Le dernier des assaillants grogne sous le poids du genou de Brandon, sa joue en sang et son épée jetée à plusieurs mètres. Attaché sommairement avec une corde de Lian, il crache au sol, furieux mais vaincu.
Elira s'accroupit face à lui, un éclat d’acier dans le regard.
— "Alors, mon mignon, on parle maintenant ? T'as deux choix : ta langue, ou ta mâchoire. Devine lequel est le plus utile. "
Le garde ricane, une dent cassée visible derrière ses lèvres fendues.
— "On nous a payés pour la fille. On savait pas qui vous étiez"
— "Qui vous a envoyés ? " demande Brandon, d’un ton calme mais ferme. "Et surtout, pourquoi ?"
Le soldat hésite.
Lian s’approche dans son dos et colle la lame de sa dague juste sous son oreille.
— "T’as trois secondes pour avoir une bonne raison de pas pisser le sang."
— "Un marchand !" lâche-t-il aussitôt. "Un type louche, habillé comme un noble mais qui sentait la peur. Il a montré un croquis. Une jeune fille, les cheveux noirs, avec deux yeux de couleur différent. Il offrait une sacrée somme pour qu’on la capture vivante."
Elira tourne lentement la tête.
— Tu dis “vivante, répète Elira. Pas “intacte”.
— "C’était pas notre problème. On fait ce qu’on nous dit."
— "Qui était ce type, exactement ? Son nom ? Où vous l’avez rencontré ?" Demande Brandon.
— "Il s’est présenté comme Valtren d’Ormeveil. Un pseudo, j’en suis sûr. Il avait un sceau… un truc de noble, mais falsifié. On l’a vu dans une auberge à Rondar".
Brandon et Elira échangent un regard.
— "Il a dit pourquoi il voulait la fille ? " demande Lian, toujours aussi proche, son souffle dans la nuque du prisonnier.
Le garde déglutit.
— "Ouais… Il a dit… Il voulait la revendre. Pas à n’importe qui, hein. À des collectionneurs, des nobles bizarres de la capitale, vous voyez le genre. Il parlait de ses yeux, de sa peau. Il disait qu’elle était « précieuse ». Unique. Une beauté rare. "
Il hésite, puis reprend, sa voix se faisant plus amère.
— "Il a dit qu’elle vaudrait une fortune. Qu’elle ferait fureur au enchères dans les cercles privés. Il a promis de partager les gains avec nous si on l’amenait vivante. "
Un silence lourd tombe, interrompu seulement par le vent léger qui traverse les feuillages.
Elira, un sourire froid aux lèvres.
— "Charmant. Vraiment. J’adore ce monde. "
Brandon, plus grave, fixe le prisonnier sans ciller.
— "Tu crois vraiment que c’est juste du commerce, ce que t’as fait ? T’as pas pensé une seconde à ce que ça voulait dire pour elle ? "
— "J’fais ce qu’il faut pour manger", marmonne le garde, évitant leurs regards. "Et c’était bien payé. "
Lian lui assène un coup sec du pied, le faisant perdre connaissance et basculer sur le flanc.
— "Alors tu vas jeûner un bon moment, ordure. "
Le campement est installé dans un repli boisé, à l'abri des regards. Le feu de Brandon éclaire faiblement les visages, les ombres dansant sur les troncs. Lian est perché dans un arbre, scrutant l'horizon, tandis qu'Elira s'assied en face d'Aleya, deux bols de soupe en main.
Elle tend l’un des bols, un petit sourire en coin.
— "Tiens, mange un peu, ça réchauffe. "
Aleya prend le bol sans un mot, ses doigts frémissant légèrement en le tenant. Elle ne semble pas vouloir croiser le regard d'Elira, se concentrant sur la chaleur du liquide. Elira est un peu perplexe.
Après un moment, Elira brise le silence, sa voix calme.
— "Ton bras… Il est guéri. Vraiment. Plus de douleur, plus de marque. "
Aleya reste silencieuse, ses yeux baissés. Elle se mord doucement la lèvre inférieure, comme si elle cherchait les mots.
— "Ça va mieux…" dit-elle, sans conviction, d’une voix presque inaudible.
Elira ne la quitte pas des yeux, ses doigts serrant doucement son bol de soupe. Il y a quelque chose de trop calme dans sa réponse, comme si Aleya tentait d’échapper à la question sans vraiment l’admettre.
— "Je t'avais dit six jours, tu te souviens ? J'ai compté plus de temps, car tu étais blessé. Je voulais te ramener à la guilde pour que tu te fasses soigner pendant quelques jours. Et là, tu vas déjà beaucoup mieux. C'est... étrange, non ? "
Aleya hausse les épaules, timidement, comme si cela ne valait même pas la peine d’en parler.
— "J’ai… je.. je vais mieux", répond-elle de nouveau, fuyant le regard d’Elira.
Elira se penche légèrement en avant, son regard plus insistant mais sans pression. Elle laisse le silence s’installer entre elles avant de poser sa question.
— "Tu sais, ça m’étonne. Que t’aies guéri si vite, mais aussi que tu ne veuilles rien dire. C’est pas comme ça que ça marche normalement. Alors, tu veux vraiment pas me dire ce que t’as fait ? "
Aleya serre ses mains autour du bol, un peu plus fort cette fois. Elle fait mine de ne rien entendre, ses yeux fixés sur les flammes dansantes.
— "C’est rien", répète-t-elle d’une voix plus basse. "J’ai juste besoin… de temps. "
Elira soupire, mais sa voix reste douce.
— "D’accord, mais je t’ai dit, tu peux nous parler quand tu veux. T’es pas seule dans tout ça, tu sais. "
Aleya hoche lentement la tête, mais sans conviction.
Elle détourne enfin le regard, fixant un point lointain, perdue dans ses pensées. Elira la laisse respirer, respectant son silence. Le feu crépite entre elles, mais il n’y a pas de reproche dans l’attitude d’Elira. Juste une compréhension tacite.
— "D’accord, dit Elira après un moment. Mais promets-moi, si jamais ça devient trop, si ça te pèse… tu nous le diras. On t’aidera, t’es pas seule. "
— "Je… je promets. "
Le feu crépite, les bruits du monde nocturne se mêlant à l'atmosphère calme du campement. Brandon et Lian parlent à voix basse un peu plus loin. Le groupe est soudé, malgré les non-dits, malgré les secrets. Et le voyage continue, plus rapide, plus léger.