Le soleil décline à l'horizon, peignant les arbres d'un orange cuivré. Cela fait trois jours qu'ils ont quitté le campement où Aleya a rejoint le groupe, et le voyage avance bien plus vite que prévu.
Elira marche en tête, l'œil aiguisé, son éternelle sourir moqueur accrochée aux lèvres. De temps à autre, elle jette toujours un coup d'œil en arrière. Aleya, un peu en retrait, garde toujours le silence.
Brandon, comme à son habitude, ouvre la conversation avec l'aisance d'un barde de taverne :
— "Franchement, si on garde ce rythme, on va y être en quatre jours à tout casser. Tu t'es plantée dans les calculs, cheffe. "
— "Oh, pardon de vouloir ménager madame la survivante", réplique Elira en roulant des yeux. "Avec un bras troué, j'me suis dit qu'elle mettrait deux jours de plus. J'suis pas oracle non plus. "
— "Elle tient le choc, la petite. Peut-être qu'on devrait tous se faire poignarder pour gagner en endurance." Répond Lian en rigolant.
Aleya ne répond pas, mais un mince sourire lui échappe. Elle se sent observée depuis leur départ, testée, jugée. Pourtant, l'atmosphère n'est pas hostile. Elle apprend à écouter leurs voix, à suivre leur cadence.
Ils traversent un petit vallon, là où la route se resserre entre deux collines boisées. Des roues de charrettes ont marqué le sol. Signe qu'ils se rapprochent de zones fréquentées. Le port pour quitter la Foret d'Erhundal et ainsi se rendre à Rondar, la capitale de Morthas, n'est plus très loin.
Brandon s'arrête net. Il lève la main.
— "Bruits à gauche. Trois chevaux, deux roues... une calèche."
Elira s'approche, penchée à hauteur du sol.
— "Pas des aventuriers. Pas le même rythme de pas. Trop régulier… Nobles ou marchands."
— "C'est quoi la différence ?" demande Lian, un sourire en coin.
— "Les nobles sentent la rose. Les marchands sentent l'or. Et dans les deux cas, y'en a souvent un qui veut nous planter un couteau dans le dos."
Ils reprennent la marche avec prudence, ralentissant le pas, jusqu'à apercevoir la source du bruit : une calèche richement décorée, arrêtée en plein milieu du chemin. Trois hommes en descendent, tous en armure de cuir renforcé, épées visibles, visages fermés. La livrée du véhicule ne laisse aucun doute : un noble voyageur.
Mais ce qui trouble le plus, c'est l'attitude des trois gardes. Ils ne protègent pas la calèche. Ils bloquent la route.
— "On dirait qu'ils nous attendent", murmure Brandon.
Elira s'avance, l'air détendu, une main posée sur la garde de sa lame.
— "Besoin d'aide, messieurs ? Ou juste une envie pressante ?"
Le plus grand des hommes esquisse un sourire froid.
— "On cherche une étrangère. Brune, jeune, avec deux yeux de couleur différent. D'après nos informations, elle voyage avec un groupe d'aventuriers."
Le silence tombe comme une lame. Elira jette un regard rapide vers Aleya.
Brandon fait un pas en avant, bras croisés.
— "J'vois personne qui correspond à ta description. Et même si c'était le cas, je doute qu'elle ait envie de discuter avec des types comme vous."
— "Vous allez nous la livrer. Ou ça va mal finir."
Elira soupire.
— "Vous avez choisi la mauvaise bande. Vraiment."
Sans prévenir, elle bondit en avant. Les épées sifflent. Brandon et Lian se positionnent aussitôt, encadrant Aleya par réflexe. Un triangle défensif, serré et mobile.
— "Reste derrière nous !" ordonne Elira à Aleya.
Les trois adversaires sont rapides. Bien entraînés. L'un d'eux tente une feinte sur Lian, qui esquive avant de riposter d'un coup de dague à la cuisse. Brandon pare un coup d'estoc de justesse et contre avec le plat de son bouclier, projetant son opposant contre un arbre.
Mais la troisième brute, plus massive, passe en force et fonce droit sur Aleya.
Le regard d'Elira se fige. Elle pivote, trop loin pour intervenir à temps.
— "Aleya !"
Trop tard.
Mais au lieu de reculer, Aleya avance. Elle lève le bras, celui qui était blessé, et pare le coup d'un revers sec, les deux avant-bras en croix. Le choc résonne dans l'air, brutal. L'homme recule, surpris.
— "Tu…"
Elle n'attend pas qu'il finisse. D'un mouvement fluide, elle pivote et frappe du genou. Puis un poing dans l'estomac. Son agresseur tombe à genoux, le souffle coupé.
Brandon en reste figé une seconde. Lian en oublie de lancer une nouvelle attaque.
— "Bon sang…" souffle Elira.
L'homme tente de se relever. Aleya attrape son col et lui assène un dernier coup à la tempe. Il s'effondre, inconscient.
Les deux autres assaillants, voyant leur compagnon à terre, reculent. Lian profite de l'ouverture pour désarmer le sien, tandis que Brandon assomme le dernier d'un revers bien placé.
Le silence retombe.
Elira s'approche d'Aleya, encore haletante, le regard sombre et perçant.
— "Ton bras."
Aleya baisse les yeux. Plus aucune trace de blessure. Sa manche est déchirée, mais la peau est intacte. Souple. Guérie.
— "Je… je crois que c'est passé", dit-elle, un peu surprise d'elle-même.
Brandon siffle entre ses dents.
— "Passé", tu dis ? Tu viens de coller une raclée à un type qui m'aurait donné du fil à retordre à moi seul. T'as bouffé quoi, sérieusement ?"
Lian rigole doucement, essuyant la lame de sa dague. Tout en immobilisant le dernier soldat.
— "J'crois qu'elle a décidé de pas crever. Et franchement, j'aime bien cette version d'elle."
Elira la fixe un instant. Puis un sourire tordu étire ses lèvres.
— "Tu m'as bien eue. Et tu tapes fort, en plus. La prochaine fois, tu passes devant."
Aleya relève la tête. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sent légère. Non pas parce que la douleur a disparu, mais parce qu'elle n'a plus besoin de prouver qu'elle existe.