Le paysage change doucement. Les collines laissent place à des terres mieux entretenues, bordées de haies taillées et de murets moussus. La route devient plus large, marquée par les traces fraîches de chariots récents. Au loin, des convois marchands serpentent entre les champs, accompagnés de bétail et de drapeaux colorés.
Brandon ajuste la sangle de son sac.
— "On s’approche du port, souffle-t-il. Y’a plus de passage… mais ce calme, j’le sens pas."
Un instant de silence, puis Lian glisse, comme à mi-voix :
— "Le Chasseur a été aperçu dans les environs, récemment."
Elira tourne la tête, intriguée.
— "Le Chasseur ? T’en es sûr ?"
— "Je sais pas plus que les rumeurs", répond Lian. "Des convois attaqués sans laisser de traces. Pas un voleur banal, pas un groupe. Juste... une ombre qui frappe, et disparaît."
Brandon fronce les sourcils.
— "On sait même pas qui c’est. Ni s’il est seul, ni même si c’est un homme ou une femme. Les gens l’ont appelé “le Chasseur” parce que ses attaques sont précises, brutales… calculées.
— "Mais il ou elle vise que les convois marchands", ajoute Elira, "Pas les voyageurs comme nous."
— "Ouais. Tant qu’on ressemble pas à une caravane bien remplie, on devrait pas l’intéresser", conclut Brandon. "Mais j’préfère quand même rester attentif."
Ils reprennent leur marche, plus vigilants malgré tout. Car même un fantôme qui ne chasse que certains peut toujours croiser votre route…
Le soleil entame sa descente lorsque le groupe s’arrête près d’un petit ruisseau. L’eau est claire, fraîche, et serpente entre les rochers couverts de mousse. Brandon s’agenouille pour remplir sa gourde, Elira fait de même. Aleya reste en retrait, un peu plus haut sur la berge, observant les remous de l’eau, perdue dans ses pensées.
Brandon jette un œil discret vers elle, puis se penche vers Elira.
— "T’as remarqué ? Depuis l’affrontement… elle est différente."
Elira hoche lentement la tête.
— "Elle marche droit. Plus de grimace. Et elle reste plus proche de nous. Mais… j’sais pas si c’est bon signe."
— "Elle nous fait peut-être confiance."
— "Ou elle attend juste le bon moment. Les gens comme elle, c’est pas qu’ils mentent. C’est qu’ils choisissent ce qu’ils veulent qu’on voie."
— "T’as pas tort… Et pourtant, j’ai l’impression qu’elle lutte. Contre quelque chose qu’elle veut pas montrer."
Ils se taisent un instant. Lian, assis sur un rocher, les écoute sans intervenir. Ses yeux ne quittent pas Aleya, plus loin, silhouette mince et silencieuse dans la lumière dorée.
Un peu avant le crépuscule, la route serpente jusqu’à un petit bourg frontalier, niché entre deux collines. Aucune enseigne ne le nomme, mais l’endroit respire l’activité discrète d’un carrefour de passage. Des marchands rangent leurs étals, des chevaux hennissent dans une écurie, et des enfants courent encore entre les charrettes, ramenés à l’ordre par des adultes pressés.
Une auberge au toit d’ardoise déborde de rires et d’odeurs d’alcool bon marché. Des voyageurs discutent à voix basse sous les porches, jetant des regards méfiants à ceux qui passent. Car si le village semble animé… l’ambiance, elle, reste tendue.
Les sourires sont rares. Les mots se murmurent.
Une vieille femme, assise sur une marche, lance à voix basse, comme pour elle-même :
— "Une autre charrette, cette nuit. Vidée de tout. Même les mules ont disparu…"
Brandon échange un regard avec Elira. Celle-ci disparaît un moment dans le marché, troquant quelques pièces contre des vivres. Aleya, elle, reste près d’une fontaine moussue. L’eau coule lentement, mais l’odeur de pierre humide la met mal à l’aise. Elle frissonne sans raison.
Un regard la trouble.
Dans l’ombre d’un porche, un jeune homme au teint cireux la fixe. Vêtements râpés. Regard mort. Il ne cligne pas. Et quand elle tourne la tête, il n’est plus là.
Elle revient rapidement vers les autres.
— "T’as vu ce type, près de la fontaine ? " murmure-t-elle à Lian.
— "Non. Pourquoi ?"
— "Il m’a regardée… bizarrement avant de se cacher."
— "T’inquiète. Les coins comme ça, y’en a toujours un ou deux un peu fêlés."
Mais Brandon, lui, garde les yeux rivés vers le même porche. Et son silence dit qu’il a vu, lui aussi.
Ils quittent le village à la tombée de la nuit. Mieux vaut les bois que ces rues où les regards pèsent trop lourd.
Dans une clairière, ils installent un camp discret. Pas de feu haut. Pas de bavardages.
Lian veille. Assis sur une souche, il fixe les flammes. Aleya reste éveillée, dos tourné, regard un peu perdu perdu dans l’obscurité.
— "Tu dors pas ?" murmure-t-il.
Elle secoue la tête en silence comme pour dire « non ».
— "Je me demandais pourquoi t’es venue avec nous ? "
Un temps.
— "Parce qu’être seule faisait plus peur. "
Il hoche la tête. Rien à ajouter.
Le feu crépite. La nuit respire. Trop doucement.
Un bruit sec. Là, dans les feuillages.
Brandon ouvre les yeux. Se redresse sans bruit. Sa main glisse vers sa lame.
— "Tu sens ça ? murmure Lian."
— "Oui. On n’est pas seuls…"