Aussitôt que la première balle s'envola, j'en déclenchai une deuxième aussi rapide que mes doigts pouvaient appuyer sur la détente, les deux balles s'élançant à une vitesse que l'œil humain ne pouvait distinguer. J'avais dû répéter ce scénario dans ma tête pour m'assurer de sa faisabilité. La première balle passerait par un bâtiment, et en le traversant, sa vitesse diminuerait suffisamment pour qu'elle soit rattrapée par la deuxième juste avant qu'elle ne touche Iris. Leur collision devrait créer l'illusion qu'elle a été touchée, enlevant tout doute pouvant peser sur elle. Il ne resterait plus qu'à monter de fausses preuves collaborant son témoignage. Avec la mort du maire et des notables, ce mensonge improvisé resterait une vérité à jamais. Mais si je fais la moindre erreur de calcul... Mieux vaut ne pas oser imaginer.
Je croisai mes orteils puisque mes doigts étaient toujours sur la gâchette. Le temps que je cligne des yeux, Iris était allongée par terre. Je ne pouvais pas dire son état exact à cette distance. J'espère qu'elle va bien. Mmmm... Je sentis un picotement traverser ma colonne vertébrale. Ce sentiment... vais-je mourir ? À force de côtoyer la mort, on en devient sensible. Il ne me fallut pas longtemps pour me rendre compte que ma position avait été repérée.
Je regardai à travers la lunette du fusil et j'eus l'impression d'être observé, malgré ma couverture. Je les ai sous-estimés. Je n'avais pas imaginé qu'ils pourraient me trouver aussi vite et avec une telle précision. Grégoire fléchit les genoux, provoquant un craquement du sol sous lui, et s'élança dans ma direction, tandis que les autres Exécuteurs commençaient à calmer le mouvement de panique après mon tir. Les gens semblaient paralysés sous une pression invisible. À ce stade, sont-ils toujours humains ? Est-ce l'étendue des pouvoirs de ceux qui ont su braver la mort ? Ce n'était pas le bon moment pour être fasciné par une telle démonstration. Je devrais plutôt me dépêcher. Un kilomètre nous séparait, certes en ligne droite, mais il devait sûrement passer à travers la foule et...
Qu'est-ce que je vois ? C'est quoi cette manière de se déplacer ? Je n'arrive pas à le voir, je ne distingue que des étincelles électriques, preuve de son passage. À ce rythme, il lui faudrait une minute pour m'atteindre. Ce type... il est plus rapide qu'un guépard. Je dois foutre le camp immédiatement. Je suis obligé de confier à Iris le soin de s'occuper du maire. J'aurais aimé m'en charger personnellement pour éviter qu'il balance des infos en cas d'interrogatoire, mais malheureusement, le temps ne me le permet plus. Est-ce que Lucy a su cacher ses traces ?
Je pris un macchabée au hasard, volé dans la morgue, que je plaçai à ma place. J'y ajoutai une petite bombe, pas assez puissante pour causer de gros dégâts, mais suffisante pour réduire un corps en cendres, empêchant toute identification. Il faut bien que quelqu'un paye la note. Je ne sais pas qui c'était, mais même la mort n'a pas su lui offrir de repos.
Je n'ai pas eu le luxe de redescendre par où j'étais monté.
Quand il faut y aller, il faut y aller. Je croisai les doigts, pris une grande inspiration, me bouchai le nez, actionnai la bombe puis sautai du toit vers un parking isolé, espérant retomber sur mes pieds. C'est dans des moments pareils que j'aurais aimé être un chat. Malheureusement, je n'étais pas un chat, mais j'ai su atterrir pile dans une bouche d'égout au préalable ouverte. Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait ça. Dès que je refermai la trappe, j'entendis la foudre s'abattre. C'était moins une.
Il ne me restait plus qu'à retrouver les autres. Mais avant cela, je sortis de l'eau boueuse, me jetai contre un mur avant de m'effondrer par terre. Cela n'avait certes pas duré longtemps, depuis le moment où on s'était séparés, il ne s'était pas écoulé plus de quinze minutes. Mais ce n'était pas parce que l'opération avait été de courte durée que la pression que nous avions subie n'était pas intense. Au contraire, nous avions dû dépasser nos limites en un court laps de temps. La moindre erreur...
Iris avait dû contrôler ses faits et gestes à un niveau frôlant la perfection. Ses larmes, ses tremblements et hésitations... La moindre de ses actions et paroles était un mensonge. D'ordinaire, pour construire une illusion, il était plus facile de saupoudrer un peu de vérité. Il n'était pas aisé de monter un tel spectacle à l'improviste sans laisser le moindre soupçon devant un tel public. Lucy avait dû s'approcher assez près de la scène sans se faire remarquer, profitant de l'inattention de tous pour délivrer un condamné sous les yeux de tous sans laisser aucune trace de son passage.
Ce n'est que lorsque l'adrénaline redescendit que je pris conscience que c'était un plan que seuls des fous oseraient entreprendre.
Après avoir récupéré un peu d'énergie, je me remis en route. Espérons que l'intuition d'Iris en vaille la peine. Dans le
cas contraire...