Un matin, alors que Yup Mo venait à peine d'ouvrir les yeux, un vacarme assourdissant éclata. Pas une sirène. Non, ici, on ne connaissait pas ce genre de choses. À la place, c'était une cloche, lourde, résonnante, frappée à la chaîne. Le son vibrait dans sa poitrine, sinistre, presque ancestral.
Il se redressa d'un coup, les sens encore engourdis. Une alarme ? Il avait vaguement compris que dans ce monde, ce genre de cloche n'était utilisé qu'en cas d'alerte majeure, surtout dans les zones militaires. Autant dire : jamais pour rien.
Dans les couloirs, ça courait dans tous les sens. Des soldats passaient devant lui à toute allure, armes au poing, certains encore à moitié équipés. Les cris fusaient, les ordres aussi — mais pour lui, tout cela n'était qu'un brouhaha incompréhensible, un flot de sons qui ne voulait rien dire. Il attrapa son épée, par réflexe, les battements de son cœur s'emballant sans qu'il sache pourquoi.
Il s'approcha d'une fenêtre — enfin, ce qui servait de fenêtre dans cette baraque de pierre. Dehors, la base était en pleine ébullition. Des éclats de lumière, des rugissements, des cris de douleur. Une attaque. Mais par qui ? Des bêtes ? Non. Cette fois, ce n'était pas des créatures. Ça, il l'avait deviné à la manière dont les soldats réagissaient : vite, désorganisés, presque paniqués.
Il interrogea un soldat au passage, mais comme d'habitude, l'homme lui lança un mot sec qu'il ne comprit pas, avant de disparaître à nouveau dans le tumulte.
Ce qu'il ignorait encore, c'est que l'Empire de Tianluo venait de tomber. La capitale n'était plus qu'un souvenir, et déjà, les charognards se ruaient sur les restes. Des bandits, nombreux, organisés — des anciens soldats devenus mercenaires ou pillards — s'étaient mis à attaquer les zones militaires isolées pour piller armes, vivres, et ressources spirituelles.
Et aujourd'hui, c'était leur tour.
Yup Mo se tenait là, l'épée en main, le souffle court, au milieu d'un monde qui s'effondrait… un fois de plus.
Son regard balaya la cour intérieure. Et là, au milieu du chaos… il les vit.
Des créatures.
Pas celles qu'on chasse dans les forêts ou qu'on affronte la nuit. Non, celles-là étaient différentes. Massives, violentes, et surtout… dociles. Elles n'attaquaient pas au hasard. Elles suivaient les bandits, obéissaient à leurs gestes, à leurs cris.
Yup Mo fronça les sourcils. Ces choses-là étaient clairement soumises. Ou domestiquées ? Manipulées ? Il n'en savait rien. Et honnêtement, il s'en fichait. Pour lui, une créature restait une menace. La voix, enfouie depuis quelques jours, bondit immédiatement dans son esprit.
« Tue-les. »
Il serra la mâchoire. Bien sûr qu'elle reviendrait. À croire qu'elle attendait ça, tapis dans l'ombre de sa tête.
Mais il n'était pas prêt. Pas vraiment.
Il jeta un œil à ses propres mains. Son corps avait changé, un peu. Il le sentait plus solide qu'avant. Il avait progressé — enfin, d'après ce qu'il avait compris. Il avait atteint ce qu'ils appelaient ici la quatrième étape de l'affinement du corps. Un nom ronflant, et pas grand-chose de clair derrière.
Parce qu'en réalité, il ne comprenait rien à leur système de cultivation.
Les explications, il en avait eu. Mais entre la langue qu'il ne saisissait qu'à moitié et les concepts abstraits qui flottaient entre philosophie, entraînement et mysticisme, il n'était pas bien plus avancé qu'au premier jour.
Il savait juste une chose : quand la voix parlait, son corps réagissait. Et là, elle était réveillée. Furieuse.
Profitant du chaos, Yup Mo s'était élancé hors du bâtiment, déterminé à faire quelque chose, n'importe quoi. Il ne savait pas vraiment quoi faire, ni où aller, mais rester là à attendre n'était pas une option.
Autour de lui, les combats faisaient rage. Le sol tremblait sous les pas, les cris des soldats résonnaient partout, les cloches ne cessaient de hurler. Yup Mo repéra rapidement quelques ennemis — des hommes en armures disparates, aux mouvements rapides, brutaux. Les bandits. Mais il comprit vite qu'ils étaient en sous-nombre.
Ce n'était pas une attaque bien organisée, c'était du pillage pur et simple.
Plusieurs soldats hurlaient des choses, échangeaient des ordres en se couvrant mutuellement. Yup Mo entendit quelques bribes — « anciens soldats de l'empire », « déserteurs ! ». Mais ça, ça lui passait au-dessus de la tête. Il comprenait à peine trois mots sur dix, et honnêtement, il s'en fichait.
Tout ce qu'il voyait, c'étaient les bêtes.
Ces créatures, étrangement familières, aux mouvements précis, rapides, meurtriers. Elles n'étaient pas là par hasard. Elles agissaient avec les bandits, les protégeaient, les suivaient. Peut-être soumises, peut-être contrôlées. Mais elles tuaient. Et pour Yup Mo, c'était tout ce qui comptait.
Son regard s'assombrit. La voix s'agita, impatiente. « Tu sais ce qu'il faut faire. »
Il ne comprenait pas leur guerre, ni leurs histoires d'empire. Mais ces bêtes… ça, c'était quelque chose qu'il connaissait. Un ennemi clair. Quelque chose qu'il pouvait frapper.
Et il avait bien l'intention de le faire.
Le combat tournait mal. Très mal. Les bandits, pourtant moins nombreux, prenaient l'avantage — et ce n'était pas difficile de comprendre pourquoi. Les bêtes faisaient tout le boulot. Rapides, violentes, insensibles aux blessures, elles fauchaient les soldats comme de simples fétus de paille.
Yup Mo n'y réfléchit pas à deux fois.
Il fonça droit sur l'une d'elles, le cœur battant, la voix hurlant dans sa tête, son corps réagissant bien avant son cerveau. Mais il n'eut même pas le temps de lever le poing.
Un impact.
La bête le percuta de plein fouet, avec une force qu'il ne pouvait pas imaginer. Son corps fut projeté en arrière, comme une poupée de chiffon. Il traversa la rue en un éclair et s'écrasa contre un mur de pierre. L'instant d'après, le plafond s'effondra dans un fracas assourdissant.
Tout devint noir.
Le monde se coupa d'un coup. Plus de bruit, plus de voix. Plus rien. Seulement ce vide sourd, écrasant, qui l'engloutit sans prévenir.
Quand Yup Mo ouvrit enfin les yeux, tout était silencieux.
Un silence lourd. Viscéral. La nuit était tombée, et l'air avait ce goût métallique qui colle à la gorge après un massacre. Il se redressa lentement, le corps douloureux, couvert de poussière et de sang séché. Il lui fallut un moment pour comprendre.
La base… était morte.
Partout autour de lui, des cadavres. Des visages familiers. Des hommes et des femmes à qui il ne parlait pas, mais qu'il voyait tous les jours. Des regards éteints, des corps brisés. Et lui… il était le seul encore debout.
Il marcha sans vraiment savoir où aller, les jambes lourdes, le souffle court. Puis il s'arrêta. Là, juste devant lui, un corps. Un soldat, écrasé sous des gravats, mais dans ses mains… un morceau de papier.
Yup Mo s'agenouilla. Ses doigts tremblaient en récupérant le bout de carte abîmée. L'écriture était maladroite, pressée, probablement griffonnée juste avant que le soldat ne rende son dernier souffle. Il n'en comprenait que quelques mots, mais c'était suffisant : ce soldat savait qu'il y avait un survivant ici… et il avait laissé une direction. Un espoir.
Yup Mo resta là longtemps, incapable de bouger, pleurant toutes les larmes de son corps. Pour eux. Pour lui. Pour ce monde qu'il comprenait à peine mais qui lui avait déjà tout pris.
Puis, le silence encore. Un dernier adieu, puis il se leva.
Il regarda la carte est la suivie sans savoir qu'elle l'amène a une secte .