Chapitre 56 - Lien Humain

Le bar était toujours aussi bruyant, empli de l'odeur de l'alcool et de la sueur des mercenaires fatigués. Feng Lin, debout au centre de la salle, balaya l'assemblée du regard. Les discussions animées s'interrompirent peu à peu sous son regard froid et assuré.

— Écoutez-moi bien, lança-t-il d'une voix ferme. Mon nom est Feng Lin, et je suis le patriarche du Clan Feng.

Un silence s'installa. Certains froncèrent les sourcils, d'autres échangèrent des regards perplexes. Un mercenaire au fond du bar éclata de rire.

— Le Clan Feng ? Tu veux dire cette vieille famille disparue depuis cinq siècles ? Et alors ?

Feng Lin ne broncha pas. Il attendit que le murmure sceptique s'éteigne avant de reprendre.

— L'empire Tianluo est en ruines. Les nobles sont morts ou en fuite, et les sectes vont bientôt s'entre-dévorer pour récupérer les miettes. Dans ce chaos, une seule chose est certaine : seul le plus fort survivra.

Il s'arrêta un instant, laissant les mots s'infiltrer dans l'esprit de chacun.

— Pendant des siècles, le Clan Feng a dominé l'Empire Tianluo. Nos ancêtres régnaient là où l'empereur n'était qu'une marionnette. Aujourd'hui, l'opportunité se présente de reprendre ce qui nous appartient.

Un vétéran, le visage buriné par les batailles, se leva en croisant les bras.

— Des mots, rien de plus. Pourquoi devrions-nous suivre un gamin prétendant à une gloire passée ? T'as peut-être un nom, mais qu'est-ce que tu nous offres, hein ?

Feng Lin sourit légèrement. Il sortit une petite bourse et la lança sur la table devant lui. Le son clair des pièces d'or résonna dans la pièce. Puis il fit un geste, et Liang, debout près de la porte, ouvrit un grand sac, révélant un monceau de pièces scintillantes.

Un silence pesant tomba sur la salle.

— De l'or, autant que vous en voulez. Je ne vous offre pas des promesses vides, mais une chance réelle de prospérer. Rejoignez-moi, et vous ne serez plus des mercenaires errants. Vous serez des guerriers d'un clan qui renait.

Les regards changèrent. Certains, avides, fixaient l'or avec envie. Mais un groupe de trois hommes échangea un sourire entendu et se leva brusquement.

— C'est trop beau pour être vrai, grommela l'un d'eux. Autant prendre cet or tout de suite.

Ils se précipitèrent vers le sac, mais avant même que leurs mains ne l'atteignent, Feng Lin bougea. D'un mouvement rapide, il attrapa le bras du premier homme et d'une simple pression, le bruit sec d'un os brisé résonna dans la pièce. L'homme hurla et tomba à genoux. Il n'était qu'à la première étape de l'affinement du corps.

Les deux autres s'arrêtèrent net, mais Feng Lin ne leur laissa pas le temps d'hésiter. Il fit un pas en avant, et les repoussa. Les deux hommes tressaillirent, la peur remplaçant leur avidité.

— Je n'ai pas besoin de rats dans mon clan, déclara Feng Lin d'un ton glacial. Ceux qui me suivent doivent savoir se battre, mais aussi comprendre à qui ils doivent leur loyauté.

Il relâcha son emprise sur l'homme au sol, qui s'éloigna en rampant, tremblant de douleur. Les autres mercenaires échangèrent des regards lourds de sens. Cet homme n'était pas un simple noble cherchant à récupérer un titre oublié.

Un vieil homme assis près du comptoir prit une profonde inspiration avant de se lever. Son regard était grave.

— Mon grand-père me parlait du Clan Feng. Il disait que même l'empereur devait plier le genou devant eux. Si ce que tu dis est vrai, alors... peut-être qu'il est temps de renouer avec l'héritage de nos ancêtres.

Feng Lin le fixa un instant avant d'hocher lentement la tête.

— Ceux qui veulent une place dans mon clan, approchez. Prouvez votre valeur, et vous aurez plus que de l'or : vous aurez un avenir.

Lentement, un premier homme s'avança. Puis un second. Bientôt, une dizaine de mercenaires se levèrent pour rejoindre Feng Lin. Certains hésitaient encore, mais le doute n'avait plus la même emprise sur eux.

Le bar était plongé dans un silence lourd après l'incident avec les mercenaires. Feng Lin, toujours debout, observait ceux qui s'étaient levés pour le rejoindre. Mais au lieu de se laisser emporter par la fierté d'avoir imposé sa volonté, son regard se posa sur Liang, qui se tenait toujours près de lui, observant la scène.

Le bras manquant de Liang, soigneusement bandé, était toujours visible. Il avait sacrifié une partie de lui-même pour aider Feng Lin, pour sa cause. Un geste qui ne pourrait jamais être effacé de leur relation. La façon dont Liang se tenait droit, malgré sa douleur, ne manquait pas d'impressionner Feng Lin.

Feng Lin s'approcha de Liang, qui le regarda avec une lueur de surprise dans les yeux. L'expression de Feng Lin était plus calme, moins dure qu'à l'accoutumée. Ce n'était plus l'Empereur Céleste en lui, mais l'homme qui reconnaissait une loyauté authentique.

— Tu as fait un sacrifice, Liang, dit Feng Lin d'une voix plus douce. Un sacrifice que peu auraient osé faire.

Liang haussait les épaules, évitant son regard, mais son ton était plus bas, empreint d'une modeste fierté.

— C'est ce que l'on fait pour ceux en qui l'on croit.

Feng Lin hocha lentement la tête, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres. Ce n'était pas qu'un simple mercenaire qui se trouvait devant lui, mais un homme qui avait choisi de l'accompagner dans une aventure périlleuse, sans attendre de récompense immédiate. Il ressentait, au fond de lui, qu'il avait plus que quelqu'un de fidèle. Liang était devenu un pilier, un soutien inébranlable.

— Je ne l'oublierai pas, dit Feng Lin en un murmure, tout en levant la main, comme pour faire une promesse. On avance ensemble, pas en solitaire.

Les mots résonnèrent entre eux. Liang, visiblement touché, sembla un instant hésiter avant de répondre.

— Ça va. Tant que ça ne me coûte pas trop cher, je suivrai. Ce que je veux, c'est savoir que mes sacrifices comptent, que ce clan vaut la peine.

Feng Lin n'avait plus le visage impassible qu'il avait au départ. Il posa une main sur l'épaule de Liang, un geste simple mais lourd de sens.

— Ça vaut la peine. Et ça le comptera toujours. Tant que tu es là, tu as une place.

Leurs regards se croisèrent, une compréhension tacite naissant entre eux. Liang sourit, un sourire rare mais sincère. Il savait que même dans ce monde chaotique, il n'était plus seul. Il avait trouvé sa place, aux côtés de Feng Lin.

Le bar, toujours bruyant autour d'eux, reprit son cours, mais un changement discret venait de s'opérer. Ce n'était pas juste une alliance politique, c'était un lien plus humain qui se tissait. Feng Lin savait désormais qu'il avait quelqu'un sur qui compter, au-delà des simples mercenaires. Quelqu'un qui croyait en lui, malgré tout.