"L’Absentéisme"

Dans la cour d'entraînement, le fracas du métal résonne, brisant le silence oppressant du matin. Aleya vacille sous l'impact du coup, mais se redresse aussitôt, le regard brûlant de détermination.

— Encore, ordonne Vael, son ton aussi tranchant qu'un coup de lame.

Elle s'exécute, bondissant en avant avec une précision accrue. Ses gestes, bien que maladroits, deviennent plus assurés. Elle sent ses muscles brûler, son souffle se faire court, mais un étrange feu grandit en elle. Vael la regarde avec une intensité qu'il n'a jamais eue auparavant.

— Bien, murmure-t-il en esquivant son coup sans effort. Mais pas assez.

Elle frappe à nouveau, et cette fois, il ne bloque pas immédiatement. Il la laisse aller au bout de son mouvement, tester ses limites. Elle n'a pas la force brute d'Erhan, mais il voit en elle une autre forme de puissance. Un potentiel brut qu'il refuse d'ignorer.

Dans l'ombre, un regard empli de rancœur les observe.

— Voilà donc ce que tu fais, Père ? Tu abandonnes tes fils pour cette chose inutile ?

La voix d'Erhan claque comme un coup de tonnerre dans les oreilles d'Aleya. Elle s'arrête net, son souffle court, et tourne la tête vers l'entrée de la cour. Erhan est là, adossé contre un pilier de pierre, ses yeux flamboyants d'une colère froide. Derrière lui, quatre silhouettes se tiennent dans la pénombre.

— Je suis l'aîné, l'héritier légitime, poursuit-il en avançant d'un pas. C'est à moi que revient ton enseignement, pas à cette gamine incapable.

Vael ne répond pas immédiatement. Il observe son fils, son expression impassible, mais ses traits se durcissent légèrement.

— Tu n'as rien à prouver, Erhan. Tu as toujours été fort.

Erhan plisse les yeux, puis tourne légèrement la tête, révélant les frères qui l'ont suivi. Trois d'entre eux affichent la même expression de défiance et de mépris envers Aleya.

— Vous la voyez, n'est-ce pas ? lance-t-il d'un ton venimeux. Père lui donne toute son attention, comme si elle pouvait nous égaler.

Le premier à esquisser un sourire mauvais est Keldros, un démon au teint pâle et aux cheveux noirs corbeau.

— Une erreur, dit-il en croisant les bras. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne.

À ses côtés, Valhen, plus grand et plus imposant, laisse échapper un rire moqueur.

— À quoi bon s'acharner, Erhan ? Tout le monde sait qu'elle ne sera jamais des nôtres.

Le dernier des trois, Orvas, ne parle pas. Il observe Aleya, son regard indéchiffrable, mais la lueur cruelle qui danse dans ses yeux en dit long.

Seul Erian, en retrait, semble hésiter. Son regard oscille entre Erhan et Aleya, une lueur de malaise dans ses yeux. Il ne s'avance pas, restant légèrement à l'écart, comme s'il n'appartenait pas totalement à leur camp.

Vael pose une main sur l'épaule d'Aleya, un geste protecteur, mais aussi un avertissement silencieux.

— Je ne choisis pas entre mes enfants, Erhan, déclare-t-il avec calme. Chacun doit tracer sa propre voie.

Erhan ricane, mais son rire est amer.

— Ne mens pas, Père. Nous savons tous que tu l'as déjà choisie.

Puis, il tourne les talons, suivi de ses trois fidèles. Seul Erian jette un dernier regard en arrière avant de disparaître dans l'ombre.

Aleya serre les poings, son cœur battant violemment. Elle ne comprend pas pourquoi Erhan la déteste autant. Mais une chose est certaine : il ne la laissera jamais en paix.

Vael soupire et se tourne vers sa fille.

— Reprenons.

L'entraînement continue. Plus dur, plus intense. Aleya frappe, encore et encore, poussée par une rage qu'elle peine à contenir.

Lorsque le soleil décline, Vael l'emmène en forêt.

— La force ne suffit pas, dit-il en avançant entre les arbres. Tu dois aussi apprendre à survivre.

Il la met à l'épreuve : trouver de l'eau, s'orienter, chasser. Aleya s'applique, mais l'obscurité se fait ressentir. Peu à peu, elle se perd.

Le silence de la forêt est oppressant. Puis, au loin, elle aperçoit un gouffre immense.

Elle s'approche. L'air est lourd, imprégné d'une énergie sombre. La faille de Zephior.

Soudain, une main attrape son bras.

— Ne t'approche pas davantage.

Vael est là, son regard grave.

— Qu'est-ce que c'est ? murmure Aleya.

Un silence. Puis, enfin, son père parle.

— La cicatrice laissée par Varkoth.

Aleya fronce les sourcils.

— Varkoth ?

Vael fixe l'horizon.

— Autrefois, ce monde était régi par trois dragons primordiaux : le Vent, la Terre et le Feu. Mais dans l'ombre, un quatrième sommeillait… Le Dragon du Chaos, Varkoth.

Sa voix se fait plus grave.

— Il n'aurait jamais dû s'éveiller.

Le regard d'Aleya brille d'une curiosité nouvelle.

— Que s'est-il passé ?

Vael observe la faille, comme s'il revivait un lointain cauchemar.

— Une guerre. Un choc si violent que son sommeil fut brisé. Sa colère a ravagé les terres et a ouvert cette faille. Une déchirure entre notre monde et le neant.

Aleya frissonne, hypnotisée par l'ampleur de l'histoire.

— Et les autres dragons ?

— Ils ont disparu. Certains disent qu'ils se cachent encore, quelque part.

Un silence s'installe.

— Varkoth dort à nouveau, mais pour combien de temps ? Demande Aleya.

Le vent souffle entre les arbres. Aleya sent une lourdeur peser sur ses épaules.

— Rentrons, murmure Vael.

Une fois de retour, Aleya s'effondre sur un coussin, exténuée.

Lyza lui apporte une tasse de thé chaud et s'installe à ses côtés en silence.

— Tiens, ma petite ombre, bois ça. Ça va te faire du bien.

Aleya accepte, savourant la chaleur réconfortante.

Lyza ne parle pas. Elle est juste là, un calme apaisant après la tension de la journée.

Vael brise le silence.

— Erhan n'est pas rentré.

Aleya relève la tête. Lyza et elle échangent un regard inquiet.

— Où peut-il être ? demande Aleya à voix basse.

Personne ne répond.

Mais une chose est sûre.

l'absence d'Erhan est un mauvais présage.