une hésitation passagère. Puis, après un soupir léger, elle répondit d'une voix douce. "Mon oncle… il s'appelait Toren. Toren Aoi. C'était un voyageur, un vrai. Pas le genre à rester en place plus de quelques mois. Avant ça, il avait été mercenaire – un expert, d'après ce qu'on disait. Il a parcouru le continent, des royaumes du nord aux déserts de l'est, et il connaissait des gens… des gens haut placés, des nobles, des érudits, même des royaux, je crois."

Klayn haussa un sourcil, impressionné visiblement. "Un mercenaire qui côtoyait la haute sphère ? Ça explique certaines choses. Mais quand bien même , les Orchadiens, C'est pas le genre de savoir qu'on ramasse en vendant son épée."

Elle hocha la tête, ses yeux fixant le cristal comme si elle y voyait un reflet du passé. "Il était curieux, presque obsessionnel. Il collectionnait les histoires, les légendes, les vieux parchemins que personne d'autre ne voulait lire quitte à fréquenter des personnes pas très recommandable. Il disait que les Orchadiens étaient la clé pour comprendre le monde – pas juste le fluide, mais tout : l'histoire, la guerre, la survie, l'harmonie. Il avait trouvé des ruines, des fragments de leur civilisation, et il passait des nuits entières à déchiffrer leurs glyphes. C'est lui qui m'a appris ce que je sais."

Un silence s'installa, troublé seulement par le crissement de nos bottes sur la pierre. Je laissai ses mots flotter dans l'air, notant la façon dont sa voix tremblait légèrement sur certains détails – pas de peur, mais d'un poids qu'elle portait encore.

Klayn, lui, ne lâchait pas le fil.

"Et il t'a élevée, c'est ça ?" demanda-t-il, son ton plus doux cette fois, comme s'il sentait qu'il touchait une corde sensible.

"Oui," murmura-t-elle, presque à contrecœur. "Mes parents… ils sont morts quand j'étais petite. Une attaque de bête – je t'ai déjà raconté ça." Elle lança un regard furtif vers moi, puis détourna les yeux.

"Toren m'a recueillie après ça. Il m'a appris à me battre, à lire les signes, à survivre. Il était dur, parfois, mais il m'a tout donné. Jusqu'au jour où il a disparu."

Klayn s'arrêta net, se tournant vers elle. "Disparu ? Comment ça, disparu ?"

Miyako s'immobilisa à son tour, ses doigts serrant le cristal dans ses mains. "Un matin, il n'était plus là. Pas un mot, pas un au revoir. Juste… parti. J'avais quatorze ans. Quelques jours plus tard, j'ai trouvé une lettre cachée dans son bureau – une lettre qu'il avait laissée pour moi."

"Qu'est-ce qu'elle disait ?" intervins-je, ma voix calme mais ferme, coupant court à l'hésitation que je voyais monter en elle.

Elle me fixa un instant, comme si elle pesait ce qu'elle pouvait révéler. Puis elle inspira profondément et reprit. "Il s'excusait. Il disait qu'il devait partir, que c'était pour ma sécurité, et que je ne devais pas le chercher. Mais il a ajouté que si je voulais la vérité – toute la vérité sur son départ – je devais aller à Balystis. Là-bas, quelqu'un m'attendait, quelqu'un qui me dirait tout. Il a écrit que je devais être patiente, que le moment viendrait."

"Balystis ?" répéta Klayn, fronçant les sourcils. "C'est à l'autre bout du continent. Et qui est ce 'quelqu'un' ?"

Miyako secoua la tête, une frustration évidente dans son geste. "Je ne sais pas. La lettre était incomplète – elle n'avait qu'une partie. Toren disait qu'il avait divisé ses instructions en deux. La première, je l'avais. La seconde… il l'avait envoyée à son neveu."

Je plissai les yeux, un frisson de curiosité me traversant. "Son neveu ? Tu as un cousin ?"

"Non," répondit-elle, sa voix teintée d'amertume. "Ou du moins, je ne pense pas. Il n'a jamais parlé d'un neveu, jamais mentionné une famille autre que moi et mes parents. Je ne sais pas qui c'est, ni où il est, ni même s'il existe vraiment. Tout ce que j'ai, c'est cette moitié de lettre et un lieu : Balystis."

Klayn croisa les bras, pensif. "Un mercenaire qui disparaît, une lettre en deux parties, un neveu fantôme… Ton oncle aimait les mystères, on dirait."

"Plus qu'il ne l'admettait," murmura-t-elle, un sourire triste effleurant ses lèvres.

Je restai silencieux un moment, mes pensées tournant à toute vitesse. Balystis. Ce nom résonnait vaguement dans ma mémoire – une ville portuaire au sud-est, un carrefour d'échanges et de secrets, un endroit où un homme comme Toren aurait pu croiser des figures influentes… ou dangereuses. Et ce neveu inconnu – une pièce manquante qui pouvait tout changer. Quelque chose dans cette histoire me semblait trop familier, trop proche de mes propres zones d'ombre, mais je gardai ça pour moi.

"Tu comptes y aller ?" demandai-je finalement, ma voix basse mais perçante dans le tunnel. "À Balystis, je veux dire."

Elle releva les yeux vers moi, une détermination nouvelle brillant dans son regard. "Un jour, oui. Quand tout ça sera fini – le musée, le lycée, tout. Je veux savoir pourquoi il est parti. Je veux des réponses. "Et ça vous dirait de m'accompagner, un jour, à-"

Un grondement sourd coupa sa phrase, faisant vibrer les parois du tunnel comme si la pierre elle-même gémissait. Des éclats acérés se détachèrent du plafond, s'écrasant autour de nous dans un nuage de poussière âcre qui piquait les yeux. Le cristal dans la main de Miyako pulsa violemment, sa lueur argentée dansant en spasmes erratiques.

Sous nos pieds, le sol trembla, puis un craquement sec déchira l'air. "Attention !" cria Klayn, mais avant qu'on puisse réagir, la pierre céda, s'ouvrant en une gueule béante. L'obscurité nous avala d'un coup, nos corps basculant dans un vide hurlant, le vent sifflant à mes oreilles alors que le tunnel disparaissait au-dessus de nous, englouti par les ténèbres d'un abîme sans fond.